Donald Trump veut autoriser la pêche commerciale dans les eaux protégées de l’Atlantique

Le président américain a l’intention de « restituer au Maine une partie de son histoire et de rendre aux pêcheurs ce qui leur revient. »

De Laura Parker
Publication 8 juin 2020, 17:52 CEST
Voici le navire de recherche MV Alucia, à 160 kilomètres environ au large du cap Cod. ...

Voici le navire de recherche MV Alucia, à 160 kilomètres environ au large du cap Cod. Il se dirige vers le Seamounts Marine National Monument pour explorer les écosystèmes coralliens en eau profonde.

PHOTOGRAPHIE DE Luis Lamar, National Geographic

Vendredi 5 juin, le président Trump s’est engagé à ouvrir le seul monument national dans l’océan Atlantique à la pêche commerciale. Il a l’intention, dit-il, de restituer au Maine une partie de son histoire et de rendre aux pêcheurs ce qui leur revient.

Il a signé la proclamation lors d’une réunion avec des pêcheurs commerciaux à Bangor dans l’État du Maine. Celle-ci a notamment porté sur les règlements et tarifs indésirables imposés au commerce des fruits de mer.

« Nous ouvrons le sanctuaire aujourd’hui », a déclaré Trump. Avant d’ajouter en s’adressant aux pêcheurs : « Ne vous inquiétez pas, nous allons résoudre votre problème. Ils vous ont privés de votre gagne-pain, c’est absurde. »

La décision de Trump d’autoriser la pêche commerciale dans le Seamounts Marine National Monument ravive le conflit juridique sur les limites des prérogatives présidentielles quant aux monuments nationaux. Les tribus amérindiennes, ainsi que les groupes environnementaux, sont déjà vivement opposés à la réduction de la taille de deux monuments nationaux dans l’Utah par l’administration Trump.

Pour ce qui est du Seamounts, Donald Trump ne cherche pas à modifier les frontières du monument marin, ont souligné certains participants à la discussion du Maine. Cependant, les groupes environnementaux ont immédiatement annoncé poursuivre l’administration Trump en justice.

« C’est le Congrès qui décide d’apporter des modifications importantes aux monuments ou à leurs protections. L’autorisation de la pêche commerciale ne relève en aucun cas de l’autorité du président », affirme Brad Sewell, directeur principal des océans au Natural Resources Defense Council, par voie de communiqué. « La Loi de 1906 donne aux présidents le pouvoir d’établir des zones de conservation pour les générations à venir mais ne leur accorde nullement le droit d’annuler ces protections. »

« Nous allons porter plainte contre l’administration Trump », renchérit-il.

Enric Sala est biologiste de la vie marine et fondateur du programme Pristine Seas de National Geographic. Il a aidé à mettre en place des monuments marins dans le Pacifique et ailleurs. Selon lui, il ne sert à rien de protéger les limites du monument si c’est pour y autoriser la pêche commerciale.

Ces coraux roses du Seamounts Monument servent d’habitat à deux crabes.

PHOTOGRAPHIE DE Luis Lamar, National Geographic

« Conformément à la loi, les monuments nationaux devraient préserver l’intégrité des sites historiques et naturels des États-Unis », indique-t-il. « Les zones de conservation sont nécessaires pour que nous puissions voir à quoi ressemblait la nature avant que nous la surexploitions. Elles nous permettent aussi de comprendre les véritables répercussions de la pêche. Inutile de désigner une étendue de zone de conservation si la pêche commerciale y est permise. Elle perdrait tout son sens et serait comme n’importe quelle autre zone de l’océan. »

 

FEU VERT POUR LA PÊCHE DE LOISIR

Créé par le président Obama en 2016, le Northeastern Canyons and Seamounts Marine National Monument s’étend sur une zone de 8 000 kilomètres carrés environ, à plus de 200 kilomètres au large du cap Cod. Il comprend une série de canyons et de monts sous-marins, en plus de quatre volcans éteints. Il sert également d’abri à des tortues marines, des baleines en voie de disparition et des coraux fragiles des grands fonds marins.

Au sein de la zone de conservation, la pêche de loisir est admise mais pas la pêche commerciale. Seule la récolte de crabes et de homards est autorisée durant une période dite de transition qui devrait prendre fin en 2023.

Les avocats de l’administration plaident déjà devant la Cour fédérale en faveur d’une démarche qu’ils considèrent comme relevant de l’autorité du président. Il s’agit de la décision de Donald Trump en 2017 de réduire considérablement la taille de deux monuments nationaux mis en place par le président Obama dans le Utah : Bears Ears et Grand Staircase-Escalante.

Le Seamounts Monument avait déjà fait l’objet d’une action en justice en cour fédérale. En 2017, deux groupes de pêcheurs de homards et trois associations de pêche commerciale ont porté plainte contre le gouvernement fédéral, accusant Obama d’avoir abusé de son pouvoir pour mettre en place illégalement la zone de conservation.

En 2018, un jugé fédéral a rejeté le procès contestant sa création, une décision confirmée en décembre dernier par la Cour d’appel du district de Columbia qui a évoqué le manque de pertinence des arguments avancés par les associations de pêcheurs. En raison de la pandémie actuelle, les cinq groupes disposent désormais d’une prorogation de délai pour interjeter appel devant la Cour suprême.

 

DES CONDITIONS ÉCONOMIQUES INCERTAINES

La décision du président américain d’autoriser la pêche commerciale dans la zone de conservation du Seamounts intervient au moment où les pêcheurs commerciaux veulent alléger le poids du fardeau réglementaire. Ils cherchent par tous les moyens à surmonter la crise économique provoquée par la pandémie. Celle-ci a conduit à la fermeture des restaurants et des hôtels, principaux acheteurs de poisson.

Le Western Pacific Fishery Council (WESPAC) a demandé à Donald Trump d’autoriser la pêche commerciale dans les quatre monuments nationaux du Pacifique. Il y a quelques jours, les huit conseils régionaux de la pêche – des organismes quasi-gouvernementaux qui établissent les calendriers de la saison de pêche et en définissent les limites annuelles – ont écrit à Wilbur Ross, secrétaire américain au Commerce, pour demander la réouverture des cinq monuments marins à la pêche commerciale.

Dans la lettre, en date du 29 mai, on peut lire ce qui suit : « La pêche dans notre pays est gravement touchée par la pandémie de la COVID-19. Les conseils estiment qu’il est nécessaire de prendre des mesures immédiates pour soutenir la pêche aux États-Unis. Les conseils de gestion de la pêche ont également fait part de leur opposition de longue date aux monuments marins où la pêche est interdite. « La désignation de monuments nationaux nous empêche d’atteindre nos objectifs en matière de gestion de la pêche. »

Lors de leur rencontre avec Donald Trump dans le Maine, les pêcheurs ont évoqué ce commerce transmis de génération en génération qui fait face à de nombreux obstacles à plusieurs niveaux. Selon eux, Obama a fait la sourde oreille lorsqu’ils lui ont fait part des difficultés qui découleraient de telles restrictions. Ce monument a été désigné « à huis clos pour servir des intérêts particuliers », dit Kristan Porter, président de l’Association des homardiers du Maine.

Pour plusieurs autres pêcheurs, la création du Seamounts Monument n’est que la première étape d’une série de restrictions qui leur seront imposées.

« Nous sommes vraiment très inquiets », ajoute Porter. « En nous interdisant l’accès à de vastes zones de l’océan, vous resserrez l’étau autour de nous. »

Donald Trump a écouté les plaintes des pêcheurs, les jugeant légitimes. Il leur a alors demandé ce qu’ils attendaient de lui. Lorsqu’on lui a dit que la signature de la proclamation ferait l’affaire, il s’est exclamé : « Quelle chance vous avez que je sois président ! »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

loading

Découvrez National Geographic

  • Animaux
  • Environnement
  • Histoire
  • Sciences
  • Voyage® & Adventure
  • Photographie
  • Espace
  • Vidéos

À propos de National Geographic

S'Abonner

  • Magazines
  • Livres
  • Disney+

Nous suivre

Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.