La boue, matériau d'avenir dans un monde en réchauffement ?

La boue, matériau de construction traditionnel en Afrique, permet de conserver plus facilement la fraîcheur des bâtiments que le béton. Les architectes trouvent de nouveaux moyens d'utiliser la boue dans un monde en réchauffement.

De Peter Schwartzstein
Photographies de Moises Saman
Publication 10 mars 2023, 09:00 CET
Les murs en briques de terre crue de la Grande Mosquée de Bobo-Dioulasso (XIXe siècle), au ...

Les murs en briques de terre crue de la Grande Mosquée de Bobo-Dioulasso (XIXe siècle), au Burkina Faso, sont étanchéifiés avec du beurre de karité. Mais ils résistent mal aux intenses pluies dues au changement climatique.

 

PHOTOGRAPHIE DE Moises Saman

Ce matin du mois de mai, dans le village de Koumi, Au Burkina Faso, Sanon Mousa, a presque terminé l'entretien annuel de sa maison de trois pièces. Il a remplacé les solives rongées par les termites par des poutres fraîchement taillées et renforcé les murs de terre isolant de la chaleur, dont certains font 1 m d’épaisseur et sont vieux de plus de cent ans. Après avoir recouvert le toit de paille et sacrifié une chèvre à la mémoire de ses ancêtres, il ne lui reste qu’à appliquer des couches d’imperméabilisation à l’extérieur.

Âgé d’une cinquantaine d’années, ce bibliothécaire à la retraite s’enorgueillit de sa maison. Pour autant, y vivre n’était pas forcément son premier choix. Ces dernières années, dans cette bande de terre verdoyante du sud-ouest du pays, Sanon Mousa a vu ses voisins plus riches entreprendre la reconstruction de leur maison en béton. Il y a perçu, non sans dépit, un symbole de sa pauvreté relative. Et a été tenté – pour des raisons de statut social et de sécurité – d’emprunter de l’argent et d’abandonner sa maison de terre. Lors de notre rencontre avec Sanon, deux frères qui habitaient dans le village venaient de trouver la mort dans l’effondrement d’un mur de terre pendant leur sommeil.

Dans une maison de terre délabrée servant pour la communauté, Sanon Mousa est assis à côté de Sanu, le chef du village. Celui-ci est furieux. Il a beau avoir imposé les constructions en terre dans le centre du bourg afin de préserver les traditions, de moins en moins d’habitants suivent ses instructions – à commencer par ses propres fils. « C’est notre patrimoine, souligne-t-il. Pendant des milliers d’années, ces maisons nous ont permis d’avoir une belle vie. Alors pourquoi changer au moment où nous avons le plus besoin d’elles ? »

Dans la Grande Mosquée de Bobo-Dioulasso, les murs de plus de 2 m d’épaisseur protègent les fidèles de la chaleur. Les épaisses briques de terre crue l’absorbent lentement le jour et la libèrent la nuit, lorsqu’il fait plus frais.

PHOTOGRAPHIE DE Moises Saman

TERRE CRUE CONTRE BÉTON

En  Afrique, dans toute la région du Sahel, il existe des milliers de villages comme Koumi. J’en ai visité des dizaines à travers plusieurs pays, où l’utilisation du béton augmente. Avec la hausse du niveau de vie et l’essor de l’accès au béton, dans certains des paysages les plus chauds et les plus pauvres du monde, le gris des parpaings supplante le brun de la terre.

Or l’abandon des matériaux traditionnels est tout sauf un signe de progrès. C’est du moins l’avis d’un nombre croissant d’architectes, de dirigeants communautaires et de responsables fabrication du ciment, ingrédient clé du béton, représente environ 8 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone.

« La réalité est que la construction en ciment est plus sexy », reconnaît Francis Kéré, architecte né au Burkina Faso et défenseur mondialement connu de l’architecture écoresponsable. « Mais elle n’apporte pas de confort. »

Les murs de terre crue, lorsqu’ils sont assez épais, peuvent absorber et emmagasiner la chaleur, qui se dissipe le soir, lorsque la température extérieure diminue. En revanche, les parpaings fins en béton, eux, laissent passer la chaleur qui chauffe très vite l’intérieur des bâtiments.

Les architectes comme Francis Kéré sont en partie motivés par le désir de préserver un patrimoine et une identité. Si la terre crue est depuis quelque temps associée à la pauvreté et au sous-développement, elle peut pourtant être à l’origine d’une architecture extraordinaire, connue dans le monde entier, comme le centre de Tombouctou, au Mali, et la Grande Mosquée. de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso.

Des pays aux traditions de construction en terre impressionnantes, mais largement perdues, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, tentent aussi de reproduire l’esthétique et les propriétés refroidissantes de l’architecture traditionnelle, en y intégrant des systèmes de ventilation naturelle, l’orientation des bâtiments et l’utilisation de l’ombre. Mais ils semblent moins intéressés par les matériaux du passé. « Nos ancêtres ont construit avec ce qu’ils avaient. Peut-être que, s’ils avaient eu un type de panneau composite il y a cinq cents ans, ils l’auraient utilisé », observe Chris Wan, responsable du design à Masdar, une ville pionnière en matière de durabilité à Abu Dhabi.

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    À Houndé, au Burkina Faso, des ouvriers coupent des blocs de latérite à même le sol. Alors que les briques de terre doivent être moulées avant de sécher, la latérite peut être extraite en bloc. Comparé au béton, ces deux matériaux traditionnels créent des structures plus fraîches, coûtent moins cher et leur production est moins énergivore.

    PHOTOGRAPHIE DE Moises Saman

    Les partisans du renouveau de la brique de terre crue ont une ambition plus grande, notamment en Afrique. Sur un continent qui représente 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais qui subit les pires conséquences du changement climatique, ils s’efforcent d’être partie prenante de certaines des solutions, alors même que les principales puissances mondiales peinent à prendre des mesures significatives. En vainquant la chaleur, selon ces architectes, les traditions locales, basées sur les lois de la nature, pourraient jouer un rôle tout aussi important que la technologie et l’expertise étrangères.

    Architecte primée, Salima Naji s’est faite la championne de la construction en terre au Maroc. Le pays a pourtant résolument tourné le dos à ce matériau ces dernières décennies, bien qu’il possède l’une des plus riches collections d’architecture de terre du monde. « Nous l’avons fait car nous avons oublié les avantages extraordinaires de ces bâtiments face à la chaleur. Mais il nous faut nous en souvenir : nous en avons plus que jamais besoin », insiste Salima Naji.

     

    UN REFUGE POUR CEUX QUI ONT CHAUD

    Sillonner le Burkina Faso en voiture m’a vite fait comprendre les nombreux avantages de la terre. Il fait au moins 45 °C à l’ombre lorsque j’arrive à Kaya, dans le nord du pays, mais bien moins de 30 °C à l’intérieur de la dernière construction réalisée par l’architecte Clara Sawadogo. Le plafond voûté en terre ainsi que les murs de terre et de pierre de la clinique à moitié achevée conservent la fraîcheur. De plus, le site est orienté aux vents dominants du nord et il bénéficie de l’ombre qu’apporte la végétation luxuriante qui l’entoure.

    Clara Sawadogo, qui fait partie d’un mouvement mondial visant à repopulariser la terre crue, est jeune et au fait des questions environnementales. Elle a maints arguments à faire valoir en faveur de ce matériau : il est gratuit, ou du moins disponible au niveau local pour une fraction du coût du béton – lequel nécessite plusieurs ingrédients qui, dans le cas du Burkina Faso, sont pour la plupart importés. Dans les fosses d’extraction de terre parsemant la périphérie de la plupart des grands villages, des ouvriers prélèvent l’argile, la compriment pour la façonner en briques rectangulaires qui semblent avoir été faites au moule, et vendent chaque brique séchée à l’air libre 40 francs CFA, soit 10 centimes d’euros environ.

    « Les gens me disent : on est au XXIe siècle, arrêtez d’utiliser la terre », explique l’architecte  en désignant la clinique. « Mais regardez ça : qu’est-ce qui n’est pas moderne là-dedans ? » 

    Les constructions en terre crue contribuent peu au réchauffement climatique. Le béton, lui, tend à être une passerelle vers une autre invention vorace en combustibles fossiles et émettrice de gaz à effet de serre : la climatisation.

    Au Burkina Faso, où les températures descendent rarement en dessous de 32 °C, le principal argument en faveur de la terre crue tient à ce qu’elle rend la chaleur supportable, même sans air conditionné. La majeure partie de l’Afrique risque une augmentation des températures supérieure à 2 °C d’ici à la fin du siècle, chiffre qui masque des hausses plus spectaculaires dans certaines zones du continent. 

    Salima Naji, architecte et anthropologue marocaine, utilise méthodes et matériaux de construction traditionnels pour préserver les villages et les centres communaux du pays. Elle a restauré le grenier collectif d’Id Aïssa, à Amtoudi (photo), où l’on stockait le blé, entre autres richesses.

    PHOTOGRAPHIE DE Moises Saman

    UN HABITAT DANGEREUX ?

    Malgré leur pouvoir rafraîchissant, les bâtiments en briques de terre crue présentent au moins un inconvénient majeur. Jusqu’à la fin des années 1990, le ksar, un village fortifié, de Bounou, dans le sud du Maroc, bruissait de l’activité de plus d’une centaine de familles. Mais ses murs en pisé ont commencé à s’écrouler et la chute d’une tour de guet a gravement blessé un adolescent, ébranlant la confiance des habitants dans l’intégrité structurelle du ksar. Les récits de catastrophes encore plus graves ailleurs, dont certaines fatales, ont renforcé cette peur. C’est ainsi que, peu à peu, Legnaoui Bil Eid et sa famille ont fini par se retrouver presque seuls. Aujourd’hui, sans le nombre nécessaire de résidents pour entretenir ses remparts et leurs créneaux, le ksar s’effondre à un rythme record et y habiter devient encore plus risqué. « Les gens ont peur et ça se comprend », note Legnaoui Bil Eid, un ouvrier agricole qui complète ses revenus en fabriquant des clôtures en feuilles de palmier pour contenir les sables du désert. « Parfois, les murs s’écroulent, tout simplement. Vous risquez la mort. »

    Dans un des nombreux et amers paradoxes du changement climatique, ce même réchauffement qui a renforcé l’importance de la terre dans la protection contre la chaleur provoque également une hausse d’autres phénomènes météorologiques extrêmes – lesquels, en retour, menacent les structures en terre. Comme il l’explique, Legnaoui Bil Eid a beau refaire les murs extérieurs de sa maison, les pluies sont désormais trop fortes pour garder l’intérieur au sec, quel que soit le nombre de couches protectrices qu’il ajoute. Lui aussi envisage de déménager.

    À Telouet, dans les monts Atlas entre Bounou, dans le Sahara, et Marrakech, ces pluies violentes, combinées aux conséquences de siècles de déforestation, alimentent des crues soudaines et dévastatrices dans les vallées dénudées. Quasiment chaque année, au moins quelques habitants périssent. Ceux qui restent ont constaté que ce sont les maisons en béton qui semblent le mieux résister aux torrents.

    L’abandon des matériaux traditionnels est peut-être en partie dû à l’évolution des goûts. Pour Mohamed Amine Kabbaj, l’un des plus grands architectes du pays, il est normal que les gens préfèrent le béton. La plupart des structures traditionnelles en terre n’autorisent que de petites fenêtres ne laissant passer qu’un minimum de lumière, et nécessitent un entretien régulier. « Ce type de construction peut sembler exotique si vous venez de Londres ou de Paris pour un jour ou deux, note-t-il. Mais, si on vous donne le choix, vous préférerez vivre ailleurs. »

    Maxim Kiemdrebeojo, 17 ans, vit dans cet orphelinat conçu par Francis Kéré à Koudougou et construit en briques de latérite. Certains des enfants qui s’y trouvent ont été chassés de chez eux par le conflit armé avec les islamistes dans le nord et l’est du pays. Pour les responsables du lieu, la fraîcheur du bâtiment apaise les tensions entre résidents.

    PHOTOGRAPHIE DE Moises Saman

    Alors qu’une grande partie du Maroc est passée d’un mode de vie communautaire à des manières de vivre plus individualistes, et que les revenus y ont suffisamment augmenté pour que les gens puissent s’offrir l’air conditionné, les maisons de terre – et leur dépendance à l’égard de la collectivité pour leur entretien, voire leur construction – semblent de plus en plus en décalage avec la modernité. Des forces environnementales et économiques plus profondes, pourtant, ne laissent souvent guère le choix. Dans les campagnes, la sécheresse et la désertification entravent l’agriculture, la profession rurale dominante, poussant la population vers les villes. Ces dernières années, certains villages ont perdu jusqu’à la moitié de leurs habitants au profit de zones urbaines. De nombreux villageois inquiets et déracinés ont également fini par vivre malheureux dans du béton.

    Accablés par des chaleurs semblables à celles de leurs voisins du Sahel, dans un contexte où l’air conditionné est encore hors de portée du plus grand nombre, des gens comme Salima Naji ne s’avouent pas vaincus. L’architecte a noté un intérêt accru pour les constructions en terre parmi les villageois du Maroc, dont beaucoup ont bien saisi son potentiel touristique.

    Salima Naji et ses semblables mettent en exergue le fort impératif environnemental consistant à freiner, ou du moins à réformer, la production de béton au Maroc, où les promoteurs ont volé des plages entières de sable pour l’utiliser dans la construction. Dans des pays comme le Viêt Nam et le Bangladesh, leurs homologues s’approvisionnent en sable principalement dans le lit des rivières, avec pour conséquences l’affaissement des sols et l’intensification de l’érosion, et des inondations.

     

    UN AVENIR INCERTAIN

    Francis Kéré est d'humeur songeuse quand je l’appelle. Ces dernières années, chaque saison des pluies a été plus destructrice que la précédente, anéantissant des centaines de bâtiments en briques de terre à travers le Burkina Faso. Ainsi, une école s’est effondrée sur une classe et ses enfants, de même qu’une partie de la célèbre Grande Mosquée de Bobo-Dioulasso. La fait que renforcer la demande de béton, quel qu’en soit le coût. Mais le téléphone de l’architecte ne cesse de sonner pour des demandes de travaux, et il est optimiste quant aux perspectives de la terre. « C’est une question de temps, de conviction, de volonté politique. C’est un combat et nous ne nous laissons pas distraire. J’avance, un point c’est tout », indique-t-il.

    Francis Kéré et d’autres défenseurs de la terre crue travaillent dur pour tenter de la réhabiliter. Ils trouvent des moyens pour protéger les bâtiments de terre des averses – en ajoutant des auvents métalliques plus larges qui dépassent des murs de près de 1 m, par exemple, ou en introduisant de petites quantités de ciment dans les briques de terre pour les renforcer.

    En insistant sur la nécessité de ne pas lésiner avec un matériau ne souffrant pas la médiocrité, les architectes de la terre crue espèrent limiter les effondrements qui jettent le doute sur ce type de construction. Sur son chantier à Kaya, Clara Sawadogo confie qu’elle a dû se montrer tellement exigeante dans l’édification du plafond voûté que quinze des vingt-cinq maçons engagés au départ ont démissionné.

    Malgré tout, Francis Kéré se demande si, après avoir été abreuvés de demi-vérités sur les dangers de la terre et les promesses du béton, les citoyens méfiants n’ont pas tout simplement besoin de davantage d’exemples quotidiens de ce qu’une architecture de terre bien conçue peut offrir. 

    Autour de Koudougou, à 100 km à l’ouest de Ouagadougou, il a essayé de créer une sorte de vitrine avec le lycée Schorge et l’Institut de technologie du Burkina, un établissement d’enseignement technique supérieur. Selon les enseignants, les quelques centaines d’élèves arrivent mieux à se concentrer. Pour Nataniel, un étudiant en informatique de 18 ans, qui n’a jamais vécu dans une maison avec de l’électricité, et encore moins avec l’air conditionné, c’est un peu comme si ces locaux étaient climatisés. « On nous a dit que la terre était mauvaise, glisse-t-il. On nous a dit que nous devions travailler pour échapper à cela. Mais je serais heureux de vivre dans une maison comme ça. »

    Extrait de l'article publié dans le numéro 281 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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