Le Katmai, paradis de l'ours brun

Sur la côte reculée de Katmai, en Alaska, les visiteurs sont aux premières loges pour découvrir ces superprédateurs.

De Acacia Johnson
Photographies de Acacia Johnson
Publication 10 sept. 2024, 14:47 CEST
Cet ours brun cherche des saumons le long d’un ruisseau dans le parc national de Katmai, ...

Cet ours brun cherche des saumons le long d’un ruisseau dans le parc national de Katmai, en Alaska, aux États-Unis. Ici vit l’une des populations d’ours bruns les plus denses du monde.

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Une ourse et son petit avancent calmement vers nous dans la prairie. L’ourson passe son deuxième été ici, à Hallo Bay, sur la côte du parc national de Katmai, en Alaska, aux États-Unis. Même s’il imite le comportement adulte de sa mère, il reste joueur et affectueux. Tous deux finissent par s’assoir et par se blottir l’un contre l’autre pour une courte sieste. Notre présence ne les inquiète pas le moins du monde. Le sentiment est réciproque. En une demi-heure, mon compagnon – qui, comme beaucoup de ceux qui viennent à Katmai pour la première fois, craignait d’approcher de si grands prédateurs – se sent tellement à l’aise qu’il s’assoupit à son tour.

Environ 2 200 ours bruns vivent dans les 16 000 km² du parc national et réserve de Katmai. Sa côte pacifique, séparée du reste du parc par la chaîne Aléoutienne, abrite l’une des plus fortes densités de population d’ours bruns connues. La richesse des ressources – prairies à cypéracées (dont les laîches), saumons ou couteaux (Siliqua patula) – leur permet de se rassembler en nombre et d’avoir suffisamment de nourriture à partager. Cela fait d’une zone d’abondance comme Hallo Bay l’un des meilleurs sites d’observation de l’ours brun dans le parc.

Dave Bachrach, soixante-sept ans, organise des excursions d’observation de ces animaux à Katmai depuis plus de vingt ans. C’est un homme calme et posé. En le suivant, les touristes peuvent pénétrer, durant quelques heures, le monde des plantigrades. « J’ai envie qu’[ils] voient les ours dans leur milieu naturel, quand ils ne réagissent pas à notre présence », dit-il.

D’aussi loin que je me souvienne, les ours bruns ont fait partie de ma vie. Durant leur vingtaine, mes parents passaient leurs étés à gérer l’un des premiers camps d’observation d’ours bruns en Alaska, sur la côte, juste au nord des limites du parc de Katmai. Ces mammifères étaient vénérés dans notre famille, et nous les considérions comme des individus ayant leur personnalité propre, comme la recherche l’a démontré. « Vivre avec les ours exige du respect », me disait ma mère.

Façonné par l’activité volcanique et glaciaire, le cap Douglas fait partie des 800 km de côtes du parc de Katmai, le long du détroit de Chelikhov. Les ours bruns y sont partout.

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Leurs cinq ans passés comme guides d’observation, au milieu des années 1980, ont correspondu à un moment charnière de l’évolution des mentalités en Alaska, alors que le tourisme centré sur l’ours brun était jusqu’alors synonyme de chasse au trophée. Les biologistes et les employés du sanctuaire de gibier d’État de la rivière McNeil ont appris à déchiffrer son comportement, remettant en cause les idées reçues sur son caractère imprévisible.

Ils ont découvert que, si les humains agissaient de façon tout aussi prévisible – en se limitant à de petits groupes de visiteurs accompagnés de guides, en respectant le comportement et le territoire des ours et en ne les exposant jamais à de la nourriture humaine –, les plantigrades pouvaient devenir, avec le temps, tolérants à la présence de l’homme. J’ai grandi en allant souvent au bord de la rivière McNeil, où voir quarante ours à la fois dans le paysage n’avait rien d’exceptionnel.

Il y a près de cinquante ans, le gestionnaire le plus influent du sanctuaire de gibier de la rivière McNeil, Larry Aumiller, a lancé un programme couronné de succès qui permet aujourd’hui encore aux visiteurs de contempler les ours bruns depuis le même lieu, chaque jour de l’été. Les gardes donnent un nom à chaque animal pour l’identifier et consignent quotidiennement de nouvelles observations venant enrichir des décennies de recherches.

C’est là que j’ai appris à observer les techniques de pêche particulièrement inventives des ursidés : saisir des poissons au vol près de chutes d’eau, les attraper en plongeant, ou attendre en aval les reliefs de repas d’ours plus costauds. Les mères peuvent se montrer attentives et protectrices, élever leurs petits avec discipline, mais aussi faire preuve de souplesse, les laissant gambader librement.

Mes souvenirs les plus marquants concernent les incroyables démonstrations de vulnérabilité et de confiance des ours : une femelle appelée T-Bear qui avait choisi d’allaiter ses petits devant l’objectif de mon appareil photo ; ou cette ourse blonde s’approchant de mon père et moi pour faire une sieste à l’ombre à nos côtés. Mais, enfant, je n’avais pas réalisé que ce qui rendait ces moments possibles, c’était la façon dont ces terres étaient protégées et gérées. Pour Larry Aumiller, passer du temps avec des ours dans la nature, c’est apprendre à partager l’espace avec des animaux sauvages. À Katmai, la démarche ne date pas d’hier : des traces d’habitations humaines datant de 9 000 ans ont été découvertes le long de rivières regorgeant de saumons, où les ours viennent toujours pêcher.

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    Une ourse allaite son petit à Hallo Bay, face aux touristes. Les vastes prairies à cypéracées, riches en protéines, offrent assez de nourriture avant le retour des saumons, l’été.

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    L’une des plus lourdes menaces pesant sur les ours bruns est la perte irréversible de leur habitat. Dans le monde, ils n’occupent plus que 2 % de leur ancienne aire de répartition. Presque tous ceux qui subsistent aux États-Unis vivent là, en Alaska. Les vastes étendues vierges de Katmai sont précieuses : un seul ours peut y parcourir l’été plus de 80 km pour trouver la nourriture qui lui permettra de survivre à l’hiver.

    Le besoin urgent de préserver cette terre peut paraître abstrait – tant que vous n’aurez pas vu de vos yeux une mère ourse et son petit.

    Les ours bruns appartiennent à l’espèce Ursus arctos, qui comprend aussi les grizzlis. Mesurant entre 2 m et 2,75 m et pesant jusqu’à 680 kg, ils se nourrissent chaque été de poissons et de végétaux. Près de la moitié des visiteurs de Katmai vont les voir pêcher le saumon dans les terres, aux chutes de Brooks. Des hydravions sont alignés côte à côte devant la plage, tandis que les touristes sont accueillis par une vidéo dispensant des consignes de sécurité. Les deux boutiques de souvenirs et le restaurant ne désemplissent pas. La dernière fois que je suis venue ici, on m’a remis un bipeur avec la photo d’un ours et annoncé un temps d’attente de quarante-cinq minutes. L’endroit est parfait pour être sûr de les observer, mais l’expérience n’a rien à voir avec celle que l’on vit sur la côte sauvage, en petit groupe, entouré d’ours dans toutes les directions.

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