"Empêcher les crimes en plus de les dénoncer est devenu l’ADN de Sea Shepherd"

Une guerre fait rage entre les cartels mexicains et Sea Shepherd, l’ONG de conservation de la vie marine. En jeu : la survie du marsouin du Pacifique. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, revient sur le mode opératoire de l’ONG.

De Paul Chigioni
Photographies de Sea Shepherd
Publication 18 nov. 2019, 16:08 CET
Portrait en mer de Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France
Portrait en mer de Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France
PHOTOGRAPHIE DE Sea Shepherd

« Il vient une heure où protester ne suffit plus, après la philosophie, il faut l’action. ». Cette citation de Victor Hugo, qui apparaît en première page du site de Sea Shepherd France, résume à elle seule la philosophie de l’ONG de conservation de la faune et de la flore marine.

Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, a participé à de nombreuses missions en mer. Elle revient dans cet entretien sur le mode d’action de l’ONG, notamment dans le golfe de Californie où le marsouin du Pacifique, le plus petit des cétacés, est au bord de l’extinction en raison du trafic de ce que l'on surnomme la "cocaïne des mers" par les cartels mexicains.

Cette guerre pour protéger le marsouin du Pacifique fait par ailleurs l’objet d’un documentaire d’investigation, Sea of Shadows, qui sera diffusé le 24 novembre sur National Geographic.
 

Sea Shepherd prône l’action dite « concrète », qu'entendez-vous par là ?

Lamya Essemlali : On entend dépasser la constatation et la protestation. Aujourd’hui, il y a énormément de crimes qui sont commis contre la nature et la vie marine. Et dès la création de Sea Shepherd en 1977, ce qu’a souhaité son fondateur Paul Watson, ça a été de dépasser la protestation. C’est la raison pour laquelle il a quitté Green Peace, qui se cantonnait à un rôle de témoin. Empêcher les crimes en plus de les dénoncer est devenu l’ADN de Sea Shepherd.

 

Sea Of Shadows

SEA OF SHADOWS - LE 24 NOVEMBRE À 20:40

La lutte contre le trafic du totoaba fait rage dans le somptueux golfe de Californie. Permettra-t-elle de sauver le marsouin du Pacifique, victime collatérale de la pêche au totoaba ? Découvrez le documentaire inédit Sea Of Shadows produit par Leonardo DiCaprio en exclusivité sur National Geographic

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    Ce genre d’opérations est-elle l’unique solution face à des trafiquants comme ceux que l’on voit dans Sea of Shadows ?

    Ce qui est sûr, c’est que ça va être compliqué de sensibiliser ces trafiquants. On a affaire à des cartels qui sont extrêmement violents pour qui la vie vaut moins qu'une cigarette donc leur expliquer que ça serait bien que les marsouins du Pacifique puissent perdurer, c’est prêcher dans le désert. C’est comme si on essayait de sensibiliser les plus gros trafiquants de drogue sur le fait que ce qu’ils font n’est pas bien. En tout cas, on n’a certainement pas le temps.

     

    Comment faites-vous pour garder une longueur d’avance sur les braconniers ? 

    C’est très difficile. On est toujours dans une course contre la montre. Dans le cas des marsouins du Pacifique, on retire tout ce qu’on peut comme filets. Je pense que si Sea Shepherd n’était pas présent dans le golfe de Californie, il n’y aurait sans doute plus de marsouins du Pacifique aujourd’hui. Par contre, c’est compliqué de gagner une guerre comme celle-ci. On ne fait que gagner du temps. Ce qui est indispensable je pense, en plus de l’action d’urgence de Sea Shepherd, c’est qu’il y ait un démantèlement en amont au niveau du marché chinois. Tant que les vessies natatoires de totoabas auront une si grande valeur sur le marché, on n’arrivera pas à mettre un terme au trafic. 

     

    Avez-vous des liens concrets avec les autorités afin d’agir plus facilement dans les eaux territoriales ?

    On noue de plus en plus de partenariats avec les autorités, en général avec celles qui ont une certaine volonté politique de faire évoluer la situation. On a des partenariats avec plusieurs pays africains qui veulent protéger leurs eaux territoriales qui sont pillées par des flottes de pêche étrangères, mais qui n’ont pas les moyens de le faire. On a proposé de travailler avec la France qui n’est absolument pas en mesure de faire face au braconnage dans son immense territoire maritime, c’est la deuxième surface maritime au monde. Mais malheureusement ce qui manque en France, c’est premièrement des moyens parce que la zone est très étendue mais surtout la volonté politique.

    Un marsouin du golfe de Californie, espèce au bord de l'extinction, est mort après avoir été capturé dans un filet à Baja, en Californie.
    PHOTOGRAPHIE DE Flip Nicklen, Minden, National Geographic Creative

     

    Quand la politique ne suit pas, que pensez-vous de la philosophie d’un mouvement qui prône la désobéissance civile non-violente comme celle d’Extinction Rebellion mise en lumière récemment ? 

    Je pense que la désobéissance civile peut avoir un certain intérêt. Cela permet de mettre les sujets sur la table et provoque un dérangement. Ce dérangement reste limité, il n’y a pas de démantèlements d’usines, de destruction de matériel par exemple. Mais le curseur est en train de changer aujourd’hui. Il y a quelques années, certains considéraient que les actions de Sea Shepherd étaient violentes, on l’entend encore mais beaucoup moins. On n’a jamais blessé personne en 42 ans, on intervient que contre des actions illégales et on dénonce les actions légales mais immorales. Donc, il y a une évolution de la perception des choses au fur et à mesure que la situation se dégrade, et aujourd’hui il y a des gens qui trouvent que ce que font Extinction Rebellion va trop loin. Je suis prête à parier que dans 15 ans, on trouvera que ce n’est pas assez.

     

    Vous faites perdre énormément d’argent aux trafiquants quand vous détruisez leur matériel. Certains de vos militants n’ont-ils pas peur des représailles ?

    Toutes les missions de Sea Shepherd incluent un facteur risque. On est dans un contexte où il y un intérêt financier énorme. Donc oui, il peut y avoir des représailles. C’est quelque chose qu’il faut avoir en tête. Notre réaction suite à une attaque d'un de nos navires par une vingtaine de bateaux pangas qui nous ont lancé des cocktails Molotov a été d’envoyer un deuxième navire, puis un troisième. Ce qui est certain, c’est qu’on ne recule pas face à la violence. Au contraire, ça ne fait que renforcer notre détermination.

     

    Justement, comment faites-vous pour éviter une escalade de la violence de ceux que vous combattez ?

    On ne peut pas être responsables de la réaction d’autrui, on est responsables que de nos propres actes. Notre limite, c’est de ne jamais blesser personne, même les braconniers qui sont face à nous. Notre objectif est de sauver la vie des animaux marins. On a conscience que c’est quelque chose qui peut aller loin, mais ce n’est certainement pas quelque chose qui nous empêchera d’agir.

     

    Sea of Shadows donne un aperçu de l’étendue des moyens que vous mettez en œuvre pour combattre les trafiquants, comment êtes-vous financés ?

    Les gens n'en ont pas forcément conscience mais on est 100 % indépendants des États et 100% dépendants des citoyens. On est complètement financé par Monsieur et Madame tout le monde et cela détermine le nombre de missions que l’on peut faire et les moyens qu’on peut y allouer.

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