Découverte d’un fossile de requin « ailé » au Mexique

L’étrange squale vieux de 95 millions d'années, au corps profilé, doté de grandes nageoires semblables à des ailes, est la première créature ancienne de la sorte jamais mise au jour.

De Riley Black
Publication 22 mars 2021, 18:33 CET
Aquilolamna milarcae

Mise au jour dans des couches de roches vieilles de 95 millions d’années à Vallecillo au Mexique, la nouvelle espèce marine décrite ressemble à un requin doté de larges nageoires lui permettant de glisser dans l’eau comme une raie manta.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration d'Oscar Sanisidro

Des paléontologues ont fait une découverte digne d’un film de science-fiction à petit budget : ils ont mis au jour, dans une roche datant du Crétacé au Mexique, un requin semblable à une raie manta. L’étrange squale au corps profilé, doté de grandes nageoires semblables à des ailes, est la première créature ancienne de la sorte à avoir été découverte.

C’est un carrier inconnu qui a mis au jour l’ensemble d’ossements pour le moins étranges en 2012 dans des couches de roches datant d’il y a 95 millions d’années, rapporte Romain Vullo, chercheur au CNRS. La découverte du fossile est parvenue aux oreilles d’un paléontologue, Margarito González González, qui a collecté et préparé le squelette en le débarrassant de la roche. Les clichés du requin n'ont pas tardé à faire des émules lors des conférences de paléontologie, et le spécimen a finalement été décrit dans une étude publiée le 18 mars dans la revue Science.

Baptisé Aquilolamna milarcae, le fossile de 1,80 mètre de long appartient à un type de requin inédit capable de filtrer sa nourriture. « Lorsque j’ai vu ce fossile, je me suis immédiatement dit que cette morphologie unique était totalement nouvelle et inconnue chez les requins », raconte Romain Vullo, auteur principal de la nouvelle étude. En général, ce sont les dents et d’éventuels fragments de colonne vertébrale qui permettent d’identifier les fossiles de requins. La mise au jour d’un squelette complet et aussi étrange constitue une opportunité rare d’étudier l’anatomie de cet ancien nageur.

Ce fossile d’une créature marine qui vivait au Crétacé est l’un des plus anciens exemples d’un animal qui se déplaçant « en volant sous l’eau » à l’instar des raies mantas actuelles.

Image de Wolfgang Stinnesbeck

Aucune dent appartenant à Aquilolamna n’a été retrouvée, mais Romain Vullo et ses collègues estiment que le spécimen appartient à la famille de requins qui comprend les grands requins blancs, les requins makos et les requins-pèlerins. Sa tête, large et longue, et ses nageoires semblables à des ailes indiquent que ce squale n’était pas un chasseur ; Aquilolamna était vraisemblablement un animal filtreur, qui se nourrissait de plancton et d’autres petits organismes présents dans l’eau en ouvrant grand la gueule.

 

UNE CURIOSITÉ PRÉHISTORIQUE

Aquilolamna présente des traits propres aux requins, ainsi qu’aux raies mantas (qui ont acquis leur forme actuelle des millions d’années après Aquilolamna). Si son long corps semblable à un tube est similaire à celui de nombreux requins qui peuplent aujourd’hui les océans, ses larges nageoires pectorales, en forme de grandes ailes, rappellent celles des raies mantas et des mobulas.

Ce spécimen serait donc l’un des plus anciens animaux décrits à se déplacer en « volant sous l’eau », battant lentement ses nageoires comme les raies mantas actuelles. « Aquilolamna nageait sans doute lentement, en bougeant légèrement sa nageoire caudale (sa queue). Ses longues nageoires pectorales devaient principalement agir comme moyen de stabilisation efficace », souligne Romain Vullo.

Selon Kenshu Shimada, professeur de paléobiologie à l’université DePaul de Chicago, ce type de corps est tout à fait inattendu pour un requin. Si les requins qui vivaient avant l’époque des dinosaures pouvaient se présenter sous de multiples formes, les scientifiques pensaient qu’ils avaient déjà acquis une forme plus moderne au Crétacé.

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    Aquilolamna serait donc la preuve que de nombreux requins à l’allure singulière ont existé pendant plus longtemps que ce que l'on pensait. « Le corps et le mode de vie d’animal filtreur décrits dans cette nouvelle étude sont très intéressants », estime le professeur de paléobiologie.

     

    UNE IDENTITÉ À CONFIRMER 

    L’hypothèse selon laquelle cette nouvelle créature était un requin semblable à une raie ne fait cependant pas l’unanimité chez les chercheurs. « Il existe de nombreux traits inhabituels décrits par ces auteurs ; de plus, j’ai quelques réserves quant à certaines de leurs interprétations. Il serait très intéressant de mener d’autres études sur ce nouveau et remarquable fossile », déclare Allison Bronson, paléontologue à l’université d’État de Humboldt en Californie.

    L’étude fait état d’empreintes de peau d’Aquilolamna, mais celles-ci ne sont pas montrées suffisamment en détail pour permettre à des chercheurs extérieurs de déterminer si les tissus correspondent bien à de la peau fossilisée ou s’il s’agit plutôt d’une autre matière semblable à la peau, comme un tapis microbien. En outre, même si ce poisson se nourrissait sans doute de plancton ou d’autres petits organismes qu’il filtrait dans la colonne d’eau, il possédait peut-être de minuscules dents pointues semblables à celles des requins filtreurs actuels, comme le requin-pèlerin et le requin grande-gueule. Ces dents permettraient d’identifier les liens évolutifs entre ces espèces, mais aucune n’a été retrouvée avec le fossile.

    « Il est regrettable qu’aucune dent n’ait été conservée sur le spécimen, car cela aurait permis aux chercheurs de déterminer l’affinité taxonomique exacte de ce nouveau requin », explique Kenshu Shimada.

    Des analyses et découvertes supplémentaires seront nécessaires pour confirmer que cet animal était bien un requin filtreur. Si cette interprétation s’avère juste, Aquilolamna se nourrissait de plancton bien avant que ses parents modernes évoluent pour en faire de même. Peut-être possédait-il une technique de nourrissage par filtration particulière acquise avant l’extinction de masse survenue à la fin du Crétacé, qui a éliminé environ 75 % des espèces marines. Les autres animaux filtreurs, notamment les ancêtres des requins grande-gueule, des baleines et des requins-pèlerins, ont quant à eux évolué après le rétablissement des océans.

    Si Aquilolamna est bien apparenté aux requins-pèlerins, d’autres requins ou créatures marines encore plus étranges attendent sans doute d’être mis au jour par les paléontologues. « Les fossiles de requins et de raies sont intéressants » en ce qui concerne les périodes couvertes, mais « la forme corporelle de nombreuses espèces éteintes reste énigmatique », indique Romain Vullo. Certaines dents découvertes par les paléontologues appartiennent peut-être à des animaux dont on ignore encore beaucoup de choses.

    Ainsi, Otodus megalodon, le célèbre requin géant, a été décrit uniquement à partir de dents et de vertèbres (mégalodon signifie « grande dent » en grec), ce qui a donné lieu à de nombreuses interprétations quant à l’apparence du squale. Les fossiles exceptionnels, comme celui d’Aquilolamna, suggèrent que de nombreux requins étaient sans doute bien plus bizarres que ce à quoi s’attendaient les scientifiques.

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    « La découverte de squelettes complets dans des régions comme celle de Vallecillo peut réserver quelques surprises », confie Romain Vullo.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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