Après l’effondrement du pont de Baltimore, les États-Unis face au défi d’une infrastructure vieillissante

Si le pont Francis-Scott-Key va être reconstruit à l’aide de fonds fédéraux, de nombreuses autres structures américaines ne bénéficient pas du même soutien.

De Allie Yang, Alissa Greenberg
Publication 2 avr. 2024, 13:47 CEST
D’après un rapport de la Société américaine du génie civil (ASCE), aux États-Unis, bien que des ...

D’après un rapport de la Société américaine du génie civil (ASCE), aux États-Unis, bien que des milliers de ponts actifs présentent des « déficiences structurelles », rien ne montre que le pont Francis-Scott-Key, qui s’est effondré mardi 26 mars, soit l’un d’entre eux. Selon les spécialistes, la collision avec le cargo aurait de toute façon entraîné l’effondrement de n’importe quel pont parfaitement entretenu.

PHOTOGRAPHIE DE Tasos Katopodis, Getty Images

Selon certains spécialistes, l’effondrement du pont Francis-Scott-Key de Baltimore est le dernier exemple en date du défi auquel font face les infrastructures américaines alors que manquent les fonds et la motivation pour entretenir les ponts vieillissants.

Le pont de Baltimore « est une infrastructure ancienne et fiable qui, en toutes autres circonstances raisonnables, aurait été encore debout dans vingt ou trente ans », affirme Joseph L. Schofer, professeur émérite de génie civil et environnemental à l’École d’ingénieurs McCormick de l’Université Northwestern. « Si vous arrivez et que vous retirez la pile principale, il n’y a aucun moyen de sauver le pont ».

Bien qu’il n’ait aucune raison de croire qu’une négligence ait pu jouer un rôle dans l’effondrement du pont, Joseph L. Schofer rappelle que c’est toutefois le cas dans certaines catastrophes infrastructurelles. Il cite en exemple l’effondrement du pont de Fern Hollow, à Pittsburgh, en Pennsylvanie : le Conseil national de la sécurité des transports (NTSB) avait conclu que les rapports et les recommandations intéressant la réparation de poutres en acier rongées par la corrosion avaient été ignorés et que c’est ce qui avait entraîné l’effondrement de ce pont de 136 mètres de long qui a précipité dans sa chute un bus et quatre voitures vers le parc qui se trouvait en dessous.

Les experts s’inquiètent de cette tendance perturbante qui voit s’enchaîner déraillements de trains, effondrements d’autoroutes et de ponts, et ruptures de barrages dans l’ensemble des États-Unis. Mais quelles sont les zones qui préoccupent le plus les ingénieurs civils par le risque de catastrophe imminente qu’elles présentent ? Et que pouvons-nous faire ?

 

UN EFFONDREMENT PHYSIQUE EST À L’ŒUVRE

Le pont Francis-Scott-Key, emprunté chaque jour par plus de 30 000 véhicules, sera rebâti grâce à des fonds fédéraux.

« En ce qui concerne la suite des événements : vous avez un pont qui s’est effondré, et il ne fait pas de doute qu’on souhaite le reconstruire. Donc quelles sont les options ? » se demande Joseph L. Schofer.

« De là, il y a des options de conception tout à fait intéressantes susceptibles de rendre la probabilité de ce genre d’événement très faible voire même nulle, et je pense que c’est certainement ce qu’ils vont faire avec le prochain ouvrage. »

Toutefois, de nombreuses autres structures cruciales ne bénéficient pas de la même attention, et aucune région des États-Unis n’est épargnée.

« Les histoires édifiantes abondent », prévient Maria Lehman, présidente de la Société américaine du génie civil (ASCE) et vice-présidente du Conseil national consultatif des infrastructures (NIAC) de l’administration Biden. « Chaque comté dans le pays tient une liste des ponts qu’il remplacerait demain s’il en avait les moyens. »

Parmi les 617 000 ponts des États-Unis ne figurent pas uniquement les édifices qui enjambent des fleuves redoutables, mais aussi toutes les passerelles qui franchissent des autoroutes et tous les ponceaux joignant les deux rives d’un ruisseau ; près d’un dixième d’entre eux sont en grand péril. « S’il faut penser catastrophe, eh bien nous y sommes déjà », s’alarme Amlan Mukherjee, directeur du service de la durabilité des infrastructures chez WAP Sustainability Consulting.

En 2007, l’effondrement d’un pont de l’Interstate 35W, dans le Minnesota, a fait treize victimes et 145 blessés. Plus récemment, en 2021, un pont à six voies enjambant le Mississippi a été fermé durant trois mois, perturbant les déplacements et le transport interétatiques, car un inspecteur avait omis une fissure importante. Selon un rapport de l’ASCE publié en 2021, les Américains effectuent chaque jour 178 millions de trajets empruntant des ponts présentant des déficiences structurelles.

Selon Maria Lehman, malgré cet état de fait, les dépenses infrastructurelles dans le pays ne représentent que 1,5 à 2,5 % du PIB américain, soit en proportion moins de la moitié de ce que l’Union européenne investit dans ce domaine. Du fait de cette incurie financière au long cours, il est désormais trop tard pour mettre en œuvre un certain nombre de solutions. De nombreux ponts américains ont été construits pour durer trente à cinquante ans, et près de la moitié sont vieux d’un demi-siècle au moins. L’âge moyen des digues américaines est également de cinquante ans ; et celui des barrages est de cinquante-sept ans en moyenne.

 

QUEL AVENIR POUR LES INFRASTRUCTURES AMÉRICAINES ?

Amlan Mukherjee est optimiste quant à l’utilisation des nouvelles technologies pour résoudre certains problèmes liés aux infrastructures du pays, bien que l’on ait tardé à les adopter. Les drones peuvent par exemple fournir aux inspecteurs humains des vues rapprochées de zones hors de portée et réduisent la probabilité d’une erreur humaine ; un drone utilisé dans le cadre d’un projet sans lien avait d’ailleurs fortuitement pris des images de la fissure du pont du Mississippi deux ans avant sa découverte.

Bilal Ayyub, professeur de génie civil et environnemental à l’Université du Maryland à College Park, a également travaillé avec les chemins de fer nord-américains dédiés au fret pour détecter des maillons faibles grâce à des modélisations informatiques. Cela peut consister à passer en revue des milliers de gares pour « identifier exactement quel point est susceptible d’avoir le plus de répercussions s’il venait à rompre », explique-t-il.

Selon les spécialistes, il y a toutefois une bonne nouvelle : en 2021, le Congrès américain a adopté la Loi bipartisane relative aux infrastructures (Bipartisan Infrastructure Law), qui prévoit l’investissement de 1 100 milliards d’euros sur cinq ans dans les systèmes défaillants qui permettent à la société américaine de fonctionner ; il s’agit du plus important investissement fédéral de l’histoire des États-Unis.

« Les huit derniers présidents ont affirmé que nous devrions dépenser beaucoup d’argent, quelque chose comme 1 000 milliards de dollars, dans les infrastructures, et aucun n’a lié les actes à la parole », déplore Maria Lehman.

Cependant, à moins d’être renouvelé régulièrement, ce financement fera à peine office de pansement. Selon elle, il est temps pour les États-Unis de commencer à entretenir les systèmes qui rendent possible la vie de tant d’Américains tant qu’ils sont encore en état de marche.

« Si vous avez une fuite dans votre toit, vous montez là-haut, vous la repérez, vous remplacez les bardeaux, vous mettez un peu de goudron, fait-elle remarquer. Si vous laissez couler, ce ne sont plus de petites réparations qui seront nécessaires : il faudra tout remplacer. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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