Alors que le monde réduit sa consommation de charbon, la production ne cesse de croître en Afrique

Les nouvelles centrales à charbon en Afrique sont en grande partie financées par la Chine et par les pays développés qui, pourtant, se détournent de cette technologie sur leurs territoires.

De Jonathan W. Rosen
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Au Zimbabwe, une mine de charbon est l'un des signes d'exploitation de combustibles fossiles dans une Afrique en développement.
PHOTOGRAPHIE DE Beverly Joubert, National Geographic Creative

Peu d'endroits sur Terre exhalent un sentiment d'intemporalité comme Lamu, une île située au large de la côte nord du Kenya qui abrite le peuplement swahili le plus ancien et le mieux préservé d'Afrique de l'Est. La vieille ville de Lamu, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO et épicentre du commerce indo-océanique depuis des siècles, est un labyrinthe de rues étroites et sinueuses traversant des quartiers de maisons de pierre calcaire et de corail aux portes d'acajou minutieusement sculptées, ainsi que plusieurs dizaines de mosquées et d'églises. Seule une poignée de véhicules motorisés sont autorisés sur l'île ; le transport est essentiellement à la discrétion des ânes ou des hommes poussant des charrettes en bois sous une chaleur tropicale écrasante.

Pourtant, les 24 000 habitants de l'île de Lamu font face à ce que certains appellent une « crise existentielle ». À environ 24 kilomètres au nord de la ville, dans une région balnéaire faiblement peuplée du continent autrefois utilisée pour la culture du maïs, des noix de cajou et du sésame, une firme kényane connue sous le nom d'Amu Power s'apprête à ériger une centrale à charbon d'une valeur de 2 milliards de dollars (1,84 milliards d'euros), la première de ce genre en Afrique de l'Est. 

Financée par les capitales chinoises, sud-africaines et kényanes, et construite par l'entreprise publique Power Construction Corporation of China, la centrale devrait apporter 1 050 mégawatts de puissance au réseau électrique national kényan ainsi qu'aux activités de production d'énergie d'un port en eaux profondes contigu, comportant 32 postes de mouillage : cette initiative s'inscrit dans le cadre d'un plan gouvernemental ambitieux dont la finalité est de transformer le Kenya en un pays nouvellement industrialisé et à revenu intermédiaire d'ici 2030. 

Le projet est controversé en raison des risques qu'il représente pour l'environnement marin délicat de Lamu, dont beaucoup craignent qu'il ne porte atteinte à ses deux industries les plus importantes : la pêche et le tourisme. Néanmoins, ce plan est symptomatique de l'appétit croissant de l'Afrique pour le charbon, la forme la plus polluante de production énergétique, qui n'existait jusqu'alors qu'en grandes quantités dans les pays les plus industrialisés du continent, comme l'Afrique du Sud. 

Selon les données compilées par CoalSwarm, un organisme de surveillance, plus de 100 centrales alimentées au charbon d'une capacité de production cumulée de 42,5 gigawatts sont à différentes étapes de planification ou de développement dans 11 pays africains, hors Afrique du Sud – soit plus de huit fois la capacité de charbon existante de la région. La quasi-totalité de ces centrales sont alimentées par les investissements étrangers, et près de la moitié sont financées par le plus gros producteur d'émission carbone du monde : la Chine.

Cela se produit à une époque où la Chine et l'Inde, qui représentaient 86 % du développement mondial du charbon au cours de ces dix dernières années, mettent en veilleuse des d'importants projets liés au charbon, en raison de la surcapacité existante, de l'abaissement du coût des énergies renouvelables et de la pollution paralysante qui, chaque année, tuerait plus d'un million de personne dans le seul cas de la Chine. Beaucoup de pays plus développés du monde procèdent également à une élimination progressive des combustibles fossiles utilisés comme source d'énergie

« Il y a tant d'États qui, aujourd'hui, renoncent au charbon en raison des émissions qu'il produit – qui contribuent à la destruction de l'environnement, » explique Walid Ahmed, membre de Save Lamu, une association locale qui tente de mettre un terme au projet Amu Power. « Nous ne comprenons pas pourquoi il veulent l'implanter ici. »

DÉVELOPPEMENT ÉNERGÉTIQUE

L'adoption du charbon en Afrique s'explique en partie par une pénurie sévère qui se dessine au niveau des capacités de production d'énergie. Bien que l'économie du continent ait doublé depuis 2000, plus des deux tiers des habitants du Sud du Sahara sont toujours privés d'électricité et la plupart des États souffrent d'un manque de capacité de réseau pour stimuler l'expansion des industries génératrices d'emplois. 

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) projette de tripler la demande d'électricité de la région d'ici 2040, une nouvelle capacité issue des énergies renouvelables pour près de la moitié. Toutefois, les centrales au charbon qui génèrent 41 % de l'électricité mondiale actuellement, restent attrayantes : en effet, le charbon est relativement peu coûteux et leur opération n'est pas soumise aux caprices de la nature, contrairement aux énergies solaires, éoliennes ou hydrauliques. 

Au Kenya, par exemple, les 800 mégawatts d'énergie hydraulique du pays, soit un quart de sa capacité totale, sont devenus de moins en moins fiables suite aux épisodes récurrents de sécheresse qui frappent le pays, selon Richard Muiru, conseiller au Ministère kényan de l'Énergie et des Produits Pétroliers. Bien que le pays dispose d'énergie éolienne ainsi que de ressources géothermiques qu'il a commencé à exploiter, il semble que la lenteur de mise en application de ces projets ne permette pas de répondre à la demande projetée du Kenya, indique Muiru. 

« Le charbon nous donnera un peu de répit, » dit-il. « Ce serait pour nous un coup de pouce puisque nous continuons de développer nos énergies renouvelables. »

Pour ceux qui financent la transition énergétique de l'Afrique au charbon, le continent offre également une occasion de contrebalancer la diminution des chances d'investissement ailleurs. C'est notamment le cas de la Chine qui, en 2016, s'est vue suspendre 300 gigawatts de projets nationaux liés au charbon et cela en grande partie à cause de la surcapacité existante. Les entreprises publiques chinoises, soutenues par les prêts à faible taux d'intérêt des établissements financiers nationaux, ont joué un rôle déterminant dans la construction de l'infrastructure énergétique des énergies renouvelables et fossiles depuis que le Parti communiste a dévoilé sa stratégie de « partir à l'étranger » au début des années 2000.

Bien que le président chinois Xi Jinping ait déclaré en septembre 2015 que le pays limiterait l'investissement public dans les projets transatlantiques de grande intensité carbonique, des analystes affirment que les instituions prêteuses chinoises proposent de plus en plus du charbon à prix réduit aux gouvernements africains afin de soutenir les entrepreneurs chinois ainsi que les fabricants d'équipement affectés par le ralentissement national.

« La Chine a construit tant de centrales au charbon - et en très peu de temps – que de nombreuses entreprises publiques doivent désormais faire face à un manque de demande sur leur territoire, » explique Christine Shearer, chercheuse principale chez CoalSwarm. « Nous constatons que le charbon est offert aux gouvernements africains bien que ce ne soit pas la nécessairement la source d'énergie qu'ils souhaiteraient. »

 

DES CHEMINÉES AU PARADIS

L'offensive chinoise sur le marché du charbon africain qui, ironiquement, est fait au moment où les projets domestiques liés au charbon sont relégués aux oubliettes, a insufflé une nouvelle forme d'optimisme dans la lutte contre les effets les plus néfastes du changement climatique. 

Selon un rapport publié en mars par CoalSwarm, le Sierra Club et Greenpeace, en 2016, les économies de la Chine ont favorisé une diminution de près de 50 % de la quantité d'énergie au charbon en développement à travers le monde – un développement qui, au final, aura permis de maintenir la montée des températures en-dessous du seuil fatidique des 2° C.  

L'Afrique, où le réchauffement des températures a déjà contribué à la vulnérabilité alimentaire croissante, peut encore toutefois éviter le rôle de parasite climatique : sa capacité de charbon en cours de réalisation, hors Afrique du Sud, ne représente que de 5 % du total mondial, et plus de la moitié émane de projets « annoncés » comme n'étant qu'au stade préliminaire, ce qui signifie qu'ils pourraient être aisément avortés lors d'une réévaluation des priorités gouvernementales ou des enjeux financiers. 

Cependant, les critiques signalent que la dépendance du continent au charbon pour la production d'énergie aura d'autres conséquences néfastes, notamment des impacts environnementaux liés aux activités minières de réserves de charbon du continent restées inexploitées jusqu'ici. Ces derniers incluent également des alluvions du Basin de Mui au Kenya, lequel alimentera la centrale de Lamu lorsque la proposition d'une ligne ferroviaire sera mise en place. (D'ici là, la centrale devra compter sur le charbon expédié vers le nouveau port, en provenance d'Afrique du Sud.)

Les projets individuels liés au charbon, par ailleurs, sont susceptibles d'avoir des effets critiques au sein des communautés – principalement celles qui abritent des écosystèmes fragiles, comme celle de Lamu. Les habitants craignent notamment que l'eau plus chaude rejetée par le système de refroidissement de la centrale ainsi que les infiltrations provenant des fausses à cendres ouvertes ne s'avèrent désastreuses pour les pêcheurs locaux – une activité qui subviendrait aux besoins de 75 % des foyers de Lamu – en éloignant les poissons des eaux peu profondes qui ne sont accessibles que par des méthodes traditionnelles de pêche au filet. Souiller la baie voisine affecterait également la vie marine vulnérable, y compris les récifs coralliens, les canaux de mangrove, trois espèces de tortues qui font leur nid aux alentours de Lamu, ainsi que le dugong, un mammifère marin de la famille des lamantins qui se nourrit de d'algues de mer près du rivage. 

Une étude sur l'impact environnemental met également en garde contre les dangers respiratoires associés au rejet de particules fines qui, selon les habitants, se disperseront dans la ville lors des vents de mousson, de décembre à avril.

Les opposants à la centrale pourraient avoir encore une chance de mettre un terme au projet : en novembre, Save Lamu, une association locale, a déposé un avis d'appel auprès du Tribunal national de l'environnement kényan, revendiquant l'attribution de la licence d'évaluation d'empreinte environnementale. Bien qu'une victoire lors d'une audience prévue pour les 11 et 12 mai ne puisse pas complètement endiguer le projet, elle pourrait cependant retarder le début de la construction avant les élections kényanes qui se dérouleront en août si l'opposition du pays devait l'emporter et que le nouveau régime serait moins attaché au projet.

Toutefois, de nombreux habitants de Lamu indiquent que la perspective de contrecarrer les ambitions d'un projet hautement prioritaire comme celui-ci est peu plausible. 

« Il est très difficile de l'emporter contre ce gouvernement, » déclare Mia Miji, un entrepreneur local, alors qu'il regarde le port de Lamu, animé par les enfants qui nagent dans l'eau et les boutres qui s'agitent avec le ressac. « Nous ne nous opposons pas au progrès. Nous souhaitons simplement qu'ils nous apportent une puissance énergétique plus salubre. » 

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