Mystère : ces pumas qui piègent et tuent des loups

« Tout le monde part toujours du principe que les loups ont le dessus. Mais ce n’est pas toujours le cas. »

De Kylie Mohr
Publication 30 août 2023, 15:19 CEST
Comme chiens et chats, vraiment ? Des pumas de l’État de Washington ciblent des loups, et les ...

Comme chiens et chats, vraiment ? Des pumas de l’État de Washington ciblent des loups, et les scientifiques ont du mal à comprendre ce comportement inhabituel. Depuis qu’ils ont été réintroduits dans l’Ouest américain en 1995, les loups ont agrandi leur territoire. Bien que certains États voisins comptent cinq fois plus de loups, l’État de Washington recense bien davantage de morts dues à des pumas ; près de 30 % des vingt-et-une morts naturelles de loups survenues dans l’État. « C’est énorme si cette tendance se confirme », s’étonne Trent Roussin, biologiste de l’État de Washington.

PHOTOGRAPHIE DE Bob Gibbons, Alamy

L’été dernier, une louve s’est aventurée à pas feutrés le long d’une ancienne route de débardage du nord-est de l’État de Washington. Cette louvette d’un an ne faisait probablement aucun bruit ou presque pendant qu’elle trottinait à travers broussailles et aiguilles de pins sèches sur ce chemin envahi par la végétation qui se dénivèle en un canyon abrupt. Quelque part dans l’ombre, possiblement dissimulés dans les buissons ou bien tapis derrière un rocher, des yeux d’ambre la guettaient. Les yeux d’un puma, qui a bondi.

Les deux animaux se sont mêlés dans un enchevêtrement de fourrure, de griffes et de dents, et tout montre que la lutte a pris abruptement fin, 100 mètres plus bas environ, quand la morsure acérée du puma a percé le crâne de la louve. Le félin s’est repu de quelques petites bouchées de loup, puis il a caché la carcasse en vue d’un repas ultérieur avant de se fondre dans la forêt.

Les équipes du Département de la pêche et de la faune de l’État de Washington (WDFW) ont documenté la mise à mort de six loups équipés d’un collier par des pumas depuis 2013, soit près de 30 % des vingt-et-une morts naturelles de loups dans l’État. « C’est énorme si cette tendance se confirme et qu’elle est représentative de l’ensemble de la population [de l’État] », s’étonne Trent Roussin, biologiste au WDFW. Ces morts concernent d’ailleurs plusieurs meutes de loups de différentes régions de l’État de Washington.

Ces morts demeurent rares dans le reste de l’Ouest américain, où l’on trouve davantage de loups depuis leur réintroduction dans le Parc national de Yellowstone, qui se situe majoritairement dans le Wyoming, et dans le centre de l’Idaho en 1995. Désormais, le Montana et l’Idaho comptent cinq fois plus de loups que l’État de Washington. 

Les biologistes de Yellowstone n’ont recensé que deux cas de pumas tuant des loups au cours des vingt-huit dernières années (le dernier remonte à 2003). L’Idaho aussi n’a recensé que deux mises à mort (la dernière remonte à 2012).

Trent Roussin montre la signature du puma sur ce crâne de loup : deux trous à l’endroit où les dents du félin l’ont percé.

PHOTOGRAPHIE DE WDFW

Dans le Montana, cinq morts de loups dues à des pumas ont été documentées entre 2009 et 2012. « Nous n’avons rien observé de tel depuis cette époque à ma connaissance », confie par e-mail Brian Wakeling, chef du Bureau de gestion du gibier.

« Cela ne fait que souligner combien c’est rare dans ces États, explique Trent Roussin. Nous avons une population bien moindre, mais nous en avons recensé bien plus. » À l’été 2008, les loups s’étaient naturellement dispersés dans l’État de Washington ; selon des recensements récents il y aurait deux cent seize loups répartis en trente-sept meutes, pour la plupart dans la chaîne des Cascades et dans la région boisée du nord-est de l’État.

 

LE FACTEUR « LOUP SOLITAIRE »

Tandis qu’une meute de loups a tendance à avoir l’avantage sur un puma solitaire – elle l’accule contre un arbre ou lui vole une carcasse pour s’en repaître elle-même –, le puma excelle dans les embuscades en tête-à-tête. Toutes les morts de loups enregistrées dans l’État de Washington, à l’exception d’une, ont concerné des loups solitaires.

« Tout le monde part toujours du principe que les loups ont le dessus, explique l’écologiste Mark Elbroch, directeur du Panthera’s Puma Program. Mais ce n’est pas toujours le cas. » (Les noms vernaculaires pumas, pumas et lions de montagne peuvent être utilisés de manière interchangeable et désignent la même espèce : Puma concolor).

La première mort de loup due à un puma recensée dans l’État de Washington date de 2013 : celle d’une femelle d’un an sous-alimentée qui arpentait une crête dans la chaîne des Cascades. En 2014, un puma a tué un autre loup de la même meute (dite de « Teanaway ») près d’un ruisseau : un jeune mâle de deux ans. Cela s’est produit de nouveau un mois plus tard : un mâle reproducteur de six ans de la meute de Smackout est mort alors que sa tanière était en vue. Plus récemment encore, les chercheurs ont également documenté de nouvelles morts dues à des pumas : celle d’une femelle de sept ans en 2019, celle d'une femelle d’un an en septembre dernier, et celle d’un louveteau plus tard le même mois.

 

UNE PISTE FOURNIE PAR DES COLLIERS DE TRAÇAGE

Ce sont des colliers radios qui ont alerté les biologistes de l’existence de cette tendance. « L’utilisation de colliers permet sans aucun doute de mettre en lumière ces histoires », affirme Dan Stahler, biologiste en charge des recherches sur les loups et les pumas dans le Parc national de Yellowstone. Quand un animal ne bouge pas pendant huit heures, son collier envoie un signal. Les scientifiques se démènent alors pour récupérer le collier et pour reconstituer le fil des événements.

Les enquêteurs cherchent d’abord des signes de braconnage humain, une cause fréquente de mort dans la région. Ils examinent ensuite la scène en quête de traces de pas animales et d’excréments et étudient la posture du loup. Une carcasse soigneusement dissimulée trahit l’œuvre d’un puma, tandis que de membres éparpillés en désordre peut être le fait d’un autre loup. Les biologistes emmènent ensuite la carcasse de loup, ou parfois juste la tête, au laboratoire pour effectuer des tests complémentaires. Les nécropsies révèlent parfois la mise à mort distinctive du puma : deux trous dans le crâne.

Quand deux espèces interagissent, c’est généralement pour se disputer une proie. Toutefois, dans un cas, une mort de loup due à un puma, recensée dans l’État de Washington, a impliqué une carcasse d’élan ; une situation difficile dans laquelle, selon les chercheurs, un puma aurait tué un louveteau pendant que sa meute se nourrissait d’un élan.

 

LE TERRAIN EST-IL LA CLÉ DE L’ÉNIGME ?

Les interactions entre loups et pumas semblent varier selon l’habitat. Des chercheurs ont découvert que des loups tuent un grand nombre de bébés pumas dans la chaîne Teton. En 2020, une étude réalisée dans cette chaîne de montagnes a mis en évidence le fait que les loups ont plus d’impact sur les populations de pumas qu’ils n’en auraient en simple contexte de chasse récréative ou de plus grande disponibilité des proies. Selon Mark Elbroch, auteur principal de l’étude, les attaques fatales de pumas sur des loups représentent « l’issue la plus rare des deux options possibles ».

Toutefois, les biologistes n’ont pas documenté les morts de pumas dues à des loups dans l’État de Washington. Et si les loups ont bel et bien tué quelques pumas ainsi que leurs petits dans le Yellowstone voisin, les chercheurs ont découvert qu’ils n’avaient pas d’effet majeur sur les populations de pumas qui y vivent. En réalité, le nombre de pumas a continué à augmenter après la réintroduction des loups.

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    Pas de loup sur une route de l’État de Washington. Les loups préfèrent généralement les zones dégagées comme les prairies, tandis que les pumas habitent des ravins et des forêts escarpés. Une hypothèse pour expliquer ces morts de loups est que le paysage de l’État donne l’avantage aux pumas, quoique cela n’ait pas été formellement étudié.

    PHOTOGRAPHIE DE WDFW

    Les données récoltées à Yellowstone avant, pendant et après la réintroduction des loups offre un aperçu de la façon prudente dont l’espèce est parvenue à coexister en divisant le paysage. Les pumas ont vu leur domaine vital rétrécir tandis que les loups se sont dispersés dans le parc, et ces premiers ont choisi des zones plus escarpées, plus abruptes et plus densément boisées.

    « C’est ce qui leur permet d’être plus furtifs, de se faufiler et de continuer à survivre dans ce paysage dominé par les loups et les ours », explique Toni Ruth, biologiste qui a étudié les pumas dans le parc de 1998 à 2006 pour l’Institut Hornocker de la faune et de la flore. Les loups qui chassent en meute préfèrent les terrains dégagés où ils peuvent distancer, fatiguer et entourer leurs proies.

    En attendant d’avoir un échantillon assez grand pour pouvoir tirer des conclusions plus définitives, Trent Roussin suggère que les différences d’habitat pourraient expliquer en partie la mortalité supérieure des loups due aux pumas dans l’État de Washington. L’État possède des montagnes abruptes, des ravins étroits et moins de prairies vallonnées et dégagées, ce qui confère peut-être un avantage aux pumas. Selon les spécialistes, d’autres facteurs pourraient être en jeu également, comme la densité des populations de pumas, la taille des meutes de loups, voire même la relative inexpérience des loups dans la région. Trent Roussin prévoit d’effectuer une analyse formelle si de nouveaux incidents viennent à se produire.

    Pendant ce temps, loups et pumas continueront à se marcher dessus, comme c’est le cas depuis des milliers d’années. « Ces deux espèces ont commencé à coexister bien avant que nous ne nous mettions à interférer avec les choses », tempère Mark Elbroch.

    Alors que les loups commencent tout juste à repeupler des régions comme l’Oregon et la Californie, il est crucial de mieux comprendre comment ils interagissent avec d’autres espèces, nous compris. « Nous traversons une époque de restauration d’espèces carnivores inédite dans l’Ouest américain, déclare Dan Stahler. La grande question qui reste sans réponse c’est la façon dont nous, en tant qu’humains, nous insérons dans cette histoire. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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