Le changement climatique asphyxie les lacs

Les pertes en oxygène constatées depuis 1980 dans les lacs sont trois à neuf fois plus rapides que celles observées dans les océans.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 19 juil. 2021, 10:34 CEST
Coucher de soleil au lac Stechlin dans le nord-est de l'Allemagne, un lac d'eau claire autrefois ...

Coucher de soleil au lac Stechlin dans le nord-est de l'Allemagne, un lac d'eau claire autrefois oligotrophe, qui a subi une eutrophisation interne massive (enrichissement de l’eau en phosphore en raison de la libération de phosphore par les sédiments) au cours des 15-20 dernières années. L'une des causes semble être le changement climatique global qui a entraîné une augmentation de la période de stratification d'environ un mois depuis le début des années 1960.

PHOTOGRAPHIE DE Hans-Peter Grossart

Plus les températures grimpent à la surface, et plus l’oxygène manque aux lacs. Depuis 1980 les niveaux d’oxygène des lacs situés dans les zones tempérées ont diminué en moyenne de 18,6 % dans les eaux profondes et de 5,5 % dans les eaux de surface, selon une étude parue dans Nature en juin 2021. Les pertes en oxygène constatées depuis 1980 dans les lacs sont trois à neuf fois plus rapides que celles observées dans les océans.

 

LES PROFONDEURS SANS OXYGÈNE

En cause, principalement : le changement climatique. Pour les eaux de surface, comme pour celles en profondeur. « Les eaux peu profondes sont réchauffées par l’augmentation globale des températures à la surface. Plus une eau est chaude, et moins elle peut contenir d’oxygène – d’où cette perte en moyenne de 5,5 % dans les eaux de surface » explique Stephen Jane, l’auteur principal de l’étude. Ainsi, depuis les années 1980, la température globale des eaux de surface des lacs a augmenté en moyenne de 0,38 °C par décennie et la concentration en oxygène a diminué de 0,11 mg/l tous les dix ans également.

Pour les eaux profondes, c’est une autre histoire. Loin des étés brûlants à la surface, leur température est restée assez stable. Comment expliquer alors que leur niveau d’oxygène ait diminué de 18,6 pourcent ?

Des échantillons d'eau du lac Majeur, dans le nord de l'Italie, sont prélevés à différentes profondeurs (jusqu'à 360 m), puis transportés au laboratoire pour les analyses.

PHOTOGRAPHIE DE Gabriele Tartari, CNR IRSA

La réponse est à chercher du côté de la différence de densité de l’eau. Les eaux en surface deviennent plus chaudes et sont donc moins denses et plus légères que les eaux des profondeurs. Ce phénomène physique renforce « la stratification thermique », soit la formation d’une couche d’eau chaude de surface qui « flotte » à la surface et isole les eaux des profondeurs. Avec le réchauffement climatique, la stratification thermique augmente en intensité et en durée, donc les eaux des lacs se mélangent moins. L’oxygène de la surface ne parvient plus, ou moins, jusqu’aux profondeurs.  « Ce mécanisme est le principal moteur de la perte d’oxygène dans les eaux profondes des lacs» souligne Kevin Rose, un des autres auteurs de l’étude.

Si les chercheurs ont travaillé sur 45 000 échantillons d’eau en Europe et en Amérique du Nord principalement, ils n’ont pas pu étudier des lacs hors des zones tempérées pour cause de manque de données. « Néanmoins, le mécanisme à l’origine de ces pertes en oxygène peut être généralisable » note Stephen Jane.

 

DE LOURDES CONSÉQUENCES SUR LA BIODIVERSITÉ

Les poissons qui vivent dans les profondeurs, comme la truite des lacs, l’omble chevalier ou le corégone pourraient être menacés. « Ils ont besoin d’eaux très oxygénées et froides : s’ils perdent l’une ou l’autre caractéristique, ils perdent leur habitat » souligne Stephen Jane. « Si les poissons sont privés d’oxygène dans les profondeurs, ils vont devoir en chercher dans les parties plus hautes du lac. De fait, ils vont dépenser toute leur énergie à chercher de l’oxygène plutôt qu’à trouver à manger, par exemple.

Ce stress finira par provoquer leur mort. Cela aura des conséquences sur toute la chaîne alimentaire» poursuit Gretchen Hansen, une des autrices de l’étude. Une mauvaise nouvelle pour les lacs et leurs espèces, qui comptent déjà parmi les écosystèmes les plus dégradés au monde.

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    Un crapet arlequin (Lepomis macrochirus) nage parmi les plantes aquatiques dans un lac du Wisconsin, aux États-Unis.

    PHOTOGRAPHIE DE Gretchen Hansen

    LES RESSOURCES EN EAU POTABLE MENACÉES

    Cette perte d’oxygène est également une menace pour le climat. « Quand on perd de l’oxygène, la population microbienne change. Des bactéries produisant du méthane peuvent ainsi apparaître dans les lacs » explique Kevin Rose.

    Ce gaz à effet de serre est en partie responsable du changement climatique. Ce mécanisme pourrait donc bien alimenter un cercle vicieux.

    Enfin, « l’absence d’oxygène en profondeur des lacs entraîne un certain nombre de réactions chimiques dans les sédiments. Ces derniers peuvent libérer du phosphore. Et quand la quantité de phosphore augmente, cela peut fertiliser le lac et provoquer des efflorescences algales nuisibles – soit des proliférations d’algues nocives. Ces dernières peuvent être à l’origine de toxines dangereuses pour les animaux et les êtres humains. Nous savons par exemple que certains animaux ayant bu l’eau des lacs concernés par ces phénomènes sont morts » explique Kevin Rose.

    Plantes aquatiques dans un cenote d'eau douce à Quintana Roo, Mexique.

    PHOTOGRAPHIE DE Gretchen Hansen

    S’il n’y a pas de cas de morts humaines connus, les taux de ces toxines dans les réserves en eau sont surveillés de près. En 2014, la concentration de ces toxines était si importante dans le lac Érié aux États-Unis que 400 000 personnes ont été privées de leur source d’eau potable à Toledo, une commune voisine du lac. Ce phénomène contribue donc à menacer nos ressources en eau douce, qui représente pourtant moins de 1 % de l’eau disponible sur Terre.

     

    PROTÉGER LES ALENTOURS DES LACS

    Pour enrayer le phénomène, les chercheurs soulignent la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et empêcher le plus possible l’augmentation des températures globales. Mais il est aussi possible d’agir localement. Car si le changement climatique est le principal moteur de la perte en oxygène des lacs, le rejet de nutriments dû aux activités humaines – notamment l’agriculture et les rejets des eaux usées domestiques – participe aussi à ce phénomène.

    Le lac Érié en octobre 2011, pendant une intense floraison d'algues bleues (cyanobactéries).

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    « En protégeant les terres autour des lacs, en conservant les forêts plutôt qu’en cultivant, on limite les rejets de nutriments dans les lacs. L’État du Minnesota a ainsi racheté des terres autour d’une centaine de lacs et emploie des personnes pour protéger les forêts sur ces terres » souligne Gretchen Hansen.

    Actions locales à l’échelle de chaque lac et résolutions globales contre la hausse des températures sont ainsi nécessaires pour enrayer ces pertes d’oxygènes - et leurs conséquences en cascade.

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