L’impact dramatique du réchauffement climatique sur les cultures céréalières africaines

De récents travaux scientifiques viennent confirmer l’impact dramatique du réchauffement climatique sur les cultures céréalières en Afrique de l'Ouest, cultures extrêmement importantes pour la sécurité alimentaire et la paix du continent.

De Mehdi Benmakhlouf
Publication 25 juin 2020, 16:54 CEST
Susan Meneno tient dans ses bras sa petite fille d'un an devant le champ de tournesols ...

Susan Meneno tient dans ses bras sa petite fille d'un an devant le champ de tournesols de sa famille dans le camp de réfugiés de Bidibidi en Ouganda. Aucun membre de sa famille n'a d'emploi mais certains gagnent un peu d'argent grâce aux récoltes et elle rêve d'ouvrir un jour sa propre entreprise de textile.

PHOTOGRAPHIE DE Nora Lorek

En 2019 a paru une étude qui venait confirmer les effets alarmants du réchauffement climatique en Afrique de l’Ouest. Ces travaux scientifiques, parus dans la revue Scientic reports (Nature), ont été réalisés par deux agro-climatologues de l’Institut de Recherche pour la Développement (IRD ), rattachés à l’unité de recherche Espace-Dev, en partenariat avec National Institute for Agro-Environmental Sciences au Japon.

L'étude démontre que les changements climatiques ont eu un impact sur les rendements agricoles dès le 20e siècle et mettent en péril la sécurité alimentaire de nombreuses populations. Leur méthode, basée sur de la modélisation, a consisté à imaginer deux situations climatiques : une sans l'empreinte de l’Homme, telle qu’elle était au 19e siècle et une avec des conditions climatiques altérées par l’Homme, en prenant en compte les émissions de gaz à effet de serre engendrées par l'activité humaine.

« Nous avons lancé des simulations de rendement pour le mil, le sorgho et le maïs dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, puis dans des pays en particulier : le Nigeria, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et au Sénégal » explique le chercheur Dimitri Defrance, co-auteur de cette étude. Cette dernière énonce que « le mil semble être plus affecté par le changement climatique que le sorgho dans les deux modèles de culture. En moyenne, en Afrique de l'Ouest, le modèle SARRA-H simule une perte de rendement énorme de 17,7% pour le mil et de 15,0% pour le sorgho. » D’un point de vue économique cela engendre des pertes de 2 à 4 milliards de dollars pour le mil et entre 1 à 2 milliards pour le Sorgho.

Sur place, initiatives et adaptations se multiplient : l’association de culture, l’agroforesterie, le maintien des branches au sol pour conserver l’humidité, le choix de planter des céréales plus adaptées aux fortes température, l’enrichissement et la conservation des nutriments dans le sol s’imposent comme une priorité.

« Les populations sur place n’ont pas attendu nos études pour agir » affirme Dimitri Defrance « par exemple l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) met en place des adaptations locales, une autre méthode est la mise en place par le centre régional météorologique (l’AGRHYMET) d’un système de pré-alerte qui permet d’informer les agriculteurs sur le début de la mousson et d’ainsi leur permettre de savoir quand semer les graines. »  

Quels impacts auront alors ces travaux scientifiques pour éviter que les populations locales s’appauvrissent d’autant plus ?  « Notre étude a vocation à être prise en compte, elle a déjà été reprise par d’autres études et confirme que l’Homme a déjà un impact sur le climat mais nous attendons de voir comment elle sera reprise dans le prochain rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC), en espérant qu’elle y apparaisse » conclut le chercheur.

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    « La sécurité alimentaire sera une des clés pour obtenir la paix en Afrique », affirment Mohamed Ait Kadi, Abir Lemseffer et Riad Balaghi, membres de l’initiative Adaptation de l’Agriculture Africaine à National Geographic France. Cette initiative, qui se veut porte-parole du continent africain en matière de changement climatique dans le cadre des grands rassemblements internationaux, travaille en collaboration avec la gouvernance de 36 pays d’Afrique, d’institutions financières, d’organisation internationales, avec le secteur privé et la société civile.

    « On identifie les besoins des pays avec les gouvernements, ce qu’ils veulent améliorer en priorité puis nous mettons en place des projets en termes de gestion des risques climatiques, dans la maîtrise de l’eau mais aussi pour préserver les sols » explique Abir Lemseffer, directrice générale de l’initiative AAA.

    La COP22 tenue à Marrakech en 2016 a marqué un tournant décisif permettant à l’agriculture africaine de lui donner la place qui lui revient dans les dialogues internationaux. « Il faut rappeler que l’Afrique représente une part infime des émissions de gaz à effet de serre globaux mais est le continent le plus impacté par les changements climatiques, faire en sorte de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et que les populations les plus vulnérables s’adaptent aux changements climatiques passe par l’agriculture, » ajoute Riad Belaghi, directeur des projets à la fondation AAA.

    Cette prise de conscience a été le précurseur d’un changement dans les conditions de vie des 240 millions d’Africains qui souffrent de sous-alimentation et des 80 % de la population qui tirent ses revenus des activités agricoles.

    Au vu des niveaux de précipitation insuffisants, des sécheresses fréquentes, de la pression démographique, de pratiques agricoles inappropriées, les sols africains se sont fragilisés au cours du temps. L’initiative propose donc des projets aux agriculteurs avec l’aide des États et de financements, ces projets, nommés « plans d’investissements climato-résilients » ont pour vocation d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs tout en s’adaptant aux changements climatiques.

    « Certains pays viennent à nous avec des besoins et nous nous adressons à d’autres dans le cadre d’approches régionales, en Afrique de l’Ouest par exemple. Il est important que tous les acteurs soient autour de la table et convaincus de la même approche : l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques. Une fois les projets arrivés à maturité nous les présentons aux associations d’agriculteurs mais toujours en impliquant les institutions et les ONG » poursuit Abir Lemseffer.

     

    L’IMPORTANCE DES CÉRÉALES SUR LE CONTINENT AFRICAIN

    La consommation de céréales est de plus en plus importante en Afrique, dans un contexte de croissance démographique élevée, cette ressource constitue une base alimentaire et fait partie du quotidien d’un grand nombre de personnes : 80 % de la population active malienne travaille dans le secteur de l’agriculture. Consommées sous forme de grains, de farine, de couscous, les céréales constituent l’alimentation de base pour de nombreuses personnes. L’amidon qu’elles contiennent est une très bonne source énergétique. Le continent aurait donc besoin de tripler ces rendements pour s’assurer une sécurité alimentaire.

    Les nombreux scientifiques rattachés à l’Initiative AAA, qui seraient entre 80 et 90 sur le continent, constatent que l’érosion, la dégradation chimique et la dégradation physique des sols s’accentuent et qu’ils peuvent mettent en péril la vie d’un grand nombre de personnes. « Les agriculteurs sont très réceptifs à ces changements car ils savent que cela peut améliorer leurs rendements et réduire l’impact négatif qu’auront les dix prochaines années » ajoute Abir Lemseffer « Quand une sécheresse frappe une région, la population n’a pas d’autres ressources, elle se retrouve alors démunie et est parfois contrainte de fuir. »

    En plus du manque d’infrastructures, cette baisse de rendement dues aux variations climatiques vient accentuer les difficultés. « Nous sommes convaincus que l’adaptation de l’agriculture va assurer la sécurité sociale de l’Afrique et ainsi conditionner notre vivre ensemble. L’Afrique est déterminée, l'Afrique n'a pas le choix » conclut le professeur Mohamed Ait-Kadi, ingénieur agronome et président du comité scientifique AAA.

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