Pourquoi les activistes pour le climat s'en prennent-ils aux œuvres d'art ?

En jetant de la peinture ou de la nourriture sur les vitres qui protègent des tableaux célèbres, les activistes affirment qu'ils font passer un message fort : l'art ne peut exister sur une planète dévastée.

De Yessenia Funes
Publication 20 juil. 2023, 19:08 CEST
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L'été dernier, deux activistes pour le climat, membres du collectif Just Stop Oil militant contre la production de combustibles fossiles, se sont collés avec de la glue à un tableau intitulé « La Charrette de foin » peint par John Constable et accroché à la National Gallery de Londres. Le tableau, qui représente un paysage de campagne idyllique, a été recouvert d'une image dystopique et polluée de la même scène.

PHOTOGRAPHIE DE Kristian Buus, In Pictures, Getty Images

Lorsque Georgia B. Smith est entrée au Metropolitan Museum of Art le 24 juin dernier, elle s'est sentie nerveuse. Cette jeune femme de trente-quatre ans n'était pas là pour admirer des peintures du 18e siècle en compagnie des touristes estivaux de New York : marqueur rouge sur les mains et ruban adhésif noir sur les lèvres, elle était là pour déranger. 

Georgia B. Smith fait partie d'un mouvement d'activistes pour le climat de plus en plus important dont les manifestations visent l'art et les musées. Depuis au moins mai 2022, des écologistes appartenant à des groupes tels que Just Stop Oil et Extinction Rebellion utilisent des gâteaux, de la soupe, de la peinture et de la colle pour marquer le verre protégeant les œuvres d'art et se coller au cadre ou au mur qui les entoure afin d’attirer l'attention des visiteurs des musées. À chaque fois, leur message est direct : l’art ne peut exister sur une planète morte. 

Ces activistes pour le climat affirment néanmoins qu'ils n'ont aucun intérêt à endommager les œuvres d’art. Ils veulent au contraire sensibiliser à l'urgence climatique et attirer de nouveaux membres. Pour ce dernier point tout du moins, leur approche porte ses fruits : Georgia B. Smith n'a rejoint la branche new-yorkaise d'Extinction Rebellion que lorsque les manifestants ont commencé à s'attaquer aux musées. Elle avait déjà participé à des marches pacifiques pour défendre les droits des personnes noires et des femmes mais elle n'avait jamais interposé son corps… jusqu'à Extinction Rebellion

« J'ai vu cette action dans un musée d’art... et c'était une action controversée, mais je sais pourquoi ils font ça. Je ressens le même désespoir que ces personnes », a déclaré Georgia B. Smith.

 

ATTIRER L'ATTENTION SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Tout le monde est concerné par l'augmentation de la température de la planète. Le mois de juillet a débuté par la semaine la plus chaude jamais enregistrée sur Terre. Pendant ce temps, les vagues de chaleur marine provoquent la mort massive d’animaux dans l’océan. La saison des incendies de forêt s'intensifie, entraînant des alertes à la qualité de l'air sans précédent. Les agriculteurs peinent à produire des denrées alimentaires car les sols s'assèchent en raison d'un manque de pluies ou sont détrempés en raison de l'abondance de ces dernières. En conséquence : la famine.

En octobre dernier, des manifestants du collectif Just Stop Oil ont jeté de la soupe de tomate en conserve sur le célèbre tableau « Les Tournesols » de Vincent van Gogh à la National Gallery de Londres.

PHOTOGRAPHIE DE Just Stop Oil, Handout, Anadolu Agency, Getty Images

Bien que le caractère provocateur des manifestations ait suscité des réactions mitigées de la part du public, les organisateurs n'ont pas l'intention de se mettre au pas de sitôt, surtout après la mise en examen de deux de leurs pairs par le gouvernement fédéral pour avoir étalé de la peinture rouge sur la vitre et le cadre d'une sculpture à la National Gallery of Art en mai dernier. 

Georgia B. Smith et environ 19 autres personnes se sont rassemblées au Metropolitan Museum of Art le matin du 24 juin pour exprimer leur solidarité avec Joanna Smith et Tim Martin, les activistes mis en examen.

« Porter l'urgence climatique à l'attention des gens devrait être quelque chose que la société récompense, et non pas qu'elle essaye de punir à un degré aussi extrême », a déclaré Shayok Mukhopadhyay, porte-parole d'Extinction Rebellion NYC, la branche new-yorkaise de l'association qui a participé à l'organisation de la manifestation.

Le groupe, mains colorées au marqueur rouge et lèvres recouvertes de ruban adhésif noir, s'est tenu devant la « Petite danseuse de quatorze ans », une statue similaire à la même sculpture en bronze pour laquelle Joanna Smith et Martin risquent aujourd'hui jusqu'à dix ans de prison. Des mots été inscrits en blanc sur le ruban adhésif : « CHALEUR », « FAUNE », « INCENDIES », « MORT ». Sur les lèvres de Georgia B. Smith, on pouvait lire « FAMINE ». 

 

À QUOI SERT L'ART DANS UNE CRISE MONDIALE ?

Les manifestants pour le climat affirment qu'ils s'attaquent aux grands musées, en partie, car ces institutions culturelles ne racontent pas ces histoires-là. Des musées comme l’American Museum of Natural History et le Musée Van Gogh d'Amsterdam ont subi des pressions ces dernières années pour réduire le financement qu'ils reçoivent des entreprises de combustibles fossiles dont les émissions de dioxyde de carbone polluent le plus au niveau mondial. 

« La fonction de l'art est de permettre aux gens de comprendre le monde dans lequel ils vivent et de réfléchir à la condition humaine, mais le grand art ne remplit pas cette fonction », a déclaré Shayok Mukhopadhyay. « C'est la raison pour laquelle nous sommes dans les musées : pour dire aux gens que nous sommes au milieu d'une situation d'urgence et qu'il est maintenant temps d’y faire face. »

Le changement climatique est également une menace pour l'art : des institutions culturelles de premier plan, la Foundation for Advancement in Conservation et la National Endowment for the Humanities, ont souligné dans un rapport publié en juin la nécessité d'une « action immédiate » pour lutter contre le changement climatique qui menace les sites faisant partie du patrimoine culturel, les collections d'œuvres d'art et les institutions. 

Les musées, quant à eux, affirment que ces manifestations sont des attaques contre des œuvres d'art d'une valeur inestimable. « Nous dénonçons sans équivoque cette attaque physique contre l'une de nos œuvres d'art », a déclaré Kaywin Feldman, directeur de la National Gallery of Art, après que Joanna Smith et TIm Martin ont jeté de la peinture sur l'œuvre « Petite danseuse de quatorze ans ».

Cependant, Favianna Rodriguez, artiste et activiste pour la justice climatique, soutient les organisateurs. En tant que présidente de The Center for Cultural Power qui utilise l'art pour inspirer des actions sur des questions sociétales, elle considère les manifestations elles-mêmes comme une forme d'art. « La protestation, c'est comme le théâtre », déclare-t-elle. « C'est la création d'un contre-récit. »

Elle espère que les manifestants apporteront plus d'optimisme et de solutions à travers leurs actions. Elle souhaite également que les manifestants pour le climat adoptent une approche « intersectionnelle » en interpelant les musées sur la manière dont ils ont historiquement exploité les communautés de couleur. Elle remarque que les groupes marginalisés les plus susceptibles d'être touchés par le changement climatique sont souvent les plus mal représentés dans les grands musées. 

« Beaucoup de ces musées conservent des objets qui ont été volés pendant la colonisation, des objets sacrés », a déclaré Favianna Rodriguez. « Ces lieux ne sont pas seulement contestés par les activistes pour le climat. Il y a eu beaucoup de contestations autour de leurs collections, de la manière dont les objets ont été collectés et du point de vue qu'ils ont montré. »

 

CES MANIFESTATIONS FERONT-ELLES LA DIFFÉRENCE ?

Miranda Massie, fondatrice et directrice du Climate Museum, ne craint pas que son institution soit la prochaine à faire l'objet de manifestations. « Si les musées veulent se protéger contre ces interventions, ils peuvent le faire très efficacement en s'engageant activement dans la crise climatique à travers leur programmation », a-t-elle déclaré.

Miranda Massie, qui soutient les activistes, est frustrée par la mauvaise presse qui entoure leurs actions. Elle estime que cette couverture médiatique risque d'aliéner le grand public. 

Une enquête publiée en novembre de l'année dernière a suggéré que le soutien du public aux manifestations en faveur du climat pourrait diminuer après de telles tentatives de dégradation d’œuvres d'art. Un ensemble plus large de données suggère que les manifestations dans les musées d'art pourraient être un appel à l'action efficace, bien qu'il soit trop tôt pour le dire.

Dylan Bugden, maître de conférences en sociologie de l’environnement à l'université d'État de Washington, étudie la manière dont les gens interprètent les mouvements sociaux. Chaque mouvement est différent, parler d’une seule voix en devient donc difficile, mais les conclusions de Dylan Bugden ont montré que les manifestations pacifiques et non violentes peuvent trouver écho auprès des personnes qui croient au changement climatique. Il n'est pas certain que ce soit le cas d'une action aussi dérangeante que de jeter de la soupe dans un musée mais il ne pense pas non plus que de telles actions soient nuisibles.

« Lorsque nous parlons d'activisme en matière de changement climatique et de stratégie employée par un mouvement social, ce qui compte vraiment, ce ne sont pas les événements de protestation ponctuels et le fait d'attirer l'attention des gens ici et là », a déclaré Dylan Bugden. « Il s'agit de construire un activisme citoyen et des organisations capables de mobiliser les gens pour qu'ils votent, manifestent et agissent. C'est en construisant ce type de coalition que nous pourrons faire quelque chose pour lutter contre le changement climatique. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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