Environnement : vers une privatisation des parcs nationaux aux États-Unis ?

Le Service des parcs nationaux enregistre un déficit de 12 milliards de dollars. L’intervention des entreprises privées fait débat.

De Adina Solomon
Publication 27 avr. 2020, 17:06 CEST
Le Service des parcs nationaux gère 419 services et plus de 500 contrats de concession. Une entreprise ...

Le Service des parcs nationaux gère 419 services et plus de 500 contrats de concession. Une entreprise exploite des logements dans le parc national du Grand Canyon (photographié ici en 2015) mais aussi à Yellowstone et à Zion.

PHOTOGRAPHIE DE Wolfgang Kaehler, LightRocket/Getty Images

Vers la fin de l’année dernière, une proposition de privatiser certains services au sein des parcs nationaux a été rendue publique. La réaction ne s’est pas faite attendre.

Le Département de l’Intérieur qui gère la plupart des terres du domaine public fédéral a formé un comité de représentants du secteur des loisirs en 2017. En octobre 2019, le comité a proposé de privatiser les terrains de camping, de limiter les remises proposées aux personnes âgées, d’établir une connexion Wi-Fi, d’autoriser les camions-restaurants et d’installer des points relais Amazon. Cependant, les groupes environnementaux et le grand public s’y sont vivement opposés et le ministère a décidé de dissoudre le comité moins de deux mois plus tard.

Ce débat controversé dure depuis des décennies. Le Service des parcs nationaux est à court d’argent et les arriérés des travaux d’entretien s’élèvent à 12 milliards de dollars environ. L’industrie des loisirs soutient qu’elle pourrait offrir des services moins coûteux et de meilleure qualité. Quant aux groupes environnementaux, ils demandent à surveiller de près ces initiatives de privatisation en vue de faire respecter la mission première : celle de protéger les parcs et leurs ressources.

Pendant ce temps, la pandémie du coronavirus qui fait rage pourrait perturber le débat.

Le Old Faithful Lodge du parc de Yellowstone est exploité par une société appartenant à Xanterra, un des plus grands et plus anciens concessionnaires de parcs.

PHOTOGRAPHIE DE Christian Heeb, Laif, Redux

DOIT-ON PRIVATISER LES PARCS ?

Il s’agit d’une question particulièrement épineuse qui suscite des débats sans fin depuis la mise en place du premier parc national.

Dans certains cas, la privatisation a remporté un franc succès. Par exemple, la Tallgrass Prairie Preserve dans l’Oklahoma protège d’importantes espèces fauniques et floristiques, en grande partie parce que l’organisation à but non lucratif Nature Conservancy a pu acheter les terrains d’éleveurs consentants tandis que le Service des parcs nationaux, lui, n’a pas réussi à conclure de marché. Après que des restrictions budgétaires ont contraint l’État de l’Alabama à fermer un parc en 2015, une entreprise du nom de Recreation Resource Management (RRM) s’est vue confier la mission de rouvrir le parc et de le gérer. Cependant, la privatisation se heurte souvent à une vive opposition : les plans récents visant à créer une vaste réserve naturelle à financement privé dans le Montana ont suscité la colère des habitants qui se sont sentis comme expulsés de ces terres qu’ils entretiennent à la sueur de leur front depuis des générations.

Difficile de prendre position surtout que la privatisation prend des formes différentes. Il n’existe pas de modèle unique. Certaines aires protégées reposent sur des terres privatisées tandis que les parcs nationaux sont construits sur des terrains publics et font appel à des services privatisés.

Ces services – terrains de camping, toilettes, hébergement, restauration, location des équipements et autres commodités requises pour exploiter un parc – étaient au cœur des propositions avancées par le comité du ministère de l’Intérieur.

« Est-ce que le Service des parcs nationaux doit véritablement exploiter les logements ? Qu’en est-il des terrains de camping ? Devra-t-il prendre en charge l’entretien des toilettes ? Devra-t-il paver les routes ? demande Warren Meyer, propriétaire de RRM, une entreprise qui exploite près de 150 aires de loisirs sur des terrains publics. « Plusieurs tâches n’incombent pas au Service des parcs nationaux. »

Les terrains de camping – le Service des parcs nationaux en gère 1 421 – font partie intégrante du débat sur la privatisation. Meyers affirme qu’au sein de campings privatisés, les visiteurs ne s’attendent pas uniquement à des travaux d’entretien réguliers mais également à de nouvelles commodités : glamping, petites maisons de location et chalets.

Emily Douce, directrice des opérations et du financement des parcs à la National Parks Conservation Association rétorque qu’il vaudrait mieux qu’un parc continue de gérer ses terrains de camping pour interagir avec les visiteurs et assurer le suivi des activités.

« La présence d’un garde forestier du parc a de nombreux avantages : partager des connaissances mais aussi surveiller ce qui se passe et veiller à ce que les gens soient responsables », souligne Douce en ajoutant que la privatisation du poste de garde forestier pourrait être source de préoccupation.

« Leur rôle est de s’assurer que les ressources sont protégées et les visiteurs bien informés. En recourant à la privatisation, une partie de ces tâches risquerait de se perdre », explique-t-elle.

Un avis partagé par Meyer qui pense que, même si les entreprises privées pourraient s’acquitter de certaines missions, il serait pratiquement impossible de retirer la gestion de la nature sauvage ou des gardes forestiers des mains du Service des parcs nationaux.

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    Tout au long de ses cent ans d’histoire, l’Ahwahnee Hotel, autrefois connu sous le nom de Majestic Yosemite Hotel, a été tour à tour géré par plusieurs concessionnaires privés dont Delaware North et Aramark, deux des plus grands concessionnaires des sites du Service des parcs nationaux.  

    PHOTOGRAPHIE DE Diego Grandi, Alamy Stock Photo

    Alors, à qui revient la décision ? Chaque parc national choisit les mesures de privatisation qu’il juge convenables, à la fois en matière d’expérience des visiteurs et de gestion des ressources, dit Douce. Meyer met l’accent sur le rôle important du public dans la prise de décision.

    « Si ce n’est pas le public qui gère l’utilisation du terrain et l’accès à celui-ci, il vaudrait mieux le vendre », renchérit-il. « Quel intérêt à avoir acquis le terrain si ce n’est pour cela ? »

     

    UN AVENIR INCERTAIN

    Reste à évaluer l’incidence de la pandémie du coronavirus sur le débat.

    Pour le moment, les autorités fédérales et étatiques centrent les dépenses sur la lutte contre le COVID-19. Selon Douce, le budget fédéral du Service des parcs nationaux devrait rester stable par rapport à l’année dernière même si les demandes de financement auprès du gouvernement fédéral sont loin d’être assurées. Un autre défi est celui de la compensation des pertes de revenus essuyées par les parcs en raison de la pandémie. Cela pourrait avoir des répercussions sur le maigre budget d’entretien.

    « Nous travaillons en étroite collaboration avec d’autres entités pour influer sur les plans de relance actuellement soumis à l’étude. Nous voulons voir s’il y a moyen de récupérer les fonds perdus », indique Douce.

    Meyer est souvent sollicité pour discuter des moyens de garder les parcs nationaux ouverts. Il dit que les agences fédérales auront sans doute besoin de plus de temps mais s’attend à ce que les contraintes financières imposées par le COVID-19 rendent plus attrayante la privatisation des services dans les parcs nationaux. « Une grande pression sera exercée pour dire, ‘Hé, nettoyer les toilettes du camping avec les agents de la fonction publique est un luxe. Nous devons trouver d’autres moyens.’ »

    Il faut du temps, mais aussi une main-d’œuvre, un nouveau modèle de contrat pour les concessionnaires et une rubrique commentaires pour le public. C’est un grand défi parce que ces réunions sont remises à une date ultérieure en raison du coronavirus.

    Le gouvernement ne devrait pas prendre de décisions de privatisation durant la pandémie, insiste Douce. « Nous voulons que les responsables s’investissent vraiment et, pour le moment, ils sont trop pris par les changements quotidiens entraînés par le virus. »

    Adina Solomon est une journaliste pigiste basée à Atlanta. Elle couvre un large éventail de sujets, en particulier les questions d’urbanisme, d’affaires et de décès.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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