Le totoaba, symbole des dérives de la médecine chinoise

De la menace qui plane sur le poisson totoaba comme sur d’autres espèces animales jusqu’au développement du crime organisé, les dérives liées au secteur de la médecine traditionnelle chinoise sont nombreuses.

De Paul Chigioni
Photographies de Richard Herrmann
Le totoaba est un grand poisson argenté très prisé dans la médecine chinoise pour sa vessie ...
Le totoaba est un grand poisson argenté très prisé dans la médecine chinoise pour sa vessie natatoire.
PHOTOGRAPHIE DE Richard Herrmann, Corbis

Le rhinocéros, le totoaba, le pangolin... Toutes ces espèces menacées de disparaître ont en commun des attributs qui attirent la convoitise des braconniers. Des attributs aux vertus thérapeutiques pour certains adeptes de la médecine chinoise qui sont prêts à dépenser des sommes astronomiques pour se les procurer.

La médecine traditionnelle chinoise serait une des principales raisons de la demande d’animaux exotiques sur le marché international. À Hong-Kong, une récente étude du groupe philanthropique ADM Capital Foundation a indiqué que le trois-quarts des ventes de produits issus de la faune en danger d’extinction des cinq dernières années étaient destinées à l’industrie de la médecine traditionnelle chinoise (MTC).

Le problème est d’ailleurs, depuis plus de 20 ans, pointé du doigt par les organisations environnementales. Une mobilisation qui a permis à la corne de rhinocéros et à l’os de tigre d’être retirés de la liste de la pharmacopée traditionnelle chinoise en 1993. Si le gouvernement chinois a tenté de retirer cette loi en octobre 2018, elle reste malgré tout d’actualité, suite aux protestations internationales. Mais pour combien de temps ? 

 

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La lutte contre le trafic du totoaba fait rage dans le somptueux golfe de Californie. Permettra-t-elle de sauver le marsouin du Pacifique, victime collatérale de la pêche au totoaba ? Découvrez le documentaire inédit Sea Of Shadows produit par Leonardo DiCaprio en exclusivité sur National Geographic

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    Encore beaucoup d’espèces en danger font partie des cibles privilégiées des marchands de pièces d’animaux à vertu thérapeutique supposée. Les produits à base de pangolin et de saïga sont légalement mis en vente par les grandes entreprises de médecine traditionnelle chinoise comme Kangmei Pharmaceutical et Tong Ren Tang.

    Autre produit lié à la MTC aux conséquences bien plus inquiétantes : la vessie natatoire comme celle du poisson totoaba, un organe gazeux caractéristique des poissons osseux leur permettant de ne pas couler en se gonflant et dégonflant. 

    On retrouve des témoignages littéraires de la consommation des vessies natatoires en Chine dès 500 après J.C. Ces écrits expliquent à quel point ces vessies sont bénéfiques pour la santé. Elles sont d’ailleurs régulièrement surnommées le ginseng de l’eau pour leur effet supposé stimulant du système immunitaire. Aujourd’hui encore elles sont consommées en ragoût, soupes ou même sautées et considérées comme un complément alimentaire pour un régime sain. 

    Problème : ces vessies alimentent le crime organisé. Le totoaba, grand poisson argenté endémique du Golfe de Californie, est très recherché par les trafiquants de cartels mexicains et chinois qui l’ont baptisé « la cocaïne des mers ». Pour cause, son prix peut aisément dépasser celui de la cocaïne avec un tarif moyen au kilogramme atteignant les 20 000 dollars.

    Bien que son commerce en Chine et à l’international soit interdit, la demande chinoise de vessies de totoabas reste stable. Une situation propice au développement de puissants réseaux de crimes organisés généralement également liés au trafic de personnes et de drogues.
     

    LES RACINES ET LES BOURGEONS DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE CHINOISE


    Il faut dire que le développement de la médecine traditionnelle chinoise ne passe pas inaperçu. Le poids de l’industrie de la MTC pèse plus de 60 milliards de dollars par an d’après l’OMS et son développement à l’international représente un grand axe de la politique du gouvernement chinois. 

    Au mois d’octobre 2019 encore, Xi Jinping a rappelé lors d’une conférence sur la MTC à Pékin l’importance de développer le secteur à l’international. En Chine, la médecine traditionnelle est définitivement encrée et coexiste à tous les niveaux avec la médecine conventionnelle. Les assurances maladie publiques et privées couvrent d’ailleurs les deux types de soins.

    Mais la MTC représente plus qu’un enjeu financier en Chine. C’est un modèle traditionnel de médecine et une pensée qui est inscrite depuis des siècles au sein de l’ex-empire du milieu. Elle considère d’une manière globale le patient en n’intervenant pas seulement s'il est malade mais plutôt en le conseillant sur son hygiène de vie dans son ensemble. Ainsi, l’alimentation joue un rôle fondamental au sein de la MTC, tout autant que les autres formes de thérapies comme l’acupuncture, la gymnastique (qigong) ou le massage.

    Sans oublier que la médecine traditionnelle chinoise s’inscrit dans un contexte également social et de logique purement financière en Chine. En effet, la demande chinoise envers ces animaux exotiques n’est pas seulement motivée par leurs vertus thérapeutiques mais également par le statut social qu’ils renvoient. 

    Une enquête de l’ONG environnementale Elephant Action League qui remonte étape par étape le trafic du totoaba atteste que les vessies natatoires du poisson sont souvent achetées par des riches Chinois dans une logique d’investissement financier – ici généralement dans un cadre de blanchiment d’argent – comme c’est le cas pour le commerce de l’or. Elles sont par exemple offertes lors de mariages ou comme cadeau d’entreprise.

     

    UNE MÉDECINE DE TRADITION EN QUÊTE D’INNOVATION


    Pourtant, le corpus de ces soins ancestraux n’est pas figé. Il a évolué à travers le temps comme la médecine conventionnelle au fil des avancées des connaissances et des techniques. Avec son développement à travers le monde, ses adeptes sont désormais plus diversifiés.

    « De nombreux patients qui se tournent vers la médecine traditionnelle chinoise sont souvent végétariens et ne veulent pas de traitement à base d’animaux », avait déjà expliqué Steve Given, spécialiste de la médecine traditionnelle chinoise et doyen du Collège américain de la médecine traditionnelle chinoise en Californie dans une interview pour National Geographic.

    Par conséquent, de nombreuses plantes sont proposés pour ne pas recourir aux parties d’animaux. Steve Given énonce notamment l’Unicaria rhynchophylla qui pourrait calmer les tremblements en remplacement de la corne d’antilope.

    En août dernier, la Conférence mondiale de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a eu lieu à Genève. Ivonne Higuero, Secrétaire générale de la CITES y a déclaré : « L’humanité doit répondre à la crise de l’extinction qui ne cesse de s’aggraver en transformant la manière dont elle gère les animaux et les plantes sauvages du monde entier. »  Il est désormais clair que la médecine traditionnelle chinoise, héritage de l’humanité, devra également s’adapter au présent comme aux temps futur face à l’urgence environnementale qui impacte notre Terre nourricière.

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