En Australie, un nouveau feu de forêt ravage un écosystème unique au monde

Un gigantesque incendie sur l'île Fraser illustre à quel point les paysages uniques de l'Australie risquent d'être défigurés par les flammes qui semblent ne laisser aucun répit au continent.

De Craig Welch
Photographies de Matthew Abbott
Publication 22 déc. 2020, 14:56 CET
En haut à gauche, on peine à distinguer une plage de l'île australienne Fraser recouverte par ...

En haut à gauche, on peine à distinguer une plage de l'île australienne Fraser recouverte par un nuage de fumée et de cendres émanant de l'incendie qui a déjà noirci près de la moitié de l'île, soit environ 800 km², au cours des six dernières semaines. Classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, Fraser est la plus grande île de sable au monde et se compose d'écosystèmes uniques en leur genre.

PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

Les flammes balayaient le sol et bondissaient par-dessus les arbres. C'était en janvier 2020, Greg Slade se pressait à travers la fumée en enjambant les eucalyptus qui jonchaient le sol le long d'une route en feu sur l'île Kangourou, au sud de l'Australie.

En tant que gérant par intérim d'un gîte en pleine nature, il avait déjà évacué 18 employés ainsi qu'une dizaine de clients. Il était resté en arrière pour tenter de protéger l'hôtel, mais avec des vents à 90 km/h et une chaleur écrasante, l'établissement ne survivrait pas à la pire saison des incendies que le pays ait connu. Comme des milliers de commerces et d'habitations, l'hôtel allait bientôt être réduit en cendres.

Ce jour-là, il a fallu 12 heures à Slade pour se mettre en sécurité. Les 10 mois suivants, il les a passés à voyager et en octobre il a retrouvé un emploi dans un autre établissement, sur l'île Fraser et ses 1 800 km² de terres sauvages à l'est du Queensland.

Les incendies ont ravagé l'île jusqu'à ses plages de sable blanc immaculées. Face au nuage de fumée, le personnel et les touristes ont été forcés d'évacuer alors que l'incendie menaçait les attractions locales, comme la forêt pluviale et ses arbres vertigineux qui poussent sur le sable, un phénomène unique d'après l'UNESCO.

PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

Cependant, après quelques semaines de travail, il a de nouveau été contraint à l'évacuation en raison d'un autre feu de forêt.

Le nouvel incendie « a pris un mauvais tournant et s'est approché à une centaine de mètres » de son lieu de travail, indique Slade, âgé de 42 ans. L'établissement doit son salut à la chance, à la météo et bien entendu aux unités australiennes de lutte contre les incendies. Malheureusement, cela n'aura pas suffi à sauver des flammes la moitié de l'île Fraser, petit paradis de l'écologie classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.

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    L'année dernière, les incendies survenus en Australie ont embrasé une zone de la taille de l'Italie en tuant 33 personnes et 3 milliards d'animaux, toutes espèces confondues, du koala à la grenouille. Dans le sillage de cette année dévastatrice, le pays doit encore apprendre à composer avec un avenir qui lui réserve des feux de forêt toujours plus étendus et intenses.

    Un petit incendie se fraie un chemin à travers la broussaille sur la côte est de l'île.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    Une parcelle de forêt intacte prise en étau entre deux zones ravagées par les flammes.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    Alors que l'Australie entre dans la période de la saison des incendies qui est habituellement la plus explosive, les régimes météorologiques indiquent des précipitations importantes cette année, peut-être de quoi modérer les flammes et apaiser le pays après des années de sécheresse et de chaleur écrasante. Cette semaine, les pompiers ont pu compter sur l'aide de la pluie pour circonscrire l'incendie de l'île Fraser, mais ils s'attendent à ce que le feu continue de brûler lentement jusqu'au mois de janvier.

    Cependant, comme en atteste l'actuelle situation de l'île, le risque d'incendies et de transformation encouru par les paysages emblématiques du continent demeure bien réel à l'heure où le changement climatique, la mauvaise gestion des terres et d'autres menaces environnementales s'unissent dans les flammes.

     

    RARETÉ MENACÉE

    Également connue sous le nom aborigène K’gari, l'île Fraser est la plus grande île de sable au monde et se distingue également par ses falaises colorées, ses lacs dunaires et la rareté de ses écosystèmes. Son panorama le plus célèbre est celui d'une forêt pluviale de pins Kauri, de fougères arborescentes et d'essences locales comme le satinay (Syncarpia hillii) pouvant vivre jusqu'à mille ans. Les plages de l'île, ses landes et ses forêts abritent également de nombreuses espèces vulnérables comme le bécasseau maubèche, des pétrels et d'autres oiseaux, mais aussi des roussettes, des scinques, des tortues de mer et des dingos sauvages.

    Ce chemin de sable laisse apparaître le sol fragile sur lequel est ancrée la végétation unique de l'île, une végétation essentielle à la survie des espèces rares et menacées qui y ont élu domicile.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    L'incendie du mois d'octobre sur l'île Fraser a été déclenché par un feu de camp illégal sur la plage. Contrairement aux mégafeux qui ont ravagé à toute vitesse de vastes parcelles de la Nouvelle-Galles du Sud et de Victoria un an plus tôt, l'incendie de l'île Fraser ne s'est pas propagé avec force et violence, mais à un rythme plutôt lent et constant. « C'était alarmant de le voir se répandre autant, » déclare Rod Fensham, professeur d'écologie à l'université du Queensland.

    Les chiens domestiques sont interdits sur l'île Fraser, car le patrimoine génétique inaltéré des dingos qui y vivent est un trésor de conservation. Selon les estimations, 30 meutes composées chacune de 3 à 12 dingos rôderaient sur l'île. Les dingos sont au sommet de la chaîne alimentaire de l'île et jouent un rôle vital dans sa conservation. Certains d'entre eux ont pu être blessés ou tués par l'incendie, ce qui soulève des inquiétudes chez les spécialistes.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    Les barges sont le moyen le plus utilisé pour accéder à Fraser, où le 4x4 est obligatoire pour se frayer un chemin sur les plages et les routes de sable. Ci-dessus, un employé de la société de ferry Manta Ray Barge guide les conducteurs qui regagnent le continent après un séjour sur l'île.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    Le feu est un élément naturel du paysage de Fraser, mais ces dernières années la saison sèche de l'hiver austral s'est prolongée au printemps et a également été réchauffée par le changement climatique. D'après Jamie Shulmeister, chercheur à l'université de Canterbury en Nouvelle-Zélande qui a étudié Fraser pendant quatre ans, ce phénomène assèche plus rapidement la végétation et augmente le risque de départ incontrôlé des incendies avant même qu'ils ne soient détectés.

    « Auparavant, dit-il, ce type de feu aurait aisément pu se produire, mais il se serait probablement essoufflé après un jour ou deux. » Cette année en revanche, l'incendie s'est propagé sur plus de 80 hectares et a brûlé pendant deux mois sans s'arrêter.

    Fraser compte peu d'habitants et, par chance, l'incendie a épargné leurs habitations ainsi que les locaux professionnels. Cependant, la géologie de l'île est unique au monde. Elle abrite des plantes et des animaux habitués à ses habitats fragiles, comme les marais acides et leurs poissons qui tolèrent la composition de l'eau à force d'adaptation.

    Même dans les zones qui ont évolué avec le feu, l'élévation des températures peut détruire le couvert végétal et ainsi permettre au sable de se déplacer au gré du vent. Une fois ce processus entamé, c'est l'ensemble du système dunaire de l'île qui risque de basculer en reconfigurant potentiellement les écosystèmes dans leur intégralité.

    Et les risques ne s'arrêtent pas là. Il semble que les incendies n'aient pas encore pénétré la forêt pluviale de l'île à ce jour d'après Shulmeister et Fensham. Néanmoins, une maladie fongique appelée rouille des myrtacées (Puccinia psidii) infecte la végétation à la lisière de la forêt. La montée en température des incendies combinée à cette maladie risquerait d'affecter la capacité des essences d'ombre à se régénérer et celle des plantes de la forêt pluviale à prendre racine. Il est donc possible que le feu représente « une menace existentielle à la survie » de la forêt pluviale, résume Shulmeister.

    Quant à savoir si ces feux ont causé ou non des dégâts irréparables, il faudra des années à Shulmeister pour apporter une réponse définitive. Pour le moment, il espère que l'incendie de Fraser Island n'était qu'un « avertissement. »

    Le lac McKenzie, un lac d'eau douce, est l'une des principales attractions touristiques de l'île et n'a pour le moment pas été affecté par l'incendie. Pour des raisons culturelles et de biosécurité, le peuple autochtone Butchulla s'est opposé à l'utilisation de l'eau du lac dans la lutte contre les incendies.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    Les précipitations plus faibles qu'à l'accoutumée ont créé des conditions de sécheresses exacerbées par la chaleur : novembre a été le mois le plus chaud jamais enregistré en Australie. Un feu de camp illégal est à l'origine de l'incendie que les pompiers ont eu du mal à maîtriser pendant près de six semaines.

    PHOTOGRAPHIE DE Matthew Abbott

    En ce qui concerne Slade, le message est bien passé.

    Après la levée de l'ordre d'évacuation, il a retrouvé son travail. À l'instar de nombreux Australiens, les feux de brousse ne l'effraient pas. Il en a fait l'expérience à Victoria, l'État qui entoure Melbourne au sud de l'Australie, et a même suivi une formation de gestion des incendies alors qu'il avait une vingtaine d'années. Contrairement à son expérience sur l'île Kangourou, personne sur Fraser ne donnait l'impression de fuir au péril de sa vie, même pendant les évacuations.

    À son retour, il a parcouru l'île en voiture pour évaluer les dégâts. Même si l'incendie de Frazer ne s'est pas propagé aussi rapidement que les mégafeux de l'année dernière, il lui était difficile de ne pas se sentir ridicule devant autant de puissance.

    « Une grande partie de la végétation est complètement rasée, » témoigne-t-il.

    Une chose est sûre, il n'a pas hâte de revivre cette expérience.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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