Un champignon mortel défigure les serpents d’Amérique du Nord

Ophidiomyces ophiodiicola est un pathogène encore mal connu qui se répand au sein de la faune nord-américaine.

De Jason Bittel
Publication 9 déc. 2021, 16:25 CET
Timber rattlesnake infected with Ophidiomyces (snake fungal disease)

Au moins 25 espèces de serpents (ici, un crotale des bois infecté) ont contracté la maladie.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Hamilton, Alamy

En 2008, des chercheurs ont découvert trois massasaugas morts, la tête boursouflée et défigurée, dans une forêt de la région de Carlyle, dans l’Illinois. Cela avait beau faire neuf ans qu’ils surveillaient cette espèce en danger par le biais d’un programme, c’était la toute première fois qu’ils observaient un phénomène de ce genre.

Selon Matthew Allender, ces reptiles étaient si défigurés que les experts ont d’abord cru qu’ils s’étaient fait écraser par des voitures.

« Nous avons donc effectué des prélèvements, beaucoup de tests et, tenez-vous bien, nous avions là les premiers cas avérés d’Ophidiomyces ophiodiicola chez des serpents en liberté », raconte Matthew Allender, vétérinaire et épidémiologiste de la faune à l’Université d’Illinois et à la Société zoologique de Chicago, qui avait publié ses premiers résultats en 2011.

On avait déjà découvert un cousin proche de ce champignon (qui tue les serpents en submergeant leur système immunitaire) chez un serpent élevé en captivité, mais ça ne s’est produit qu’une seule fois et ce n’était pas dans la nature. Dix ans après sa découverte, Matthew Allender et ses collègues ont identifié O. ophiodiicola chez 25 espèces de serpents dans 19 États des États-Unis et territoires canadiens. Cette maladie parfois mortelle porte un nom : la maladie fongique du serpent (MFS). Fort heureusement, celle-ci ne présente aucun danger pour l’humain.

« Je pense qu’elle est partout », constate Matthew Allender, qui s’est aperçu que ce champignon est présent jusque dans l’Ouest américain aussi bien qu’à Porto Rico. Même s’il n’infecte pas toutes les espèces de serpent, « nous le retrouvons dans des lieux reculés ». 

Une étude parue au mois de juillet dans Emerging Infectious Diseases montre que ce champignon était présent chez certains spécimens de serpents aujourd’hui conservés dans des musées dès 1945. Ces spécimens venaient déjà de plusieurs endroits différents aux États-Unis.

D’après Jeffrey Lorch, auteur principal de l’étude et microbiologiste de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, il est crucial de déterminer l’origine de la maladie pour savoir ce que la recherche peut faire, si toutefois elle peut faire quelque chose, pour lutter contre cette nouvelle affection.

Si c’est quelque chose qui a été rapporté par des gens en Amérique du Nord, « nous devrons peut-être nous concentrer sur la prévention de la propagation [de la maladie] », explique-t-il. « Alors que si c’est quelque chose qui est là depuis plus longtemps, il faudra que nous nous intéressions davantage à la façon d’aider les serpents à faire face au pathogène directement. »

C’est pour cette raison qu’avec ses collègues il réalise en ce moment des analyses génétiques du pathogène. Il cherche à savoir si celui-ci s’est retrouvé par inadvertance sur le continent, comme cela a été le cas pour Pseudogymnoascus destructans, champignon vraisemblablement d’origine européenne provoquant le syndrome du nez blanc chez la chauve-souris.

Les résultats se font attendre. En effet, des 11 000 espèces de reptiles recensées, quasiment une sur cinq est menacée d’extinction à cause de l’humain (destruction des habitats, changement climatique…) Rajoutez une maladie fongique à l’affaire et, selon Jeffrey Lorch, on pourrait s’apercevoir que de nombreuses espèces sont incapables de supporter un danger supplémentaire.

 

UNE DÉCOUVERTE DANS LE NEW HAMPSHIRE

Le premier signe important de l’émergence de ce champignon est apparu en 2006. Des experts du ministère de la pêche et de la chasse du New Hampshire avaient alors remarqué que certains crotales des bois, espèce menacée de l’État, avaient des cloques brunes et craquelées au niveau du cou et du visage.

« Au départ, cela ne semblait pas trop inquiétant », confie Michael Marchand, biologiste de la faune en charge du programme de protection de la faune du New Hampshire.

Duel mortel de crotales

Mais les spécialistes n’ont pas tardé à découvrir le cadavre d’un crotale, visiblement mort d’une « grave infection buccale d’origine fongique », écrivait-il dans une étude parue en 2011.

L’épidémie, plus tard associée à la MFS, a décimé environ 50 % des crotales des bois de l’État ; de 40 individus adultes on est passé à 19.

« C’était lourd de conséquences, et inquiétant », déclare-t-il.

Heureusement, la population a survécu et compte aujourd’hui quelque 50 membres, selon Michael Marchand. On ne sait pas à quoi est due cette augmentation. Il est possible selon lui que les rescapés aient transmis une forme d’immunité à leur descendance.

 

UNE MYSTÉRIEUSE MALADIE

Cela fait près de dix ans que Jeffrey Lorch et Matthew Allender cherchent à savoir si ces serpents ont développé une immunité. Et ce n’est qu’un des nombreux mystères qu’ils essaient de dissiper.

L’équipe a par exemple découvert que la MFS est systémique. Elle attaque d’abord la peau et provoque ensuite, dans certains cas, des lésions internes. Mais ce ne sont pas ces dernières qui sont mortelles. Matthew Allender pense qu’ils meurent à cause d’une réaction immunitaire disproportionnée.

À ce jour, la science est en mesure d’affirmer que les serpents se transmettent la maladie lorsqu’ils se touchent. Cela veut non seulement dire que les espèces qui vivent dans le même repaire ou qui hibernent ensemble sont exposées, mais également que la parade nuptiale et l’accouplement sont des modes de transmission. Selon Jeffrey Lorch, le champignon peut également se transmettre des mères à leurs petits.

De plus, selon Matthew Allender, de très nombreux terrains et habitats sont propices à l’épanouissement de ce champignon.

« Les conditions pour qu’il puisse se développer sont bien moins contraignantes que pour le syndrome du nez blanc qui est déjà très contagieux », explique Matthew Allender. Le fonge P. destructans a tué plus de six millions de chauves-souris en Amérique du Nord. 

Bien qu’Ophidiomyces ait été découvert chez des dizaines d’espèces de serpents, il semble en toucher certains plus durement que d’autres. Des chercheurs ont par exemple mesuré un taux d’infection de 80 % chez certaines couleuvres d’eau (leur mortalité reste toutefois relativement faible). Les crotales et certaines espèces de vipères sont pour leur part particulièrement vulnérables aux infections et en meurent plus facilement.

À un moment donné, la mortalité des massasaugas infectés était de plus de 90 %. Bien que l’épidémie n’ait pas décimé cette espèce originaire du nord-est des États-Unis et du Midwest, « elle n’est pas en forme », pour reprendre les mots de Matthew Allender.

 

L'ESPOIR EST PERMIS

Selon les défenseurs de l’environnement, la bonne nouvelle est que ce champignon ne semble pas être aussi nocif pour les serpents que le sont le syndrome du nez blanc ou la chytridiomycose pour certains amphibiens d’Amérique Centrale dont la mortalité a pu atteindre 100 %. 

« Des choses comme les chytrides et le syndrome du nez blanc ont surgi et entraîné des déclins massifs de population dans un laps de temps très court, mais d’autres maladies agissent de manière bien plus latente », affirme Jeffrey Lorch. Selon lui, la maladie fongique des serpents « pourrait potentiellement être une maladie de type traînant ».

Pendant ce temps-là, la plus grosse inquiétude semble être du côté des serpents rares comme le serpent indigo, qui est menacé en Géorgie et en Floride à cause de la destruction de son habitat. Ces serpents noirs et iridescents ont également besoin des terriers creusés par les tortues gaufrées (autre reptile menacé), selon Houston Chandler, directeur scientifique de l’Orianne Society, organisation géorgienne spécialisée dans la sauvegarde des serpents indigos.

En d’autres termes, les serpents indigos ont déjà bien assez de problèmes. Mais dans certains endroits du sud de la Géorgie, plus de la moitié sont touchés par la MFS. À ce jour, les chercheurs n’ont toutefois pas enregistré de mortalité de masse chez les serpents infectés.

« Donc ce n’est pas encourageant mais il ne semble pas que ce soit une menace immédiate pour leur conservation », affirme Houston Chandler.

 

LA COURSE AUX REMÈDES

Steven Price, spécialiste en biologie de la conservation de l’Université du Kentucky et explorateur National Geographic passionné par les couleuvres royales, indique que certaines études montrent que cette infection fongique modifie toutefois le comportement des serpents touchés.

Même s’il ne peut pas l’affirmer avec certitude, Steven Price devine que les serpents infectés passent plus de temps au Soleil que ceux qui ne le sont pas. Peut-être dans le but de faire augmenter leur température corporelle afin de combattre le fonge.

Dans le New Hampshire, Michael Marchand et ses collègues se sont aperçus que les crotales des bois migrent aux endroits où il y a des brèches dans la canopée de la forêt, ce qui tend à montrer que l’exposition à la lumière du Soleil maintient les serpents en bonne santé.

Pour vérifier cela, ils abattent des arbres à certains endroits pour que leurs serpents aient plus d’espace pour se prélasser. 

Dans la même veine, l’équipe de Matthew Allender teste de potentiels traitements antifongiques.

Ils ont testé le propriconazole, fongicide populaire vendu sans ordonnance et utilisé fréquemment sur les arbres fruitiers et les arbustes. D’après Matthew Allender, celui-ci n’avait aucun effet sur Ophidiomyces, bien au contraire : il favorisait plutôt la croissance du champignon.

Mais il existe une autre option, la terbinafine, qu’on emploie déjà pour traiter les champignons qui se glissent sous les ongles des humains. Dans le cadre d’une étude publiée en 2017, Matthew Allender avait placé des mocassins d’eau dans des nébuliseurs et montré que le médicament s’accumulait dans leur corps dans des proportions importantes. Des implants de terbinafine à diffusion lente ont également démontré leur efficacité.

Si de nouvelles études venaient prouver que la terbinafine tue bien O. ophiodiicola, ces deux méthodes d’administration pourraient constituer des procédés non invasifs et sûrs pour traiter des espèces sauvages et venimeuses menacées de disparaître.

Jeffrey Lorch ajoute que de manière générale il n’y a pas assez de financements pour étudier les pathogènes affectant les reptiles. Ceci est en partie dû au fait que « les serpents sont aujourd’hui encore un groupe pestiféré et qu’en conséquence l’intérêt que leur porte le public n’est pas énorme ».

« Il ne faut pas que, rendus dans quelques dizaines années, nous nous apercevions qu’il aurait fallu investir davantage dans l’étude de ces maladies », prévient-il.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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