Coronavirus : les émissions carbone en chute libre, mais pour combien de temps ?

Dans le monde entier, les émissions de CO2 sont en chute libre. Mais cette tendance ne durera pas si les gouvernements n'opèrent pas une transition vers des énergies plus propres.

De Madeleine Stone
Publication 7 avr. 2020, 10:12 CEST
À Los Angeles, des rues presque désertes. Les autorités de la ville implorent les habitants de ...

À Los Angeles, des rues presque désertes. Les autorités de la ville implorent les habitants de respecter les mesures de distanciation sociale et de rester autant que possible chez eux pour limiter la propagation du virus.

PHOTOGRAPHIE DE David McNew, Getty Images

Jour après jour, il apparaît plus clair que la perturbation sociale induite par le coronavirus ne ressemble en rien à ce que nous avions pu connaître jusqu'à présent. Un indicateur frappant de l'impact étendu de la pandémie est son effet sur la consommation de combustibles fossiles et les émissions de dioxyde de carbone. D'après les données préliminaires en provenance de certaines des économies les plus puissantes de la planète, c'est une diminution forte, quoique temporaire, qui attend les émissions.

En Chine, selon les calculs réalisés par le site Web dédié aux sciences et politiques climatiques CarbonBrief, les émissions carbone auraient diminué de 18 % entre début février et mi-mars en raison d'une chute de la consommation de charbon et de la production industrielle. Grâce à ce ralentissement, ce sont près de 250 millions de tonnes de carbone qui n'ont pas été rejetées dans l'atmosphère par le plus grand émetteur de la planète, soit plus de la moitié des émissions françaises annuelles.

Parallèlement, dans l'Union européenne, la baisse de la demande énergétique et l'arrêt d'une partie de la production pourraient entraîner une chute des émissions de 400 millions de tonnes cette année, soit 9 % des prévisions cumulatives d'émission de l'UE en 2020, selon une étude préliminaire publiée la semaine dernière. En ce qui concerne les États-Unis, bien que les données soient restreintes à l'heure actuelle, les experts s'attendent à ce que les impacts du coronavirus se fassent également sentir dans l'atmosphère à mesure que l'économie poursuit sa chute libre.

Quoi qu'il en soit, ce bol d'air planétaire n'a rien de réjouissant et pourrait bien n'être qu'éphémère : en Chine, les émissions repartent déjà à la hausse avec la réouverture des usines du pays. Si les gouvernements n'apportent pas leur soutien ferme aux énergies propres dans un futur proche, les experts affirment que la pandémie n'inversera pas la tendance à la hausse des émissions mondiales de carbone, un phénomène qui doit se produire immédiatement si l'on veut permettre au monde d'atteindre les objectifs climatiques.

« En termes d'impacts directs, concrets, oui, on constate une baisse de certaines émissions, » déclare Andrea Dutton, climatologue au sein de l'université du Wisconsin à Madison. « Mais bien entendu, ce qui compte réellement ce sont les émissions cumulatives. Si cette baisse ne dure pas, elle n'affectera même pas la pointe de l'iceberg. »

 

EN CHINE, UNE CHUTE ÉPHÉMÈRE

En tant que premier épicentre de l'épidémie COVID-19 et première nation à avoir mis en place des mesures drastiques pour l'endiguer, c'est d'abord en Chine que les impacts du virus sur les émissions carbone ont été constatés. D'après une analyse précédente réalisée par CarbonBrief, les émissions ont chuté de 25 % au cours des quatre semaines qui ont suivi le Nouvel An chinois fin janvier en raison de l'impossibilité pour la consommation de charbon et divers secteurs industriels, comme le raffinage du pétrole et la fabrication de ciment, de rebondir après la baisse annuelle d'activité liée à cette période de vacances.

« La cause de ce phénomène ne fait aucun doute, » déclare Li Shuo, conseiller politique principal pour Greenpeace East Asia. « Elle découle principalement de la perturbation socio-économique induite par le coronavirus. »

Avec le confinement, les ouvriers n'ont pas pu se rendre dans les usines et la demande en énergie, ainsi qu'en matériaux comme l'acier et le ciment, sont restés faibles.

De la vapeur s'élève par-dessus les péniches évoluant sur le fleuve Yang-Tsé alors que la Chine s'apprête à relancer son économie paralysée par le coronavirus qui a ravagé le pays.

PHOTOGRAPHIE DE Qilai Shen, Bloomberg/Getty Images

Mais avec la diminution du nombre de cas de coronavirus, la Chine a redoublé d'efforts au cours du mois dernier pour relancer son économie. Fin mars, l'utilisation d'énergie, les niveaux de pollution de l'air et les émissions carbone semblaient être revenus à la hausse, d'après les données recueillies par Lauri Myllyvirta pour le Centre for Research on Energy and Clean Air (CREA), un organisme indépendant basé en Finlande. Les derniers chiffres de Myllyvirta, qui a également dirigé l'analyse publiée par CarbonBief, reflètent cette tendance et montrent une diminution d'à peine 18 % sur une période de sept semaines à partir de début février.

Cela dit, la situation est loin d'être revenue à la normale. À titre d'exemple, poursuit Shuo, le secteur des services de Pékin est toujours chancelant avec de nombreuses petites entreprises encore fermées. De plus, certains secteurs ayant relancé leur activité rencontrent un nouvel obstacle : l'absence de demande outre-mer pour leurs produits.

D'après Shuo, les futurs plans de relance du gouvernement intégreront « inévitablement » des financements de projets d'infrastructure de grande envergure, rappelant par ailleurs que le gouvernement chinois favorise cette stratégie pour contrebalancer le déclin économique du secteur des services. Cela entraînera probablement une montée en flèche de la pollution carbone, mais rien ne permet à l'heure actuelle de dire si elle compensera totalement les diminutions liées à la crise économique généralisée.

« Il y a un mois, la plupart des experts pensaient que ce creux dans la courbe des émissions ne serait que temporaire, » indique Shuo. « Si l'échelle de temps est "cette année", alors cela devient difficile à dire, car ce qui arrive à l'économie en Chine et dans le monde est plus qu'un simple creux. »

 

L'EUROPE ET LES ÉTATS-UNIS À LA BAISSE

Alors que l'économie chinoise poursuit son ascension cahoteuse, celles des États-Unis et de l'Union européenne, respectivement deuxième et troisième plus gros émetteur de carbone, sont en suspens. Les premières données suggèrent un déclin considérable de la consommation énergétique et des émissions liées au transit, conséquence du confinement des populations ordonné par les gouvernements et de la mise à l'arrêt des industries jugées non essentielles.

En Italie, où la principale ressource utilisée pour générer de l'électricité est le gaz naturel, la demande n'a cessé de baisser depuis la mise en quarantaine du pays au début du mois de mars. À la fin du mois, la demande avait chuté de 27 % par rapport à la même période en 2019, d'après une étude publiée le 30 mars par la société de conseil Wood Mackenzie. En France (essentiellement du nucléaire), où le confinement a été déclaré environ une semaine après l'Italie, la demande énergétique est également en chute libre et au Royaume-Uni (principalement du gaz), la demande commence à diminuer suite à l'ordre donné aux citoyens la semaine dernière de rester chez eux.

En supposant que la baisse récente de consommation d'électricité en Italie soit un signe avant-coureur de la situation à venir dans d'autres régions, la demande électrique à l'échelle de l'Union européenne pourrait diminuer de 6,2 % d'ici la fin d'année par rapport à un monde sans pandémie, d'après les prévisions émises la semaine dernière par Marcus Ferdinand, analyste chez Commodity Intelligence Services, un cabinet de conseil.

En associant cette décroissance de l'appétit électrique de l'Europe à l'important déclin prévu de l'activité industrielle et du trafic aérien, Ferdinand prévoit que les émissions de l'UE pourraient chuter de 389 millions de tonnes cette année. Un chiffre qui dépasse les émissions annuelles de la France et qui représente environ 9 % des prévisions d'émissions cumulatives de l'Union européenne pour l'année 2020.

Ferdinand précise toutefois que cette projection s'appuie sur un « un certain nombre d'hypothèses qu'il conviendra de réévaluer à mesure que la crise se poursuit. » Cela dit, même si certaines de ces hypothèses économiques, comme une baisse de 50 % de l'activité industrielle entre avril et juin, se révélaient pessimistes, l'analyse ne tient pas compte d'autres sources majeures d'émission carbone, comme les transports terrestres, qui semblent également avoir connu une diminution dans les pays gravement touchés tels que l'Italie. L'analyse de Ferdinand s'intéresse uniquement aux secteurs de l'économie dont les émissions tombent sous le coup du marché européen des droits à polluer.

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    Les émissions liées au transit semblent également s'être effondrées aux États-Unis. Selon Trevor Reed, analyste au sein de la société de recherche sur le transport INRIX, le trafic de véhicules particuliers aurait diminué de 38 % au cours de la semaine dernière aux États-Unis, ce qui se traduit par une baisse similaire, sinon supérieure, des émissions carbone, car les voitures semblent opérer plus efficacement lorsqu'il y a moins de trafic.

    Par ailleurs, le secteur à fortes émissions de carbone du transport aérien tourne également à bas régime et d'après Reed, même si le trafic routier longue distance tient bon pour le moment, il s'attend à un rapide déclin avec la persistance des mesures de confinement, l'aggravation de la récession et la baisse de la demande en produits non essentiels.

    Étant donné que les transports constituent la plus grande source d'émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis et puisque les véhicules particuliers représentent 60 % de ces émissions, l'effet à court terme sur l'empreinte carbone du pays pourrait être conséquent.

    En ce qui concerne la demande électrique américaine, le sujet est plus hasardeux. D'après une analyse publiée le 31 mars par Scotiabank, alors que la demande connaît un effondrement dans les secteurs industriels et commerciaux, celui-ci pourrait être atténué par une augmentation de la demande domestique suite au confinement de millions d'Américains chez qui les lumières, les téléviseurs et les consoles de jeux-vidéos énergivores restent désormais allumés plus longtemps.

    Toutefois, Adam Jordan, analyste du secteur énergétique chez Genscape, une filiale de Wood Mackenzie, met en garde quant à la vision à court terme de ces projections et indique que les confinements semblent déjà « réduire la congestion sur le réseau électrique » dans plusieurs régions du pays, notamment sur les côtes.

    « Au long terme, si la récession se prolonge, je pense que la chute globale de la demande sera supérieure à l'augmentation des besoins domestiques, » explique-t-il.

     

    UNE INCERTITUDE SUR LE LONG TERME

    Dans l'ensemble, les données suggèrent que la perturbation mondiale inédite causée par la pandémie de coronavirus est en train de provoquer une diminution brève, mais prononcée des émissions carbone à travers certaines des plus grandes économies de la planète. Bien qu'il soit difficile d'avancer une date pour la relance de ces économies à l'échelle mondiale, celle-ci dépendant d'abord et avant tout de l'efficacité de la réaction des différents pays face au COVID-19, la pandémie pourrait avoir déjà laissé sa marque sur le bilan carbone de l'année 2020.

    « Je pense que cette situation se prolongera sur plusieurs années en matière de retard de croissance économique, » déclare Glen Peters, directeur de recherche au Center for International Climate and Environment Research d'Oslo, en Norvège.

    Étant donné le lien étroit qui existe entre croissance économique et émissions carbone à l'échelle planétaire, Peters indique que cela pourrait, potentiellement, mener à une baisse des émissions mondiales de l'ordre de 1 % ou plus, un chiffre comparable aux conséquences de la crise financière de 2009. Néanmoins, si le ralentissement de l'économie est plus important que les prévisions ne le laissent entendre, les émissions pourraient diminuer davantage.

    Lorsque la crise sanitaire actuelle et l'hiver économique résultant toucheront à leur fin, le monde devra faire un choix. Les émissions pourraient repartir de plus belle si les pays décident de reconstruire leurs économies à grands coups d'énergie fossile désuète et polluante, comme un pétrole au prix historiquement bas. La décision prise par l'administration Trump de poursuivre cette semaine le démantèlement des normes d'économie de carburant fixées par l'administration Obama ainsi que le plan de sauvetage financier accordé au secteur aérien à hauteur de 50 milliards de dollars suggèrent que, pour le moment, le gouvernement des États-Unis n'a pas l'intention de réduire son utilisation des combustibles fossiles dans un avenir post-coronavirus.

    Un changement de leadership pourrait modifier cette trajectoire. Comme l'ont fait remarquer de nombreux experts ces dernières semaines, les gouvernements pourraient faire basculer nos économies dans une direction plus respectueuse de l'environnement et du climat dans le sillage de la pandémie s'ils appuyaient avec plus de fermeté la transition vers des énergies plus propres, par exemple en exemptant de taxes les véhicules électriques ou les énergies renouvelables, en investissant dans des infrastructures à faible émission de carbone ou encore en améliorant l'efficacité énergétique des bâtiments. De plus, les mutations sociétales induites par le confinement lié au coronavirus, comme la généralisation du télétravail et la tenue de réunions virtuelles, pourraient offrir au monde un petit élan supplémentaire.

    « Une opportunité s'offre à nous, celle d'intégrer aux plans de relance des mesures visant à accélérer les transitions vers des énergies respectueuses de l'environnement et améliorer l'efficacité énergétique afin que les nations et leurs industries puissent sortir de cette crise en ayant amélioré leur position, » conclut Fatih Birol, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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