Camille Étienne : « Les lois en place maintiennent l’autodestruction de l’humanité »

L’activiste et autrice de 24 ans a choisi le chemin de la désobéissance civile pour appeler les populations à prendre conscience de l'urgence climatique.

De Margot Hinry
Publication 28 juil. 2022, 11:01 CEST
Portrait de Camille Étienne, une activiste française engagée pour la justice sociale et climatique.

Portrait de Camille Étienne, une activiste française engagée pour la justice sociale et climatique.

PHOTOGRAPHIE DE Camille Étienne

Selon les calculs du Global Footprint Network, ce jeudi 28 juillet est le « jour du dépassement », soit la date à laquelle l'humanité a puisé toutes les ressources que la Terre avait à donner cette année. Aujourd'hui, et jusqu'à la fin de l'année, nous vivons à crédit. Mesuré tous les ans par l'ONG, ce jour avance d'année en année. Si le monde entier vivait comme le fait la France, le dépassement aurait été atteint en mai dernier

En cette date de journée mondiale pour l'environnement et la conservation de la nature, nous consommons ce qu'il reste de réserves d'eau, de forêts, de puits de carbone, de sols et d'écosystèmes naturels. « Nous consommerons, cette année, l’équivalent de 1,75 fois ce que produit naturellement la Terre. »

National Geographic a échangé avec Camille Étienne, une activiste écologiste de 24 ans, afin de comprendre comment les récits peuvent être repensés pour enfin donner envie d'agir.

Désobéir pour se faire entendre, interrompre des assemblées générales afin d’ouvrir le débat... c’est la forme de combat qu’a choisi Camille Étienne, connue sous le nom de @Graine_de_possible sur les réseaux sociaux, pour donner envie au plus grand nombre de s'engager pour l'environnement et la biodiversité. Activiste pour la justice sociale et climatique, autrice de courts-métrages pour son collectif @avant_lorage, elle a pour objectif d'ouvrir les consciences.

 

Dans un court-métrage que vous avez publié en 2021, vous dites : « On nous parle de 2050 comme d’un film catastrophe, mais cette fois, les scénaristes sont en blouse blanche et qui voudrait être spectateur quand le « happy ending » peut être entre nos mains ? ». Pour pouvoir espérer ce fameux « happy ending », la désobéissance civile est la voie que vous avez choisie.

Absolument. Je fais toujours attention à ne pas hiérarchiser les modes d’actions collectifs. Je ne prétends pas avoir une solution plus importante que les autres, je sais juste qu’il faut que l’on essaye tout, et vite. Avec ambition et sans compromis.

Il y a un scientifique de la NASA que j’aime beaucoup, Peter Kalmus, qui travaille sur les sujets climatiques depuis plus de dix-sept ans, on lui doit de grandes études. Il fait partie d’un collectif de scientifiques, Scientist Rebellion. Ils se sont notamment enchaînés à des banques à New York. La désobéissance civile est aussi un outil de communication. Il y a plein de manières de faire. L’idée, c’est de dire : on vous embêtera jusqu’à ce que vous lisiez et entendiez notre message.

Je pratique une forme de désobéissance civile qui est par exemple de bloquer l’assemblée générale de TotalEnergies. Parce que c’est nécessaire que l’on vienne leur dire que les décisions qu’ils prennent entre quelques riches actionnaires impactent le reste de l’humanité et que ce n’est pas normal que ce soit fait dans des salles closes. Le système médiatique étant saturé, le temps long étant souvent sacrifié pour des formats percutants, c’est un moyen de capter l’attention. Lever un carton rouge en disant « Je suis là ! » ; « Je me mets au milieu du terrain pour que vous me voyiez, maintenant, écoutez-moi ! », c'est utile.  

Je pense qu’il y a aussi quelque chose de beau à se dire que lorsque les lois ne sont pas justes, alors on désobéit. Réussir à faire la distinction entre ce qui est légal de ce qui est juste. Ce qui n’est précisément pas la même chose. Là, les lois en place maintiennent l’autodestruction de l’humanité. Le traité de la charte de l’énergie par exemple, permet à des multinationales de porter plainte directement contre des États parce qu’ils mettent en place des mesures climatiques. Des lois comme ça, il y en a des milliers. Une partie des lois protègent les statuquos, les responsables, les lobbys. Puisque les lois sont injustes, il nous faut désobéir.

 

Pendant longtemps, on pouvait expliquer le déni climatique par un décalage temporel entre les prévisions scientifiques à long terme et la réalité plutôt lente du changement climatique. Mais depuis quelques années, tout s'accélère. Comment peut-on encore être climatosceptique ?

Le climatosceptique paralyse l’action en instaurant le doute. Il y a une manière très évidente de le faire en disant que ce n’est pas la faute de l’Homme. Aujourd’hui, on commence un peu à en revenir, mais pas non plus complètement. Cela m’est déjà arrivé sur des grands plateaux de télévision française de me retrouver face à des personnes encore sceptiques sur les questions climatiques.

Il y a d'ailleurs plusieurs formes de climatosceptisisme. Leur point d’attaque est de dire que la technologie va sauver le monde. Ou bien de dire qu’on a le temps, que l’on va trouver des solutions ou encore que ce n’est pas si grave. Leur stratégie est de trouver les meilleurs récits qui mènent à la neutralisation de l’action climatique. Ils ne sont pas comme ça uniquement parce qu’ils sont cartésiens. C’est aussi et surtout une stratégie politique d'en rester aux statuquos. Qui finance et sème le doute ? Les compagnies pétrolières. Aux États-Unis, en France, on le sait, Total était au courant depuis les années 1970. Ces récits, on les entend, ils disent que les nouvelles technologies sauveront le monde, que nous réussirons à retenir du carbone dans le sol, que nous allons créer un avion vert et voler sans problème sans passer par la sobriété. Le but est de neutraliser une action climatique qui n’arrange pas les compagnies pétrolières. Ils n’ont pas intérêt à moins produire, donc ils trouvent des arguments pour justifier le maintien leur activité.

 

Est-ce que la parole des scientifiques est devenue un bruit de fond que l’on entend sans y prêter attention ? La pandémie de COVID-19 a permis une revalorisation de la parole scientifique dans les médias généralistes. Pourquoi, selon vous, avons-nous tant de mal à la considérer de la même manière lorsque l’on parle d'environnement ?

Pendant la période du Covid-19, le débat était centré autour de la parole scientifique. On voulait donner politiquement la responsabilité à des scientifiques. J’ai l’impression que ce que l’on entend trop peu, ce sont les sciences sociales.

La vague scientifique commence selon moi à émerger. Mais comment est-ce que l’on arrive à laisser une place au débat sociologique ? C’est important d’entendre qu’il y a des limites planétaires que l’on ne doit pas dépasser, il y a encore beaucoup de faits scientifiques à marteler. Maintenant, l’étape d’après, c’est de savoir ce que l’on fait concrètement pour agir. Qu’est-ce qu’on décide de faire et comment ? C’est ce débat qui permet de faire le lien entre la question sociale et climatique, qui permet de politiser le débat. Il ne s’agit pas de dire que les glaciers fondent, que les animaux disparaissent, et qu’il faut donc arrêter de chasser et trouver des solutions pour réduire les températures de quelques degrés. La question maintenant c’est plutôt, quelles sont les sources d’énergies ? Comment faire ? Qui décide pour nous de cela ? Qui finance ? Toutes ces questions sont encore beaucoup trop peu entendues et elles sonnent comme des bruits de fond.

Parfois, est-ce que le débat n’a pas manqué dans l’espace démocratique ? Il faut réussir à laisser un espace où les gens se saisissent de ces questions et qu’ils n’aient pas l’impression d’en être dépossédés alors que cela les concerne fondamentalement. Entendre la parole scientifique est primordial, mais il ne faut pas qu’on en oublie le débat. Il ne faut pas oublier que l’on va devoir se retrousser les manches. La convention sociale sur le climat en est un très bon exemple.

Vous choisissez d’emprunter plusieurs chemins pour faire entendre les messages que vous portez pour l’environnement. Les courts-métrages, les vidéos d’informations sur YouTube, les posts sur les réseaux sociaux, les actions dans des conseils d'administration et d'actionnaires. Est-ce que c’est votre manière de réinventer les récits pour susciter l’engagement ?

Je n’aurais pas la prétention de dire que j’ai réinventé un récit parce que je pense que l’on n’invente jamais vraiment rien, on pioche un peu partout et on assemble. Le récit, c’est de donner du sens à des événements épars, c’est un besoin qu’a notre cerveau de donner du sens aux choses.

De la même manière, j’essaye de trouver une cohérence aux événements. On s’inscrit dans une histoire plus grande que nous. Dans plein d’autres luttes passées, il y a des stratégies que l’on retrouve ici aujourd’hui.

C’est une filiation où l’on se nourrit mutuellement, par notre histoire ou celle des autres pays. On parle beaucoup avec d’autres pays, pour comprendre ce qui fonctionne, ce que l’on peut adapter au contexte français. Il s’agit de trouver de nouveaux moyens de le faire.

On a une manière de dire qu’il faut des nouveaux récits, comme si cela ne marchait pas. C’est précisément parce que cela fonctionne que la société évolue et que donc, on doit trouver mieux. Les marches pour le climat, au lieu de voir ça comme un échec, l’idée, c’est plutôt de dire que c’est merveilleux à quel point maintenant pour tellement de gens ce n’est pas suffisant et qu’il faut faire plus. À l’époque, c’était encore considéré comme un acte tellement radical.

Ça a marché à un moment, maintenant on passe à autre chose et c’est super. Ça permet de prendre la température de la société et de l’amener plus loin. On se réinvente constamment. La démocratie est en mouvement et notre réponse démocratique à ce problème-là doit aussi être en mouvement.

 

Selon vous, la tache de la génération Z, c’est d’éviter que le monde se défasse. Est-ce que vous observez une évolution des mentalités et des habitudes face aux événements récents des conséquences directes du réchauffement de la planète ?

Albert Camus disait que chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La tâche de la nôtre est encore plus grande, parce qu’il nous faut éviter que notre monde se défasse.

Je suis toujours très positive, mais honnêtement chaque année en été, on se réveille et après on oublie. L’été dernier on a quand même vu la Belgique se retrouver sous les eaux, ça leur a coûté 2,8 milliards d’euros de dégâts. L’Allemagne a comptabilisé près de 200 morts. L’été précédent, l’Australie était sous les flammes, il y avait des images de koalas émouvantes et des levées de fonds sur Instagram. On s’habitue à la terreur. On l’observe également avec l’Ukraine. On ne peut plus s’endormir le soir sans savoir qu’il y a une guerre aux portes de notre pays, mais en même temps, on sombre dans l’indifférence. Qui aujourd’hui est encore touché dans sa chair par ce qu’il se passe en Ukraine ? Sincèrement, peu de gens. Je m’inclus dans le peu de gens, on s’habitue à l’horreur. C’est là que c’est très dangereux.

Ce qui est nécessaire, c’est de faire le lien. Aujourd’hui, on n’arrive pas à les faire. Avec la pandémie, on n’a pas fait les liens. On pensait entrer dans le fameux « monde d’après » mais on n’a pas fait le lien avec l’artificialisation des sols, avec ce que Serge Morand appelle « le siècle des pandémies ». On n’a pas fait le lien avec l’urgence climatique, on a raté le coche.

La catastrophe, c’est de rater l’opportunité derrière la crise, et là, c’est un peu ce que l’on a fait. La question, c’est de savoir comment on se sert de l’Histoire pour s’améliorer en tant que société. Qui, en novembre, aura changé ses habitudes en se souvenant des incendies de juillet ? Pas grand monde, je pense.

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    Le traitement médiatique de la crise climatique contourne encore beaucoup le sujet sans mettre l’accent sur l’urgence. Comment faire pour unir et préserver la nature ?

    Si j’avais la solution magique ce serait merveilleux, mais malheureusement, je ne l’ai pas. J’ai des pistes de réflexion là-dessus, mais c’est une question que je me pose tous les matins et tous les soirs.

    Il y a mille tiroirs à ouvrir. J’aime bien ouvrir les tiroirs de l’inaction. Prendre conscience du fait que l’on baigne dans des structures de la société qui permettent l’inaction climatique, ça permet de s’en défaire. Le traitement médiatique « mainstream » n’est pas à la hauteur du tout, on n’en parle pas assez ou de manière pas assez saine. On présente ça comme une idéologie, parfois même comme une religion, au lieu de poser ça comme le cadre du débat et ensuite de parler de la manière dont on va agir. Il faut prendre conscience, sans entrer dans des théories complotistes, qu’il y a des forces qui ont tout intérêt à ce que l’on garde ces modes de fonctionnement.

    Il y a aussi tous les biais cognitifs de notre cerveau. Le biais de l’optimisme par exemple. Dans des études on demande à des personnes quelle est leur chance de mourir en traversant la route ou d’être touché par un cancer très rare. D’après les sondages, la plupart des gens sous-estiment ces probabilités en imaginant que ça ne peut pas leur arriver. Cela prouve une vraie forme d’optimisme, qui est un réflexe relativement sain de notre cerveau. Pourtant, cela dessert la cause du réchauffement climatique puisque personne n’imagine que cela puisse le toucher personnellement.

    Les discours selon lesquels l’écologie est un sujet de bourgeois ou de bobos retardent énormément l’action. À chaque fois que ce message est diffusé dans la société, il faut prendre le temps d’expliquer pourquoi ce n’est pas la vérité. C’est le principe de la loi de Brandolini, ces arguments-là qui n’en sont pas sont très utiles dans le camp adverse puisqu’ils permettent de retarder l’action.

    J’ai espoir parce que l’on peut faire autrement pour sauver le monde. On sait quoi faire, le dernier rapport du GIEC le dit. On a les solutions, on a les moyens d’y arriver, il s’agit uniquement d’une question de volonté politique.

    Il faut se retrousser les manches et arrêter d’être des enfants. Il faut le faire. On a un devoir moral et au nom de ce devoir moral, on doit se mettre au travail. On n’a pas l’habitude, on est dans une société qui nous a un peu endormis, comme si tout nous était dû, comme si nous étions des enfants rois, en se disant que l’on a une vie, qu’il faut en profiter et ne pas trop être bousculés. Actuellement, on doit se battre pour elle, ce qui est plutôt beau finalement.

    Cet entretien a été édité pour des questions de longueur et de clarté.

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