Malgré de nombreux efforts, les populations de chouettes tachetées sont au plus bas

Cette espèce de chouettes menacée pourrait disparaître de la majeure partie de son aire de répartition à moins que les autorités assurent une meilleure protection des forêts et contrôlent les populations de chouettes rayées.

De Kyla Mandel
Publication 28 juin 2021, 15:57 CEST
northern spotted owl

Une chouette tachetée du Nord (Strix occidentalis caurina) dans la forêt nationale de Siskiyou, qui chevauche l’Oregon et la Californie.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore

La chouette tachetée du Nord (Strix occidentalis caurina) est l’une des espèces les plus répandues dans le Pacifique Nord-Ouest. Avec son plumage blanc tacheté de brun, ses grands yeux marron et une envergure pouvant atteindre 1,20 m, ces oiseaux nocturnes dépendent des forêts ancestrales. Ils se faufilent entre les sapins de Douglas (Pseudotsuga menziesii) et les pins ponderosa (Pinus ponderosa) pour chasser les salamandres et les petits rongeurs. Pendant des dizaines d’années, les chercheurs et les défenseurs de l’environnement ont passé énormément de temps, ont entrepris beaucoup d’efforts et ont dépensé beaucoup d’argent pour tenter de les protéger.

Pourtant, le nombre d’individus est à son plus bas. Selon une étude publiée dans la revue Biological Conservation, leur population a décliné de 50 % à 75 % depuis 1995.

« Nous nous attendions à une mauvaise nouvelle mais nous n’étions pas prêts pour qu’elle soit si catastrophique », déclare Alan Franklin, biologiste, chargé de recherche au U.S. Department of Agriculture’s National Wildlife Research Center et auteur principal de l’étude. Le nombre de chouettes est à son plus bas depuis que la surveillance a commencé.

Pour sauver cette espèce, l’étude conclut que des mesures drastiques doivent être prises. Ces animaux ne vivent qu’au sein des forêts ancestrales, lesquelles ont décliné de 70 % ces trente dernières années, en raison de l’exploitation forestière et de l’urbanisation. Celles qui restent doivent être placées sous protection pour que les chouettes aient une chance de survivre.

Mais ce sont les chouettes rayées (Strix varia), une espèce invasive, qui les mettent véritablement en péril. L’étude alerte sur le fait que les populations de ces envahisseurs doivent être réduites drastiquement au sein de l’aire de répartition des chouettes tachetées, sans quoi, la chouette tachetée du Nord disparaîtra probablement de la majeure partie de son aire de répartition dans les cinquante prochaines années.

En outre, l’étude soulève des questions quant à la meilleure manière de sauver ces espèces menacées. Selon M. Franklin, « un avenir incertain mais alarmant » attend ces oiseaux.

Des études de surveillance sont menées tous les cinq ans. La plus récente a analysé près de 1,9 million d’hectares recouvrant l’aire de répartition des chouettes. Les régions étudiées ont été sélectionnées afin de rendre compte de l’état des conditions forestières et territoriales de l’habitat de ces animaux.

Lorsque les études des populations ont débuté en 1985, les scientifiques estimaient que la perte d’habitat était la menace principale pour ces oiseaux. Dans les années 1990, l’espèce a été déclarée comme menacée par le Endangered Species Act. Un plan a été adopté afin de réguler l’exploitation du bois sur les terres fédérales. C’est en cette même période qu’une autre menace a fait son apparition inattendue en provenance de l’est.

Les chouettes rayées, qui peuplent aujourd’hui le Pacifique Nord-Ouest, sont plus grandes, ont un régime alimentaire plus varié et sont capables de détrôner les chouettes tachetées pour la nourriture et les sites de nidification. Aujourd’hui, les chouettes rayées sont la principale menace des chouettes tachetées.

Pour combattre cette espèce invasive, le U.S. Fish and Wildlife Service (FWS) a lancé en 2013 la chasse à la chouette rayée. Jusqu’à maintenant, ses projets pilotes se sont avérés plutôt efficaces. Cette « gestion létale » est maintenant en place sur plus de 234 000 hectares et a été étendue jusqu’en août prochain. Au terme de cette opération, le FWS collaborera avec d’autres agences pour exploiter les données recueillies, organiser un plan de gestion des chouettes rayées plus élaboré et décider des prochaines étapes, explique Jodie Delavan, officier des affaires publiques.

« Le Service est optimiste quant à la mise en place d’un programme de gestion efficace et rentable pour la chouette rayée », assure Mme Delavan.

Jusqu’ici, plus de 3 100 chouettes rayées ont été abattues pour un coût total d’environ 7,1 millions d’euros.

Toutefois, il n’est pas encore possible de déterminer si la réussite de ces projets pilotes pourrait s’appliquer à plus grande échelle. De plus, M. Franklin explique que personne ne sait exactement quel est le pourcentage de chouettes rayées à abattre pour commencer à constater de réels effets sur la protection des chouettes tachetées.

« Même si nous avions toutes les ressources, sommes-nous en mesure de repousser un envahisseur jusqu’à ce qu’une espèce native se rétablisse ? » se demande Susan Jane Brown, avocate pour le Western Environmental Law Center. Elle s’adonne à la protection des chouettes tachetées du Nord depuis plus de trente ans.

La chouette chevêche ibérique, chasseuse de rase campagne

 

LES EFFETS DE LA DÉFORESTATION

Quoi qu’il en soit, ces oiseaux restent menacés par la déforestation. Au cours de ses derniers jours au pouvoir, l’administration Trump a annoncé un plan pour ouvrir 1,37 million d’hectares de terres à l’exploitation forestière, pourtant désignées comme habitat essentiel. Il s’agissait de régions cruciales pour la survie de l’espèce. Le département de l’Intérieur des États-Unis sous la présidence de Joe Biden a d’ores et déjà demandé l’interruption de la mise en œuvre de ce plan, une requête actuellement en cours d’examen.

De telles décisions engendrent presque toujours des poursuites judiciaires. Des groupes de défense de l’environnement sont en procédure judiciaire afin de protéger les 1,37 million d’hectares alors même que l’industrie du bois est elle aussi entrée en justice pour contrer le délai imposé par Biden sur le plan de Trump. Pendant que ce bras de fer juridique se tient dans les tribunaux, l’exploitation forestière, elle, se poursuit.

Protéger l’habitat de la chouette de la coupe à blanc ne s’avérera sûrement pas suffisant. Comme le souligne l’étude, il est fort possible que les populations des chouettes tachetées du Nord soient anéanties par l’intensification des feux de forêt, induite en majeure partie par le changement climatique. L’année dernière, plus de 849 000 hectares de forêt abritant la chouette ont été décimés par les feux. À titre de comparaison, il s’agit de près de huit fois la surperficie de la Guadeloupe. De cette surface, plus de 149 000 hectares étaient cruciaux pour la nidification et le refuge de ces grands oiseaux.

Il est vrai que les petits incendies peuvent aider à créer de nouveaux habitats çà et là. Cependant, les grands brasiers, eux, sont nuisibles pour les animaux. « La principale préoccupation [ce sont] les méga-feux violents et de grande ampleur, qui ne laissent derrière eux que des bouts de bois carbonisés », déclare M. Franklin.

À elles trois, les conséquences de l’exploitation forestière, de la chouette rayée invasive et des feux de forêt sont extrêmement difficiles à surmonter.

 

QUE FAIRE POUR SAUVER CES CHOUETTES ?

Mesurer les priorités est une lutte de tous les instants. « La conservation ne dispose jamais d’assez de ressources », déplore Gwen Iacona, scientifique de la conservation à l’université d’État de l’Arizona.

Les 6,7 millions d’euros dépensés dans un projet pilote sur huit ans pour la conservation d’une seule espèce peuvent paraître une somme énorme. D’autant plus lorsque ses populations continuent de chuter malgré la mise en place d’efforts de conservation depuis des décennies. 

À titre comparatif, le coût de la relance du nombre de condors de Californie (Gymnogyps californianus), qui est passé de vingt-deux oiseaux à l’état sauvage dans les années 1980 à plus de trois-cents aujourd’hui, est estimé à plus de 29 millions d’euros. Parallèlement, la réintroduction des loups gris (Canis lupus) en Idaho et dans le parc national de Yellowstone a coûté entre 8 et 16 millions d’euros.

Mme Brown fait toutefois remarquer que l’industrie du bois a empoché des milliards de dollars grâce à l’exploitation des arbres ancestraux qui fournissent un refuge pour les chouettes. « La conservation et le rétablissement de cette espèce en danger ne valent-ils pas ces quelques millions de dollars ? »

En outre, les experts soutiennent que dans le cas de la chouette tachetée du Nord, il ne s’agit pas que d’un simple oiseau. « On ne se mobilise pas pour une unique espèce, mais pour des centaines qui dépendent des forêts ancestrales », affirme Kimberly Baker, défenseur des terres publiques à l’Environmental Protection Information Center.

En d’autres termes, dépenser cet argent pour sauver la chouette contribue à protéger de nombreux autres animaux et végétaux, explique Mme Iacona.

De plus, la diminution du nombre des chouettes rayées est bénéfique à d’autres animaux. Ces prédateurs invasifs se nourrissent de salamandres en voie de disparition, de musaraignes, de campagnols et d’écureuils volants, leur mets préféré. « Rendez-vous compte des autres conséquences qu’elles ont sur le paysage », ajoute M. Franklin.

Toutefois, si les efforts de conservation ne visent qu’à essayer « d’éliminer la chouette rayée, ce ne serait tout simplement pas quelque chose de faisable » a déclaré Matthew Betts, professeur à l’université d’État de l’Oregon.

En revanche, s’ils se concentrent sur la préservation des forêts ancestrales, ainsi que sur les bénéfices pour la chouette tachetée du Nord, les salamandres, les campagnols, les lichens et les mousses propres à la canopée, « on ne peut pas mettre un prix sur tout ça », assure M. Betts.

Quel que soit l’argument invoqué pour sauver l’espèce, qu’il soit juridique, moral ou écologique, Mme Brown craint que « l’on en vienne à dire que nous ne pouvons, ou ne voulons, pas nous le permettre ».

En attendant, le temps presse. « Il faudra un effort herculéen pour inverser le cours des choses », conclut-elle.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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