En Afrique, une ONG lourdement armée pour protéger les éléphants

Une association de protection de la nature gère les parcs d'Afrique mal en point afin de défendre la faune emblématique du continent contre le braconnage et d'autres menaces humaines.

De David Quammen
Photographies de Brent Stirton
Réserve de l'Ennedi, Tchad. Dans une région isolée du nord-est du Sahara, les tours de grès ...
Réserve de l'Ennedi, Tchad. Dans une région isolée du nord-est du Sahara, les tours de grès du plateau de l'Ennedi protègent les points d'eau, la végétation des oasis, les animaux sauvages et les anciens pétroglyphes sur les parois des canyons. L'ONG African Parks gère la réserve, en accord avec le gouvernement du Tchad.
PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

Le siège du parc national de Zakouma, dans le sud-est du Tchad, est un bâtiment couleur sable, au parapet crénelé, telle une vieille forteresse du désert. Au premier étage, sur la porte de la salle de contrôle, une affiche figure une kalachnikov cerclée de rouge et barrée – armes interdites à  l’intérieur. Les kalachnikovs sont omniprésentes à Zakouma. Tous les gardes en ont. Comme les intrus qui viennent tuer les animaux sauvages.

Des acacias ombragent l’enceinte où entrent et sortent des 4x4. À quelques pas de là, des éléphants s’abreuvent dans une mare. Ils n’ont pas l’air stressés, mais ne sont pas apprivoisés : ils sont méfiants et ont soif.

Créé en 1963, le parc national de Zakouma fut parfois une zone de guerre pour les éléphants. Le Tchad en comptait environ 300 000 voilà cinquante ans. Un effectif qui s’est effondré à partir du milieu des années 1980. 

Des braconniers lourdement armés les ont massacrés à grande échelle, jusqu’à ce que Zakouma devienne un refuge précaire pour environ 4 000 éléphants survivants.

Puis, dans la première décennie de ce siècle, plus de 90 % des éléphants de Zakouma ont été abattus. Le plus souvent, ils étaient victimes de raids menés par des cavaliers soudanais venus de l’Est – des pillards appelés janjawid, un mot arabe qui peut se traduire à peu près par  "diables à cheval ", même si certains se déplacent à dos de dromadaire. Leur cible : l’ivoire des défenses. Fut un temps, on a craint que les janjawid ne tuent tous les éléphants du Tchad. Mais, en 2010, à l’invitation du gouvernement du pays, l’ONG African Parks a pris la gestion de Zakouma. Les massacres se sont soudainement arrêtés.

Un petit groupe de défenseurs de l’environnement préoccupés par la disparition de la faune du continent a fondé African Parks en 2000. L’organisation a signé des contrats avec des gouvernements afin de restaurer et gérer des parcs nationaux – en stipulant qu’elle exercerait un contrôle total sur le terrain. Elle gère actuellement quinze parcs, dans neuf pays. L’ONG leur apporte des financements extérieurs, met en oeuvre des pratiques commerciales efficaces et fait appliquer la loi de façon stricte dans certains des territoires sauvages les plus agités d’Afrique.

À Zakouma, plus d’une centaine de gardes bien entraînés et bien armés (surtout des hommes, mais aussi des femmes) œuvrent au respect de la loi. African Parks en a confié le commandement à Leon Lamprecht. Ce Sud-Africain a grandi dans le parc national Kruger, où son père était garde.

 "Nous ne sommes pas une organisation militaire, assure-t-il en me montrant tout un arsenal d’armes et de munitions, dans l’armurerie, au rez-de-chaussée des bureaux de l’ONG. Nous sommes un organisme de préservation de la nature qui forme ses gardes aux activités paramilitaires." 

African Parks, une organisation extrêmement militarisée ? L’idée indigne Peter Fearnhead, son P-DG et cofondateur. Mais, au téléphone, il insiste sur le besoin en forces de l’ordre bien armées dans les parcs – pour protéger la faune, mais aussi les habitants des alentours, qui pourraient être victimes de viols et de pillages lors du prochain déferlement de "diables à cheval". 

Leon Lamprecht me dessine un schéma pyramidal des niveaux de tâches tels que les envisage African Parks. Le maintien de l’ordre, les infrastructures et un personnel compétent jettent les fondations de la pyramide, en assurant  "l’intégrité de l’aire protégée". On peut alors bâtir vers le haut : développement pour la population, tourisme et recherche écologique.

Le centre névralgique du programme est la salle de contrôle, au siège. Là, des données récentes sur les emplacements des éléphants et sur toutes les activités humaines préoccupantes (un campement de pêcheurs illégal, un coup de fusil, cent cavaliers armés se dirigeant au galop vers le parc…) servent à déterminer le déploiement des gardes. Les informations proviennent notamment des survols de reconnaissance, des patrouilles à pied, des colliers GPS des éléphants et des radios portatives confiées à des informateurs fiables dans certains villages du parc.

Chaque jour, une réunion commence à 6 heures du matin. Il y a un long bureau avec deux écrans d’ordinateurs et, sur le mur, une grande carte piquée d’épingles. Au matin de ma visite, Tadio Hadj-Baguila, un imposant Tchadien, responsable du maintien de l’ordre dans le parc, préside – en français.

Les épingles noires figurent les éléphants, me précise Lamprecht, et les vertes, les patrouilles régulières de gardes. Appelées "équipes Mamba" et composées de six gardes chacune, celles-ci parcourent le parc par rotations de cinq jours. Leurs déplacements sont dictés par les pachydermes, que les Mambas suivent discrètement.

Une aiguille rouge et blanc est fichée à côté de la carte. Elle représente une équipe fantôme de deux gardes, qui effectuent de la reconnaissance avancée, m’explique le directeur du parc. Une mission si secrète que l’opérateur radio lui-même ignore où se trouvent les éclaireurs. Seuls Lamprecht et Hadj-Baguila le savent.

Les données sont recueillies chaque matin et chaque après-midi. "Nous jouons aux échecs deux fois par jour", formule Leon Lamprecht. Sur l’échiquier se trouvent les janjawid et tous les autres braconniers qui pourraient chercher à pénétrer dans le parc de Zakouma.

En haut du mur, au-dessus des cartes, sont accrochées des plaques commémorant les pertes survenues depuis qu’African Parks gère le site. Peu nombreuses, mais qui ont laissé des traces profondes : "Incident. 24 octobre 2010. PN de Zakouma. 7 éléphants " ;  "19 décembre 2010. PN de Zakouma. 4 éléphants".

En milieu de rangée est une plaque différente, mais tout aussi concise : "Incident. 3 septembre 2012. Heban. 6 gardes". L’embuscade dressée par des braconniers sur la colline de Heban, où ces gardes ont été tués, est un sombre souvenir, qui incite à une vigilance permanente à Zakouma.

Malgré ces pertes, African Parks est parvenu à arrêter le massacre des éléphants. Depuis 2010, seuls vingt-quatre éléphants ont été tués, mais pas une défense n’a été perdue. Les janjawid ont été repoussés, au moins provisoirement, vers des cibles moins protégées. Après des décennies de désordres et de terreur, les éléphants de Zakouma se reproduisent à nouveau. On compte maintenant quelque 150 éléphanteaux, un signe d’une population en bonne santé et d’espoir.

 

Extrait de l’article de David Quammen « Au secours des parcs africains » publié dans le numéro 243 du National Geographic Magazine.

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