Du côté obscur : plongée dans le royaume des créatures des abysses

Dans les grandes profondeurs, des animaux ont évolué pour vivre avec peu de lumière. La santé des océans pourrait dépendre de ces étranges créatures.

De Helen Scales, photographies par David Liittschwager
Publication 4 mars 2024, 09:23 CET
La nuit, le terrifiant poisson-vipère du Pacifique (ou chauliode féroce), long d’environ 30 cm, remonte à ...

La nuit, le terrifiant poisson-vipère du Pacifique (ou chauliode féroce), long d’environ 30 cm, remonte à la surface pour chasser. Ses dents semblables
à des aiguilles forment une cage dans laquelle il piège ses proies.

PHOTOGRAPHIE DE David Liittschwager

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Sur le pont d'un navire de recherche ballotté par les flots de la baie de Monterey, en Californie, Karen Osborn inspecte une glacière remplie d’eau de mer et la myriade de formes de vie qui s’y agitent. Quelques instants plus tôt, elles ont émergé d’un filet qui a été lentement remorqué à environ 450 m de fond dans un royaume d’encre, d’une obscurité quasi totale. «C’est une bonne prise», constate-t-elle.

La plus intrigante est un calmar d’un rouge rubis éclatant, de la taille d’une main. Histiotheutis heteropsis, ou calmar fraise, comme on le surnomme, est bien adapté à son habitat. Lorsque sa couleur rouge est absorbée par les profondeurs sans soleil, il vire au noir brunâtre et se fond ainsi dans son environnement. Sur son corps, des éclairs sporadiques de lumière bioluminescente font frémir les intrus. Ses yeux asymétriques peuvent regarder dans deux directions à la fois : le premier, énorme et jaune, dirigé vers le haut, détecte les silhouettes qui passent au-dessus de lui. Le second, petit et bleu, scrute l’obscurité des profondeurs, à l’affût d’une proie lumineuse.

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    Le « calmar fraise » peut regarder dans deux directions à la fois. Les grains sur sa peau évoquant ceux d’une fraise sont en réalité des photophores émettant de la lumière.

    PHOTOGRAPHIE DE David Liittschwager

    Karen Osborn, zoologue spécialiste des invertébrés au Muséum national d’histoire naturelle de la Smithsonian Institution, à Washington, est familière des animaux fantastiques qui peuplent la zone crépusculaire, une strate horizontale obscure de l’océan, située à des profondeurs comprises entre 200 et 1000 m. Au cours des vingt-cinq dernières années, elle a étudié cette zone à distance, à l’aide de robots équipés de caméras, ou s’y est rendue elle-même à bord de submersibles. Avec d’autres chercheurs, elle a notamment découvert que la peau des poissons qui la peuplent peut devenir d’un noir profond et que le corps des Cystisoma, un genre de crustacés, est si transparent qu’il est quasi invisible. «À chaque descente, nous voyons quelque chose de nouveau», s’enthousiasme-t-elle. 

    Difficile d’accès et coûteuse à étudier, la zone crépusculaire, dite aussi « zone mésopélagique », représente un cinquième du volume total des océans et reste en grande partie inexplorée. Elle commence dès lors que la photosynthèse n’est plus possible et se poursuit jusqu’à la limite de pénétration de la lumière du Soleil. Les animaux qui y vivent ont développé toutes sortes d’artifices pour s’adapter à l’absence de lumière, tout en évitant les prédateurs. «Ils ont des formes et des tailles dingues ; certains sont transparents, d’autres métallisés, rouges ou encore noirs, détaille Karen Osborn. Tous résolvent le même problème, mais d’une façon différente. » 

    Au début de leur vie, nombre d’animaux participent à une migration verticale, la nuit, de la zone crépusculaire vers la surface, telle cette larve de crabe dans sa forme précoce, dite « stade zoé ».

    PHOTOGRAPHIE DE David Liittschwager

    Si de telles créatures semblent à première vue appartenir à un autre monde, la zoologue et d’autres chercheurs ont découvert qu’elles jouent un rôle essentiel dans la santé des océans et dans l’équilibre du climat de la planète. Or il devient de plus en plus évident que même cette zone profonde n’est pas hors de portée de l’homme, ce qui rend plus urgente que jamais une meilleure compréhension du fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème marin.

    De retour à terre, les prises de la chercheuse sont transférées au laboratoire de l’Institut de recherche de l’aquarium de la baie de Monterey (MBARI), où Karen Osborn et ses collègues commencent à trier le mélange de minuscules animaux.

    « Il y a une Paraphronima géante, s’exclame la chercheuse. Elle est énorme ! » 

    Bien que ce spécimen ne mesure guère plus que l’ongle du petit doigt, il est relativement gros pour ce groupe de crustacés : ces lointains parents des puces de mer appelés amphipodes hypérides peuvent être de la taille d’une puce, et même plus petits. Dans la zone crépusculaire, les amphipodes ont développé des yeux uniques et composés, avec lesquels ils captent le moindre rayon de lumière: des yeux vitreux occupent ainsi toute la tête de Paraphronima, tandis qu’une autre espèce du genre Streetsia n’est doté que d’un seul globe oculaire conique. 

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