Comment préserver les plantes alimentaires dans un monde en proie au changement climatique ?

La diversité génétique inégalée que l’on trouve dans les régions d’origine des cultures essentielles pourrait aider les phytogénéticiens à créer des variétés résistantes à la sécheresse et à la chaleur.

De Gabriel Popkin
Publication 17 juin 2021, 16:15 CEST
brassica-rapa

Brassica rapa provient des montagnes situées près de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, où il est apparu il y a des milliers d’années. Aujourd’hui, cette plante est cultivée sous la forme de navet, de bok choy ou encore de chou chinois.

PHOTOGRAPHIE DE Henrik Kettunen, Alamy

Que vous soyez en train de déguster un kimchi épicé au coin d’une rue à Séoul, de dévorer un ragoût de navets réconfortant pour passer l’hiver en Europe du Nord ou de savourer des choux cavaliers croustillants dans un restaurant de soul food du sud des États-Unis, votre repas tire ses origines de l’une des deux espèces suivantes : Brassica rapa ou Brassica oleracea. Si vous mangez un quelconque mets frit dans de l’huile de colza, comme le font des millions de personnes au quotidien, c’est grâce à un hybride entre lesdites espèces : Brassica napus.

Pendant plus d’un siècle, les scientifiques se sont interrogés sur l’origine de ces plantes alimentaires qui ont acquis une importance mondiale. Aujourd’hui, des chercheurs ont analysé l’ADN de centaines d’espèces du genre Brassica du monde entier et déclarent ce mystère résolu. Brassica rapa, mangé sous forme de navet, bok choy et chou chinois provient des montagnes situées à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Brassica oleracea, que l’on connaît sous forme de brocolis, choux-fleurs, choux cavaliers, kales ou choux de Bruxelles, tire ses origines de l’est de la Méditerranée.

Les chercheurs soutiennent que ces découvertes devraient inciter à des efforts immédiats pour collecter et conserver les plantes de ces régions. À mesure que le monde progresse vers un avenir plus chaud et incertain, les cultures de Brassica pourraient se heurter à des obstacles sans précédent au vu de la chaleur, de la sécheresse et des maladies. C’est également le cas pour le maïs, le blé et d’autres cultures essentielles à la sécurité alimentaire mondiale. La diversité génétique inégalée que l’on trouve dans les régions d’origine de ces cultures pourrait aider les phytogénéticiens à créer de nouvelles variétés plus résistantes pour permettre de nourrir un monde affamé et en proie au changement climatique.

« Je pense sincèrement que ce type d’études est primordial », assure Michael Purugganan, biologiste à l’université de New York, qui n’était pas impliqué dans la nouvelle étude. « Ils ont posé les bases pour le [développement] d’une approche plus intelligente afin de rechercher les gènes impliqués dans le processus d’adaptation. »

 

UNE DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE INÉGALÉE

Le genre Brassica a longtemps étonné, fasciné et déconcerté les biologistes et les exploitants agricoles. Les phytogénéticiens ont réussi à les exploiter pour produire un nombre impressionnant de légumes : des racines amylacées, des brocolis et des choux-fleurs, des choux cavaliers cultivés en Afrique et en Amérique du Sud ou encore de nombreux végétaux asiatiques. Débordant de vitamines et de nutriments, près de 11,5 millions d’euros sont générés chaque année par les ventes des espèces de ce genre.

CHOU

PHOTOGRAPHIE DE Andi Kur

C’est cette même diversité qui rend la définition de l’origine du genre Brassica particulièrement difficile. Le botaniste Alex McAlvay, du jardin botanique de New York, explique que lors de la culture de ces espèces, elles arrivent facilement à déborder et pousser de nouveau à l’état sauvage, tel un chien domestiqué qui redeviendrait sauvage. Des Amériques à Asie extrême-orientale, ces espèces à fleurs jaunes bourgeonnent dans les prairies côtières, le long des routes et dans les champs agricoles. Les agriculteurs les accueillent généralement volontiers afin d’ajouter de la variété à leurs cultures.

De l’Europe occidentale à l’Asie orientale, en passant par de nombreuses autres régions, un grand nombre de personnes ont affirmé, ou du moins spéculé, que leurs Brassica étaient ceux d’origine. Charles Darwin lui-même s’est demandé si les choux sauvages le long de la côte anglaise n’étaient pas les ancêtres de Brassica oleracea.

Chris Pires, biologiste de l’évolution à l’université du Missouri-Columbia, qualifie la génétique du genre Brassica de « joli désordre ».

Makenzie Mabry, généticienne au musée d’histoire naturelle de Floride, est du même avis. « Brassica est tristement célèbre pour être une plante difficile » à étudier. « Elles aiment partager leur pollen entre elles », ce qui signifie que les espèces qui poussent à l’état sauvage sont souvent hybrides avec de nombreux ancêtres.

 

UN TRAVAIL DE DÉTECTIVE

Pour résoudre ces mystères, deux équipes de chercheurs ont rassemblé des graines en provenance de banques de graines et de collections botaniques du monde entier. Une des équipes, dirigée par M. McAlvay accompagné de M. Pires et Mme Mabry, a utilisé des technologies modernes de génomique pour séquencer les génomes de plus de 400 échantillons de Brassica rapa. C’est bien plus que ce qui avait déjà été séquencé dans les précédentes études sur l’origine de la plante. Grâce à la modélisation de l’environnement, ils ont pu déterminer les différentes régions où aurait poussé la plante à l’origine.

Les chercheurs ont également reçu l’aide de linguistes et d’archéologues pour collecter d’autres types d’indices. Par exemple, des références aux navets ou à d’autres cultures de Brassica dans la littérature et des vestiges sur les sites de villages antiques. « Ce sont des détectives qui travaillent chacun sur des aspects différents de la même histoire », déclare M. McAlvay.

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    CHOU ROMANESCO (BRASSICA OLERACEA VAR. BOTRYTIS)

    PHOTOGRAPHIE DE Andi Kur

    Ils ont découvert que les séquences génétiques et les références littéraires convergeaient toutes vers l’Hindou Kouch, une région montagneuse sauvage en Afghanistan près de la frontière avec le Pakistan et le Tadjikistan. Le premier légume à avoir été domestiqué a été le navet, il y a entre 3 500 ans et 6 000 ans. Ce n’est qu’après cela que les phytogénéticiens ont créé des variétés feuillues comme le tatsoi, le bok choy et le brocoli-rave. En outre, ils ont pu obtenir des graines de navette, utilisées pour la fabrication d’huile, ou celles de moutarde, répandues dans la cuisine indienne. Les chercheurs ont livré leurs résultats dans la revue Molecular Biology and Evolution.

    Pour Brassica oleracea, une analyse similaire a été menée par M. Pires et Mme Mabry accompagnés par M. McAlvay et d’autres chercheurs. Plus de 200 échantillons pointaient vers des îles de la mer Égée, entre la Grèce et la Turquie, comme région d’origine.

    Cette étude sera publiée plus tard dans le mois dans la même revue mais une prépublication est d’ores et déjà disponible sur bioRxiv.

    CHOU D’ORNEMENT (BRASSICA OLERACEA VAR. ACEPHALA)

    PHOTOGRAPHIE DE Andi Kur

    Cette recherche « fait considérablement avancer notre compréhension », déclare M. Purugganan. « Il s’agit de la première vraie analyse systémique au niveau de la génomique des populations de ces espèces. Je ne pense pas que l’histoire soit terminée pour autant », ajoute-t-il. Davantage d’analyses des plantes collectées sur les sites d’origine sont nécessaires pour confirmer ces découvertes.

     

    DES ORIGINES DIVERSES

    Ces résultats ont été obtenus à une époque complexe pour les agriculteurs et les consommateurs du monde entier. Les hautes températures, la sécheresse et les inondations dévastent déjà les rendements des cultures. Le nombre de personnes sous-alimentées a commencé à grimper après des décennies de diminution. Les espèces du genre Brassica sont plus adaptées aux climats froids. De fait, elles sont potentiellement vulnérables dans les régions où elles constituent un pilier du régime alimentaire. Par exemple, des chercheurs coréens ont découvert que le chou chinois, principal ingrédient du condiment national de la Corée, le kimchi, est fragilisé par la chaleur et la sécheresse.

    Brassica napus, l’hybride entre Brassica rapa et Brassica oleracea, utilisé principalement pour la fabrication d’huile de colza, est sûrement l’espèce la plus importante pour la chaîne alimentaire mondiale. Les variétés commerciales de cette espèce n’ont que peu de diversité génétique. Les producteurs ont alors peu de ressources pour améliorer leur résistance au climat. « Il y a définitivement beaucoup de marge d’amélioration », assure Annaliese Mason, chercheuse en sélection végétale à l’université de Bonn en Allemagne.

    Ces nouvelles découvertes pourraient s’avérer utiles. Les sites d’origine de ces cultures contiennent bien plus de diversité génétique qu’ailleurs. Les phytogénéticiens sont à la recherche de ces régions pour améliorer certaines caractéristiques, notamment la résistance aux maladies, un goût meilleur et une tolérance accrue à la sécheresse et à la chaleur. Ils ont par exemple utilisé des gènes de pommes de terre sauvages pour leur permettre de se défendre contre le mildiou dévastateur qui a engendré la grande famine irlandaise. Les gènes contenus dans le blé sauvage ont permis de renforcer la résistance aux champignons de l’ordre des Pucciniales pour la plupart des variétés de blé. Cette avancée a favorisé la révolution verte, grâce à laquelle la faim et la malnutrition ont drastiquement diminué en Asie du Sud entre 1960 et 1970. Elle a contribué à sauver des millions de vies.

    Les chercheurs insistent sur le fait qu’il est maintenant urgent de collecter et de conserver les semences des sites d’origine du Brassica avant qu’elles ne disparaissent à cause des menaces humaines ou naturelles. Alex McAlvay craint que peu de graines de Brassica rapa ne soient récoltées depuis l’Hindou Kouch pour être placées dans les banques de graines mondiales. Il redoute que le réchauffement climatique oblige la plante à migrer sur les flancs de montagne. De nombreuses espèces montagnardes doivent faire face à un tel sort. Au fur et à mesure, elles atteignent le sommet et souffrent entre-temps d’une réduction constante de leur aire de croissance. Les petites populations insulaires, d’où Brassica oleracea tire probablement ses origines, peuvent être particulièrement vulnérables, ajoute Mme Mabry.

    BRASSICA INCANA

    PHOTOGRAPHIE DE Andi Kur

    L’équipe qui a étudié Brassica oleracea avait prévu de se rendre dans des îles méditerranéennes comme la Crète et Chypre pour y collecter des graines avant que la pandémie de COVID-19 ne suspende les déplacements. Elle espère faire ce voyage en 2022.

    Outre les ancêtres d’origine, les plantes sauvages d’autres régions essentielles à la diversité devraient aussi être collectées et conservées, ajoute Eve Emshwiller, ethnobotaniste à l’université du Wisconsin à Madison et coauteure de l’étude sur Brassica rapa. Les variétés sauvages sont souvent considérées comme des mauvaises herbes et il est parfois conseillé aux agriculteurs de les éradiquer.

    « Quel que soit l’avenir réservé à ces cultures, nous avons sincèrement besoin de conserver tous les éléments », maintient Mme Emshwiller. « [Il est essentiel de préserver] l’ensemble des variétés des cultures, la diversité des allèles et des gènes qui les composent et de prévenir la disparition des ancêtres sauvages. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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