Climat : les lacs gelés en hiver bientôt conjugués au passé

D'ici quelques décennies, les lacs pourraient être libres de glace l'hiver, mettant un terme aux loisirs qui y sont pratiqués et affectant des millions d'entre nous.

De Alejandra Borunda
Publication 30 janv. 2019, 09:03 CET
Au Minnesota, dans la forêt nationale de Superior, un lac fond.
Au Minnesota, dans la forêt nationale de Superior, un lac fond.
PHOTOGRAPHIE DE Jim Brandenburg, Nat Geo Image Collection

Depuis des centaines d'années, les prêtres shintos qui vivent sur les berges du Lac Suwa, situé dans la préfecture de Nagano au Japon, regardent la surface de ce dernier geler chaque hiver. Au milieu de la saison, la glace craque et se reforme, créant une longue crête dentelée qui s'étend d'une rive à l'autre. Selon la légende, cette crête représente les empreintes de pas d'un dieu qui traverse le lac pour voir sa bien-aimée.

Chaque année, et ce depuis 1442, les prêtes relèvent la date à laquelle le lac gèle et la crête de pression se forme. En fonction des années, cette dernière apparaissait soit trop tôt, soit avec quelques jours de retard, mais le lac gelait toujours suffisamment pour que le dieu puisse effectuer son pèlerinage annuel.

Mais depuis la Révolution industrielle, en raison des conséquences inexorables du réchauffement climatique, la couche de glace du Lac Suwa s'est amincie. Il est plus fréquent désormais que sa surface reste noire et libre de toute glace.

Le lac Suwa n'est pas le seul concerné. Selon une nouvelle étude publiée lundi dans la revue Nature Climate Change, depuis que le changement climatique affecte la planète, les lacs du monde entier gèlent moins et pour une période plus courte qu'avant. Les auteurs de l'étude précisent qu'avec la hausse des températures sur Terre, des dizaines, voire des centaines de milliers de lacs au monde gèleront moins, sinon plus du tout.

 

L'IMPORTANCE DES LACS GELÉS

La surface de la planète est parsemée d'environ 117 millions de lacs, des minuscules kettles, larges de quelques mètres, en passant à d'autres plus grands, comme le Lac Supérieur, qui couvre une superficie de plus de 80 000 km². Chaque hiver, plus de la moitié de ces lacs gèlent. La période de gel est à la fois essentielle pour l'écologie du lac, mais aussi pour la culture des communautés qui vivent autour ou près des berges.

« D'un point de vue écologique, la glace est en quelque sorte un bouton de réinitialisation du lac en hiver », explique Sapna Sharma, biologiste et spécialiste des lacs à l'Université de York au Canada et auteure principale de l'étude. La glace repose à la surface des lacs comme un couvercle : elle permet de garder l'eau fraîche et tranquille. La durée de cette période de froid et de silence a également son importance. Si la glace fond trop tôt ou ne se forme pas, le plancton dont dépendent les poissons juvéniles peut apparaître trop tôt ; des algues toxiques sont plus susceptibles de proliférer et l'eau du lac s'évapore, rendant ce dernier plus petit et plus vulnérable aux futures hausses de température.

L'Homme dépend aussi des lacs gelés. Dans les régions du nord canadien, les lacs et les rivières, une fois gelés, mettent fin à l'isolation de nombreuses communautés en permettant le développement d'un réseau routier temporaire qui serpente à travers le paysage. D'autres populations dépendent des poissons pêchés dans les lacs gelés, et de leurs protéines, afin d'assurer leur subsistance pour le reste de l'année. De plus, les loisirs, comme la pêche et le patinage sur glace, sont essentiels au sentiment d'appartenance chez de nombreuses communautés.

Un disque de glace géant tournoie sur l'eau

« Ces dernières années, ici dans le Colorado, nous avons dû décaler quelques tournois qui devaient avoir lieu sur certains des lacs les moins élevés en raison du trop beau temps », explique Wayne Brewster, administrateur du site Internet de l'Association américaine de pêche sur glace, où paraissent les annonces relatives aux tournois de pêche sur glace d'Amérique du Nord.

Selon lui, bon nombre de membres de la communauté de pêche sur glace n'ont pas encore complètement ressenti les effets du changement climatique. « Nous sommes d'éternels optimistes », dit-il. « Mais si nous constatons qu'année après année, ces tournois sont annulés à cause de l'état de la glace, je pense que les discussions débuteront. »

 

VERS DES LACS SANS GLACE EN HIVER ?

Les scientifiques ont étudié des centaines de lacs situés dans l'hémisphère nord afin de voir quels changements relatifs à la couche de glace s'étaient produits depuis 1970, qu'ils gèlent et restent ainsi pour toute la saison, qu'ils alternent entre glace et eau libre, ou qu'ils ne gèlent pas du tout. Les chercheurs ont constaté que l'élément le plus important était la température moyenne de l'air ressentie au-dessus du lac tout au long de l'année. Si celle-ci dépassait la barre des 8 °C, les lacs qui gelaient en temps normal ne seraient alors que partiellement recouverts d'une couche de glace. À 10 °C, il était probable que le lac ne gèlerait absolument pas.

Olaf Jensen, biologiste et spécialiste des lacs à l'Université de Rutgers qui n'a pas pris part à l'étude, explique que même les petits changements peuvent avoir d'importantes répercussions. « Nous pensons souvent que 2 °C, ce n'est pas grand chose », indique-t-il. « Si la température augmente de 2 °C sur une journée par exemple, nous le remarquons à peine. Mais une hausse identique de la température moyenne de l'air provoque une disparition de la glace des lacs dans de vastes régions du monde. »

Dans certains cas, les répercussions du changement climatique peuvent être difficiles à voir, souligne Sapna Sharma. La glace elle, est soit présente, soit absente. Les changements de température de l'air trop subtiles pour que nous puissions les ressentir jour après jour sont clairement visibles l'hiver, lorsque le lac gèle ou non.

Selon les scientifiques, environ 15 000 lacs situés en Amérique du Nord, en Europe et en Asie pourraient désormais n'être gelés qu'une partie de l'hiver.

 

L'AVENIR DES LACS EST ENTRE NOS MAINS

Un chiffre qui pourrait augmenter de façon exponentielle à l'avenir, disent-ils. Il existe deux raisons à cela : la hausse importante de la température de l'air, qui est plus rapide dans les régions les plus septentrionale, et le fait que ces régions abritent plus de lacs que les autres parties du monde.

Les chercheurs ont découvert que si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel, le nombre de lacs qui ne restent pas gelés pendant tout l'hiver pourrait presque quadrupler d'ici 2080. Les pires scénarios prévoient une hausse de l'ordre de 15 fois ce nombre : près de 20 % de l'ensemble des lacs de l'hémisphère nord qui sont actuellement recouverts de glace en hiver cesseraient alors de geler pendant la saison.

Toutefois, le nombre de lacs qui cessent de geler et la vitesse à laquelle cette transition s'opère dépendent fortement du niveau d'augmentation des températures sur Terre, qui est elle-même directement liée à l'énergie que nous déployons pour tenter de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Comme le souligne Sapna Sharma, l'avenir des lacs est entre les mains de chacun d'entre nous.

« Je trouve que ceci reflète vraiment la gravité de la rapidité à laquelle le climat change », explique-t-elle. « Au cours de cette génération, et sans aucun doute de celle de nos enfants, quelque chose que nous tenons pour acquis, l'accès aux lacs gelés, pourrait appartenir au passé. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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