Ralentissement des courants océaniques de l’Atlantique : faut-il s’alarmer ?

Selon de récentes études, il est possible que les courants de l'océan Atlantique ralentissent à mesure que le climat se réchauffe, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les conditions météorologiques mondiales.

De Robin George Andrews
Publication 14 août 2023, 19:08 CEST
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Les courants océaniques transportent la chaleur à travers le globe. Tandis que le changement climatique fait fondre la glace des océans et provoque davantage de précipitations, la circulation méridienne de retournement atlantique, courant majeur circulant dans l'océan Atlantique, pourrait être en train de ralentir.

PHOTOGRAPHIE DE Tino Soriano, Nat Geo Image Collection

Il est incontestable que les gaz à effet de serre contribuent au changement climatique. Les points de basculement sont, en revanche, moins clairs. Ce sont des points de rupture qui, une fois atteints, engendrent des changements s'opérant lentement. Ils font basculer certaines parties du système climatique dans un état radicalement différent, pouvant engendrer des conséquences potentiellement chaotiques et inquiétantes pour la planète.

L'un de ces points de basculement climatique concerne la circulation méridienne de retournement atlantique, ou AMOC, un gigantesque « tapis roulant » océanique qui redistribue la chaleur autour de la planète.

Selon une étude récente, qui a fait l'effet d'une bombe, il serait effectivement possible que ce « tapis roulant » s'arrête dès 2025, ce qui modifierait radicalement les conditions météorologiques mondiales. Cette étude sur l'AMOC, qui fait également mention du Gulf Stream, un autre courant qui y est lié, a rapidement fait l'objet d'articles à tendance apocalyptique. L’arrêt de l'AMOC a même fait l’objet de l'intrigue du film Le Jour d'après qui met en scène un monde dans lequel une grande partie de l'hémisphère nord est recouverte d'une couche de glace mortelle.

Les scientifiques sont préoccupés par les détails exacts entourant les points de basculement climatiques, comme l'arrêt de l'AMOC. Ils ne s'inquiètent pas seulement de ce que l'on sait, mais aussi de ce que l'on ne sait pas… ce qui représente beaucoup.

« Nous craignons que certains processus viennent nous surprendre », déclare Andrew Watson, à la tête du groupe de recherche en sciences marines et atmosphériques de l'université d'Exeter.

Qu'est-ce que l'AMOC exactement ? Comment affecte-t-elle le climat ? Sommes-nous tous en danger ? Voici tout ce qu'il faut savoir.

 

LE FONCTIONNEMENT DE L'AMOC

L'AMOC est un peu comparable à un tapis roulant, qui transporte de l'eau chaude et des nutriments essentiels à la vie depuis les tropiques vers l'Atlantique Nord. Les propriétés physiques de l'eau lui permettent de piéger la chaleur des rayons du Soleil, explique Penny Holliday, à la tête du groupe de recherche sur l’océanographie physique et les climats océaniques au Centre national d'océanographie de Southampton, en Angleterre. La chaleur qui circule sur ce tapis roulant exerce une influence sur le climat, en particulier autour de l'océan Atlantique.

Ce mouvement est alimenté par les fluctuations de température, ainsi que l'évolution de la teneur en sel. Quand l'eau chaude s'écoule vers le nord, elle s'évapore, ce qui augmente la teneur en sel. Lorsque cette ceinture d'eau s'approche ensuite des zones septentrionales plus froides de l'Atlantique, elle se refroidit. La baisse de température et l'augmentation de la teneur en sel rendent l'eau plus dense, ce qui la fait alors s’écouler en direction du sud, tandis que l'eau subtropicale continue à se diriger vers le nord, alimentant continuellement ce « tapis roulant ».

Cependant, ce processus, autrefois fiable, est peut-être en train de changer.

La planète se réchauffe rapidement, en particulier aux pôles. Les scientifiques soupçonnent ce phénomène d'affecter l'AMOC : à mesure que le courant se déplace vers le nord, l'évaporation diminue et l'eau douce provenant de pluies plus abondantes et de la fonte des glaces est injectée en plus grande quantité. Cela rend toujours le courant moins dense, suffisamment pour que l’eau continue à s’écouler et à se diriger vers le sud, mais ceci plus lentement qu'auparavant.

C'est en tout cas ce que suggère une théorie et ce que prédisent certains modèles mathématiques. Prévoir ce qui se déroulera à l'avenir n'est toutefois pas si simple.

L'AMOC « n'est pas une rivière d'eau chaude, elle ne ressemble pas du tout aux schémas » classiques, explique Penny Holliday. Il est également difficile de la dissocier du reste des phénomènes climatiques car elle ne fonctionne pas de manière isolée.

Néanmoins, « nous savons que l'AMOC est un système potentiellement instable », déclare Andrew Watson, capable de ralentir, voire de s'arrêter.

 

À LA RECHERCHE D'INDICES : DANS NOTRE PASSÉ PRÉHISTORIQUE

Les archives climatiques conservées dans les glaces du Groenland indiquent que la dernière période glaciaire de la Terre a connu environ 25 épisodes de changements climatiques soudains : de brusques pics de température en quelques décennies, suivis d'un refroidissement progressif, dans l'Atlantique Nord. La région a également connu plusieurs périodes extrêmement froides entre certains de ces épisodes de réchauffement.

Les causes de ces deux phénomènes sont encore débattues. Les données paléoclimatiques suggèrent néanmoins que la fonte des glaces a injecté de l'eau douce en abondance dans l'Atlantique Nord, diluant suffisamment l'AMOC pour la ralentir, voire l'arrêter, ce qui a provoqué un refroidissement important dans toute la région.

Personne ne peut savoir avec certitude quelles seraient les conséquences d'un ralentissement majeur de l'AMOC sur le climat du monde actuel. L'Europe de l’Ouest recevrait peut-être moins d'eau chaude. Cependant, l'effet global du réchauffement climatique aurait probablement un impact plus important sur les conditions météorologiques de la région. Les ceintures de pluie pourraient être redistribuées à l'échelle mondiale, provoquant des sécheresses dans certaines parties du monde et augmentant les pluies diluviennes dans d'autres.

« Malheureusement, personne n'est sûr de rien. Un futur ralentissement de l'AMOC s'inscrirait dans le cadre d'autres aspects du changement climatique », explique Levke Caesar, climatologue à l'Institut de la physique de l’environnement de l'université de Brême, en Allemagne. « Nous ne savons pas quel effet l'emportera. »

 

À LA RECHERCHE D'INDICES : DANS L'OCÉAN ATLANTIQUE

Un ralentissement est-il donc à craindre ? Ou peut-être est-il même déjà en cours ?

Un récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), un groupe des Nations unies qui évalue en permanence la climatologie, considère qu'un arrêt au cours de ce siècle est improbable. Plusieurs études ont suggéré qu’un ralentissement s'était amorcé ces dernières années mais les scientifiques ne sont pas tous d'accord sur l'ampleur ou la poursuite de ce dernier sur le long terme.

L'une des raisons pour lesquelles tant d'incertitudes entourent l'AMOC est que les données sont limitées : elle n'est surveillée en permanence, sous une forme ou une autre, que depuis 2004.

L'AMOC transportant de la chaleur, les scientifiques ont souvent utilisé les températures de surface de l’océan pour déterminer sa vitesse. Certains ont suggéré que la mer située juste au sud du Groenland pourrait fournir des indices sur l'évolution de ce mouvement océanique. Cette région, contrairement au reste de l'Atlantique Nord, est restée relativement froide, et ce point exceptionnellement frais dispose de données remontant à 1870.

Selon Andrew Watson, cette anomalie montre que « quelque chose se trame dans l'Atlantique Nord », et certains scientifiques se demandent s'il ne s'agit pas d'un signe de l'affaiblissement de l'AMOC.

Ce sont les données de cette région de l'océan Atlantique Nord que les auteurs de l'article le plus récent sur l'AMOC ont utilisées pour exécuter un modèle statistique permettant de prédire son degré d'instabilité avant qu'elle ne se dérègle et ne s'arrête. Ils ont conclu qu'un arrêt pourrait se produire entre 2025 et 2095.

Peter Ditlevsen, chercheur au sein de l’Ice and Climate Group de l'université de Copenhague et l'un des coauteurs de l'étude, estime que cette projection n'est, en soi, pas concluante. Cependant, « elle renforce les inquiétudes », indique-t-il, un ralentissement ou un arrêt majeur n’étant pas encore exclu.

Ce type d'analyse du point de basculement climatique « est mathématiquement valable, mais il faut disposer d'un long historique », déclare Andrew Watson. De plus, tout le monde ne pense pas que la température de cette région soit un signe vital de l'AMOC.

« Certains de mes collègues doutent que cela leur permette de savoir comment évolue l'AMOC », déclare-t-il.

 

LES JOURS D'APRÈS

Tant d'incertitudes peuvent sembler inquiétantes. Cependant, « tout n'est pas désespéré », affirme Penny Holliday.

Les scientifiques ne cessent de sonder les mers et d'étudier ces changements marins en utilisant les moyens les plus appropriés pour évaluer la santé de l'AMOC, tout en améliorant leur compréhension globale des océans de la planète.

« Chaque année, nos modèles s'améliorent », explique Penny Holliday. « Ils représentent mieux qu'il y a cinq ans ce que nous savons de la physique de l'océan, et maintenant de sa chimie et de la biologie marine. »

Les scientifiques s'accordent à dire que l’Homme devrait arrêter de rejeter des gaz à effet de serre dans le ciel tant que l'on ne sait pas ce qui se passera lorsque l'AMOC s'effondrera, d'autant plus qu'elle ne se rétablira pas rapidement.

« Nous savons que si l'AMOC bascule vraiment, il sera extrêmement difficile de la faire redémarrer », explique Levke Caesar. « Voulons-nous prendre ce risque ? »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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