Ours dans les Pyrénées : une cohabitation difficile mais pas impossible

Fortement médiatisée, la présence d’animaux sauvages sur le sol français divise. Si experts et activistes sont enchantés par ce retour de la vie sauvage, habitants et politiques locaux, eux, s’inquiètent.

De Margot Hinry
Publication 18 déc. 2021, 11:06 CET
Les ours bruns de Cantabrie errent encore librement dans certaines régions montagneuses des Asturies, y compris ...

Les ours bruns de Cantabrie errent encore librement dans certaines régions montagneuses des Asturies, y compris la partie supérieure de la région viticole de Cangas del Narcea.

PHOTOGRAPHIE DE Ramon Navarro

Au mois de novembre dernier, une ourse a été tuée dans l’Ariège après avoir blessé un chasseur. Selon les témoins, le chasseur en pleine battue se serait retrouvé face à l’ours et à ses deux oursons. Après avoir tenté de fuir, le chasseur aurait été attaqué aux jambes. L’homme a alors tiré sur l'ourse pour se défendre, et l'a tuée. 

Léa Filippi, substitut du procureur à Foix, a précisé aux autorités qu’après enquête de l’Office français de la biodiversité (OFB) et d’une analyse de médecins légistes sur le chasseur et l’ours, il semblerait qu’il s’agisse d’une battue au sein d’une zone faisant l’objet « d’une restriction de droit de chasse ». « Des infractions au code de l’environnement lié à l’interdiction de chasser sur le lieu des faits sont susceptibles d’être relevés » affirme la substitut au procureur qui a donc pris la décision d’ouvrir une information judiciaire contre X pour « les faits de destruction d’une espèce protégée » mais aussi pour la chasse dans une zone protégée « sans consentement ».

Jean Nicolas, directeur adjoint de la Direction Nationale des grands Prédateurs Terrestres précise, selon les chiffres de l’OFB, qu’en 2020, 64 ours étaient recensés sur le territoire français, avec des variations de l’ordre de 2-3 % selon la natalité et la mortalité. Une cinquantaine de ces ours vit notamment dans la région de l’Ariège. Les deux députés du département ont adressé un courrier au Premier ministre Jean Castex au mois de novembre 2021, pour signaler leur inquiétude grandissante et leur lassitude face au « manque de considération » du gouvernement sur ces questions. Ils interpellent le Premier Ministre et demandent une réponse claire quant aux solutions qui seront mises en place pour « concilier la protection des usagers de la montagne, le maintien des activités humaines et l’ours, une espèce protégée ».

Un ours brun manque sa prise aux Brooks Falls, en Alaska. Quand les choses vont bien, un ours peut attraper et manger 30 poissons par jour.

PHOTOGRAPHIE DE Taylor Thomas Albright, National Geographic Your Shot

UN DÉBAT VIEUX DE PLUS DE 20 ANS

C’est en 1996 que l’opération de réintroduction d’ours dans les Pyrénées a été lancée. En avril de cette année-là, Ziva, une ourse de 102 kilos provenant de Slovénie, a été relâchée à Melles, en Haute-Garonne. S’en est suivie l’introduction de Mellba, une ourse de 98 kilos. Déjà, la décision était très contestée par les habitants de la région, inquiets des éventuels rencontres Homme - animaux sauvages.

Aujourd’hui, suite à de nombreux décès accidentels ou liés à la chasse, la population d’ours dans les Pyrénées n’est toujours pas viable. En 2018, l’État Français a été condamné par le tribunal de Toulouse pour manque d’investissement dans la protection de l’espèce. Les associations déposent de nombreuses plaintes face à une extinction proche des ours en France. La même année, deux femelles ourses sont introduites à Béarn, ce qui ne plaît alors ni aux éleveurs, ni aux élus locaux.

Cette année, la question épineuse de l’ours dans les Pyrénées suscite toujours de vives réactions. Un « préfet ours » nommé a été nommé fin novembre 2021 pour se consacrer à l’espèce protégée et pour renforcer le dialogue entre les différents acteurs sur le sujet. 

« Avec l’ours, l'Homme se retrouve confronté à un animal territorial et social lui aussi, capable de stratégie et d'adaptation. C’est un animal furtif, rarement visible, difficile à maîtriser, avec lequel, historiquement, l’Homme a toujours entretenu une relation de fascination / répulsion » explique Yann Laurans, responsable du pôle biodiversité terrestre chez WWF France.

Des pétitions ont été lancées pour demander l’arrêt des battues de sangliers dans des zones où les ours ont été repérés. 

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    RENONCER OU COHABITER ?

    Pour concilier cette vie sauvage et humaine, il faut mettre en place des règles de conduite et des protocoles pour savoir comment réagir en cas de rencontre, selon les experts en cohabitation animaux-humains. Des formations de conduite à tenir en battue lors de rencontres avec des ours sont vivement recommandées par les experts en faune sauvage pour apprendre à cohabiter avec ces animaux. « On fait, nous humains, partie de la nature et on a besoin de la nature pour survivre. La nature n’a pas forcément besoin de nous, et ça on a encore du mal à le comprendre » regrette Marine Drouilly, Coordinatrice régionale de la surveillance des carnivores pour l'Afrique occidentale et centrale et chercheuse travaillant sur les relations humains-animaux.

    La chercheuse précise que les Ariégeois ne sont pas anti-ours, mais que c’est « une minorité, assez médiatisée, notamment du fait des discours et des méthodes parfois violentes que cette minorité emploie ».

    « Les Pyrénées ont largement la place pour accueillir des humains et des ours. Si l'Inde arrive à cohabiter avec des tigres, des léopards, des ours et des loups, on peut sûrement arriver à coexister avec quelques ours dans les Pyrénées. Des mesures de protection efficaces et soutenues par l'État existent, mais encore faudrait-il qu'elles soient mises en place » explique Marine Drouilly.

    L’experte développe en indiquant que depuis 2019, « il n’y a pas eu de formation Conduite à tenir en battue avec les ours faite par la Fédération de Chasse (FDC) de l'Ariège, la FDC Ariège ne participant pas aux réunions du réseau Ours, contrairement aux autres FDC des Pyrénées ». Elle ajoute que « depuis 2009, la FDC Ariège a clairement dit qu’elle ne voulait pas s’engager dans une discussion et concertation avec l’État pour arriver à une cohabitation ours-chasseurs ».

    Jean Nicolas le rappelle, « depuis que l’ours est présent en France, les cas d’accidents sont fort heureusement extrêmement rares. Ce n’est pas parce qu’un accident est arrivé qu’il faut exterminer tous les ours et considérer que la cohabitation n’est plus possible ! Sinon on va exterminer les guêpes, les frelons, les voitures, tout ce qui représente un risque pour l’Homme ! Il est essentiel de sortir des caricatures ». L’ours est un animal qui opte pour un comportement agressif par peur dans un contexte très particulier. Il faut comprendre et apprendre à adapter notre comportement pour que l’animal ne se sente pas agressé ou surpris, « dans une logique de coexistence la plus apaisée possible » conclut l’expert de l’OFB.

    Marine Drouilly ajoute qu’en 2021, dans les Pyrénées, deux oursons et leur mère Sorita, se seraient retrouvés pris au milieu de deux battues de sanglier. « Mais, les chasseurs ayant suivi les consignes, tout s’est bien passé. Ce qui montre qu'avec une formation adéquate et de la bonne volonté, on peut faire cohabiter activités humaines et grands prédateurs ».

    « Il importe de sortir de l’impasse des deux visions antagonistes et de voir concrètement comment des territoires, des éleveurs, s’organisent face à la présence d’un prédateur qu’ils ne souhaitent pas, mais qui s’impose à eux » témoigne Yann Laurans.

    Pour l'expert, la présence de l'ours est « indéniablement bénéfique pour la biodiversité, mais tout comme l'élevage extensif [...] Il est donc impératif de trouver, au plus près des spécificités de chaque territoire, de chaque élevage, le bon point d’équilibre. » 

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