Faut-il laisser les forêts brûler ?

Au Canada, les incendies ravagent chaque année des milliers de kilomètres carrés de forêts. Un défi pour la biodiversité qui doit régulièrement se remettre des flammes, mais qui a également appris à en tirer tous les bénéfices.

De Florent Lacaille-Albiges
Publication 9 mai 2019, 09:39 CEST
Juin 2016, dans la chaîne de Brooks : un hydravion Fire Boss largue de l’eau écopée ...
Juin 2016, dans la chaîne de Brooks : un hydravion Fire Boss largue de l’eau écopée sur le lac Iniakuk pour aider l’équipe au sol à combattre l’incendie n° 320. Le monomoteur peut charger et relâcher 3000 litres d’eau en quelques minutes.
PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen

Des lacs et des forêts à perte de vue : c'est la carte postale associée au Canada. Et ce n’est pas tout à fait un cliché : les terres forestières couvrent environ un tiers du pays, soit 3,5 millions de kilomètres carrés. Plus que la superficie de l’Inde.

Une telle surface boisée, en plus d’être un élément marquant du paysage et de faire du pays un acteur majeur des exportations de bois et de papier, implique des enjeux considérables en matière de feux de forêt. Malgré une diminution ces dernières années, on compte en moyenne 7 500 incendies par an. Un défi pour les pompiers, notamment les pompiers parachutistes qui interviennent dans les zones difficiles d’accès, mais également un problème complexe pour la biodiversité.

Tous les ans, plus de 10 000 kilomètres carrés doivent ainsi se remettre du passage du feu. Des surfaces ravagées qui sont réparties très inégalement sur le territoire. L’immense majorité des dégâts sont causés par des feux dus à la foudre dans les forêts boréales du nord du pays. Informés par des détecteurs d’éclairs, les pompiers rejoignent ces zones isolées le plus rapidement possible, mais c’est parfois insuffisant.

Une fois qu’il a atteint une dizaine d’hectares, le feu devient quasiment impossible à éteindre. Les pompiers sont donc contraints de le laisser brûler et choisissent de se concentrer sur la préservation de quelques endroits, essentiellement les zones habitées. Ces feux incontrôlables peuvent durer plus d’un mois. Il faut alors attendre la pluie ou le changement de saison pour qu’ils s’éteignent, laissant des milliers d’hectares de bois brûlé. « Par le passé, certains feux pouvaient même couver pendant tout l’hiver et repartir au printemps », précise Yves Bergeron, professeur en écologie forestière à l’université de Québec à Montréal.

Alors que tout paraît ravagé, la biodiversité reprend ses droits immédiatement. À peine le feu éteint, des insectes xylophages, qui se nourrissent de bois, sont attirés par l’odeur et commencent leur festin de bois mort. Des pics, petits oiseaux arboricoles friands de ces insectes, les suivent de près, et les autres animaux reviennent petit à petit.

Coté végétation, la chaleur permet aux graines des arbres de se libérer de leur enveloppe de cire, et la dégradation de la matière organique accélère considérablement leur croissance. En quelques mois, la forêt se régénère rapidement dans cette nouvelle étendue libérée et lumineuse. « On maîtrise les incendies essentiellement pour des raisons économiques et de sécurité publique. En fait, l’écosystème est parfaitement adapté aux feux de forêts », explique Yves Bergeron.

Le Big Mud Fire a couvé tout l’hiver. Il s’est ranimé au printemps 2016, à 90 km au sud-ouest de Tanana, avant de s’étendre sur 180 km2. Des smokejumpers ont été largués pour protéger un unique chalet.
PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen

Parmi les écosystèmes les mieux adaptés aux incendies figure la forêt boréale, froide, dominée par les conifères, qui s’étend dans tout le Canada au nord du 49e parallèle. Deux essences d’arbres, l’épinette noire (ou épicéa noir) et le pin gris, la constituent et forment un espace fermé où la lumière pénètre très peu.

Cette forêt est tellement bien adaptée aux incendies que le feu en est même devenu un élément indispensable. Yves Bergeron détaille : « Sans passage du feu, les forêts boréales accumulent beaucoup de matériel organique qui ne se décompose pas. Sur le long terme, certaines zones pourraient donc se transformer en tourbières. De la même façon, le pin gris et l’épinette noire ont besoin de lumière pour pousser. Dans une forêt déjà constituée, les arbres cessent de se renouveler et peuvent progressivement être remplacés par des sapins, qui poussent facilement à l’ombre. »

Mais cette mécanique bien rodée comporte tout de même un risque : si le feu repasse trop vite, il brûle les jeunes pousses avant qu’elles n’aient eu le temps de produire des graines. Dans ce cas, la forêt ne peut pas se régénérer et la zone se transforme en taïga. « On estime qu’au cours des cinquante dernières années, 10 % des forêts fermées, situées à la limite nord de la forêt boréale, sont ainsi devenues de la taïga, c’est-à-dire une zone boisée ouverte où les arbres sont plus diffus et où le lichen remplace la mousse des sous-bois », note Yves Bergeron. Avec le changement climatique et l’augmentation de la fréquence des feux de forêt, cette proportion pourrait atteindre 30 % pour les cinquante prochaines années.

Qu’en est-il dans les autres types de forêts, en France particulièrement ? À l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), Jean-Luc Dupuy étudie depuis vingt-cinq ans les feux des forêts méditerranéennes : « Celles-ci sont également habituées à voir passer les incendies. Et, bien que les spécialistes ne sachent pas parfaitement si l’évolution a sélectionné ces mécanismes pour l’avantage que cela procure par rapport au feu ou si c’est plutôt en lien avec la sécheresse récurrente de ces régions, certains arbres ont développé des mécanismes de défense face aux incendies. »

Ainsi, le chêne-liège a une écorce très épaisse qui lui permet de survivre à la chaleur du brasier. Le pin pignon, de par son épaisseur et son feuillage très haut, peut également échapper aux flammes. Chez le ciste, en revanche, l’individu ne survit pas, mais l’espèce se replante au moment de l’incendie. Ces arbustes répandent dans le sol autour d’eux des « banques de graines » entourées d’une enveloppe imperméable que le passage du feu pourra craqueler.

Reste que les feux méditerranéens n’ont pas du tout la même utilité écologique que ceux des forêts boréales. « Certes, un feu peut ouvrir le milieu et diversifier l’écosystème, explique Jean-Luc Dupuy. Mais, dans les forêts que nous étudions, les incendies passent tous les vingt à trente ans, c’est-à-dire à peu près le temps que la forêt met à retrouver son état initial. La forêt est donc déjà mi-ouverte. Le risque serait plutôt que le feu repasse trop souvent et empêche les arbres de se développer. Nous n’aurions alors plus que des zones de garrigue. »

De plus, les causes des feux diffèrent largement. Alors qu’au Canada, Yves Bergeron estime qu’environ 50 % des feux, notamment les plus ravageurs, sont d’origine naturelle, Jean-Luc Dupuy rappelle qu’en France, les feux dus à la foudre sont quasiment inexistants : plus de 90 % des feux sont d’origine humaine. Impossible, donc, d’imaginer qu’on laisse la nature faire son œuvre en attendant que les incendies s’éteignent par eux-mêmes. D’autant que les forêts françaises ont une autre spécificité par rapport aux forêts boréales canadiennes : elles sont toutes à proximité de zones d’habitations.

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