Entretien exclusif : Angelina Jolie prend la défense des abeilles et des apicultrices

Angelina Jolie a pris la pose pour un portrait saisissant pour National Geographic. Une image marquante pour défendre la formation des femmes apicultrices dans les réserves de biosphère de l’UNESCO.

De Indira A.R. Lakshmanan
Publication 25 mai 2021, 16:58 CEST

« Ma principale préoccupation, c’était la sécurité », explique le photographe Dan Winters. « Tout le monde sur le plateau, à l’exception d’Angelina, devait porter une combinaison de protection. Le studio devait être assez tranquille et plutôt sombre afin que les insectes gardent leur calme. Angelina est restée parfaitement immobile, couverte d’abeilles pendant 18 minutes sans se faire piquer. »

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

Au premier abord, il est surprenant de voir le visage d’une figure emblématique du cinéma recouvert d’abeilles. À y regarder de plus près, il est possible d’entrevoir le récit plus profond de l’équilibre subtil entre les Hommes et les pollinisateurs. La grande partie de la nourriture que nous consommons dépend de la pollinisation.

Angelina Jolie a pris la pose pour un portrait saisissant pour National Geographic. Cette campagne, initialement publiée pour la Journée mondiale des abeilles, a pour objectif de présenter un programme de l’UNESCO en association avec Guerlin. Dans le cadre de ce programme, des femmes pourront devenir apicultrices ou encore œuvrer à la protection des habitats de ces précieux pollinisateurs dans le monde entier. Le photographe Dan Winters, apiculteur amateur, a puisé son inspiration du célèbre portrait d’un apiculteur chauve dont le torse était recouvert d’abeilles, immortalisé en 1981 par Richard Avedon.

Angelina Jolie, quant à elle, avait une double inspiration. La première, les abeilles comme pilier indispensable de notre chaîne alimentaire, sur lequel pèsent les menaces des parasites, des pesticides, de la destruction des habitats et du changement climatique. La seconde, les femmes formant un réseau mondial virtuel, pouvant être formées pour protéger ces pollinisateurs essentiels.

L'actrice, réalisatrice et activiste humanitaire nous a accordé une interview à Los Angeles pour discuter de l'équilibre possible entre un environnement sain, la sécurité alimentaire, l’émancipation des femmes et les près de 20 000 espèces d’abeilles connues. Selon elle, la protection de ces pollinisateurs essentiels à notre survie est un défi tout à fait à notre portée. 

« Avec toutes ces choses qui nous inquiètent aujourd'hui, et toutes ces personnes qui se sentent dépassées par le flot de mauvaises nouvelles, nous avons là un [problème] que nous pouvons régler. »

Image d’une ouvrière obtenue grâce à la microscopie électronique à balayage.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, trois cultures destinées à la consommation humaine sur quatre, et plus d’un tiers des terres agricoles dans le monde, dépendent des pollinisateurs. Il ne s’agit pas que des fruits, des fruits à coque ou des légumes. Les abeilles pollinisent également la luzerne, dont se nourrissent les vaches, mais aussi les cultures utilisées pour fabriquer des vêtements ou des médicaments. Selon l'American Beekeeping Federation, les abeilles mellifères engendrent à elles seules environ 20 milliards de dollars de bénéfices pour l’industrie agricole américaine. Dans le monde, les pollinisateurs permettent de générer plus de 200 milliards de dollars (163 millions d'euros) pour la production alimentaire.

Pourtant, les populations d’abeilles ont décliné un peu partout dans le monde les années qui ont suivi le syndrome d’effondrement des colonies, identifié en 2006. Un lien a été établi entre ces extinctions massives d’abeilles et les pesticides, notamment un groupe de produits chimiques appelés les néonicotinoïdes. Ce déclin très marqué a également été expliqué par la présence de Varroa destructor, une espèce d’acariens invasive et par la restriction des habitats naturels aggravée par la monoculture à grande échelle. Le changement climatique a lui aussi perturbé les espèces indigènes du monde entier. 

Récemment, Angelina Jolie a été nommée marraine du programme Des Femmes pour les Abeilles. Co-créé par l’UNESCO, la branche des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, et Guerlin, le programme durera cinq ans. Guerlin a annoncé une subvention de près de 2 millions de dollars pour former et soutenir cinquante apicultrices au sein de vingt-cinq réserves de biosphère de l’UNESCO.

Ces femmes devraient créer 2 500 ruches d’ici 2025, une opération qui permettrait de préserver près de 125 millions d’abeilles, selon Guerlin. Cette année, des femmes bulgares, cambodgiennes, chinoises, éthiopiennes, françaises, russes, et slovènes seront formées. En 2022, d’autres femmes, péruviennes, indonésiennes et originaires d’autres pays rejoindront le programme.

L’un des objectifs clés du programme est de mettre en lumière la diversité des pratiques locales d’apiculture et de partager les savoir-faire des différentes cultures. En Chine, dans la réserve de biosphère de Xishuangbanna par exemple, les ruches sont constituées du bois des arbres tombés et soudées avec de la bouse de vache pour protéger les abeilles pendant l’hiver. Au Cambodge, dans la réserve de biosphère du Tonlé Sap, les apiculteurs placent les colonies sur des branches inclinées, car cette disposition facilite la récolte, sans détruire la colonie. Les fonctionnaires de l’UNESCO assurent qu’avec le programme Des Femmes pour les Abeilles, aucune colonie ni aucune reine ne seront importées, évitant ainsi de chasser les abeilles indigènes ou de propager des maladies.

Angelina Jolie est entrée dans ce rôle via une expérience peu commune. En tant qu’envoyée spéciale pour l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, elle a participé à près de soixante missions dans des zones de combat et des camps de réfugiés ces vingt dernières années. En 2003, elle a créé une fondation pour la conservation et le développement communautaire dans une région rurale protégée au nord-ouest du Cambodge. La fondation a œuvré au déminage des champs de batailles, à la reconversion des braconniers en gardes forestiers et à la promotion de l’égalité des genres, entre autres. Elle forme aussi des apiculteurs et apicultrices.

En juin prochain, Angelina Jolie rejoindra les dix premières participantes du programme pour prendre part à une formation accélérée sur trente jours menée par des experts de l’Observatoire Français d’Apidologie en Provence, où elle espère être formée à l’apiculture également.

 

Indira Lakshmanan : Depuis vingt ans maintenant, vous êtes une fervente défenseuse des populations vulnérables, notamment les femmes et les enfants. Quel est le lien entre les personnes vulnérables et les abeilles ? Comment ces causes qui vous tiennent à cœur se rejoignent-elles ?

Angelina Jolie : Beaucoup de personnes vulnérables sont déplacées à cause du changement climatique ou des guerres qui ont pu être déclenchées pour le contrôle de ressources naturelles qui s’amoindrissent. Voir votre environnement détruit, vos moyens de subsistance vous être arrachés, est l’une des principales raisons pour lesquelles les peuples migrent, sont déplacés ou se battent. Tout est lié.

Les pollinisateurs sont indispensables à notre survie et notre environnement. Et donc nous devons comprendre, grâce à la science, ce qu’il adviendrait si nous les perdions. Nous pouvons œuvrer pour résoudre [ce problème].

Ce qui est excitant pour moi c’est qu’au lieu de simplement dire, « Nous sommes en train de perdre les abeilles, certaines espèces se sont éteintes ou sont en voie de disparition », nous sommes dans l'action et nous disons : « Voilà, c’est comme ça qu’il faut que nous les protégions ». Il faut être lucide face à l'utilisation des produits chimiques et à la déforestation. Mais il faut aussi dire : voilà ce que les hommes et les femmes peuvent faire. Vous n’avez même pas besoin d’être propriétaire terrien pour envisager de faire partie de la solution. Ce qui est captivant, c’est que nous arrivons à mettre en place des solutions [et] à valoriser les femmes dans leurs moyens de subsistance.

Cette photo de ruche illustre une colonie florissante.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters

 

IL : Tant de menaces pèsent sur les abeilles aujourd'hui...

AJ : Beaucoup de ces problèmes semblent nous dépasser. Mais il existe des vérités simples auxquelles nous pouvons nous rattacher. Lorsqu'une espèce s'éteint, qu’elle soit animale ou végétale, quelque chose est détruit. En la perdant, le réseau de toutes les choses dont nous dépendons se brise. Nous sommes assez intelligents pour comprendre que ces éléments sont interconnectés et que notre survie en dépend. Je sais que l’on a l’impression que je travaille sur les abeilles en ce moment, mais vraiment, pour moi, les abeilles, la pollinisation et le respect de l’environnement... tout est lié aux moyens de subsistance des femmes et aux déplacements induits par le changement climatique.

 

IL : On peut tous faire partie de la solution : en plantant des végétaux, en n'utilisant pas de produits chimiques nocifs dans nos jardins, sur nos balcons ou dans les parcs municipaux...

AJ : Au milieu de toutes ces choses qui nous inquiètent aujourd'hui, de toutes les mauvaises nouvelles qui peuvent nous dépasser et la réalité d'un monde en train de s’effondrer, il s’agit là d’un [problème] que nous pouvons régler. Il est clair que nous pouvons tous agir en ce sens.

Je ne pense pas que la plupart des gens aient conscience des dégâts qu’ils causent. Beaucoup de gens essaient juste de vivre leur vie. Ils veulent bien faire. Ils ne veulent pas que leurs actions détruisent leur environnement mais ils ne savent pas quoi acheter ou quoi utiliser. Parfois on veut juste que ce soit simple. Moi-même j’ai six enfants et beaucoup à faire, je suis loin d'être « parfaite ». Nous pouvons nous entraider et nous dire, « C’est un pas en avant, c’est simple, et c’est quelque chose que je peux faire avec mes enfants ».

Les jeunes sont tellement instruits, tellement éveillés. Ils sont tellement conscients des problèmes auxquels le monde dans lequel ils vivent fait face. Et on leur dit d’acheter ceci ou de faire cela ou de ne pas toucher ça ou de ne pas conduire ce modèle de voiture. Ils sont dépassés. Donc l’une des choses que nous souhaitons faire, c’est rendre ça possible et simple afin de protéger les abeilles et la biodiversité.

 

IL : Vos enfants ont-ils inspiré votre intérêt pour la conservation et l’environnement ?

AJ : Ils grandissent certainement en étant plus informés que nous ne l'étions. Leur génération en dépend. Nous sommes sur un fil. Les décisions prises dans les dix, vingt prochaines années vont déterminer la manière dont nous vivrons sur notre planète. Malheureusement, ils le savent. C’est très dur pour eux. Je ne pourrais pas imaginer être un petit enfant de nouveau, aujourd'hui. Quand j'avais douze ans, je ne me demandais pas si la Terre pourrait continuer d'exister de la même manière ou s’il y aurait encore des abeilles quelques années plus tard.

Une flaque de miel.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters

 

IL : Vous avez créé une fondation au Cambodge où vous avez été témoin des affres de la déforestation illégale. Pourquoi soutenir un programme pour les apicultrices cambodgiennes ?

AJ : Pour attirer l'attention sur l’environnement et les moyens de subsistance. Beaucoup de braconniers se sont reconvertis en garde-forestiers pour travailler avec nous, et ils ont énormément œuvré pour enrayer l’abattage illégal et protéger la faune sauvage là où ils le pouvaient. Et puis on collecte beaucoup de miel sauvage au Cambodge.

C’est très important de ne pas simplement aller dans un pays et de dire : « Pas d’infrastructures, pas de routes, pas de progrès, rien, nous allons préserver cette région si singulière ». Pour le faire de manière durable, nous devons faire en sorte que les peuples qui vivent dans ces communautés se développent et se connectent avec cet environnement naturel.

 

IL : Les abeilles mellifères pratiquent une forme de démocratie dans laquelle les insectes votent individuellement pour choisir un nouveau territoire pour rucher. Il semblerait que ce soit un bon parallèle pour Des Femmes pour les Abeilles. Pourquoi impliquer les femmes dans l’apiculture et comment [le programme] va-t-il faire pour leur donner une voix et une influence économique ?

AJ : Les femmes sont tellement compétentes. Et il existe de nombreuses femmes dans le monde à qui on n'a simplement pas donné d'opportunités. Mais elles ont soif d’apprendre, elles ont de bons instincts d’entrepreneuriat. Avoir un réseau, apprendre comment être une très bonne apicultrice grâce à toutes les dernières méthodes scientifiques connues, et posséder quelque chose qu’elles peuvent produire et vendre... Il ne s’agit pas juste d’éduquer les femmes, il s’agit d’apprendre grâce aux femmes du monde entier, qui ont différentes pratiques.

Lorsqu’une femme apprend une nouvelle compétence, elle la partage avec d’autres femmes, des hommes et leurs enfants. Et si vous voulez vraiment que les choses changent et que vous souhaitez qu’elles soient propagées, parlez-en à une femme et aidez-la à comprendre quel est le problème. Elle travaillera dur pour faire en sorte que toute la communauté soit au courant.

 

IL : La première formation pour ces apicultrices démarrera en juin dans le sud de la France. Allez-vous suivre la formation, prévoyez-vous d’installer des ruches chez vous avec vos enfants ?

AJ : J’ai beaucoup de fleurs sauvages et mes abeilles sont très, très heureuses. En effet, nous essayons de voir où nous pourrions installer les ruches. Je pense que je vais devoir les mettre sur le toit.

Il existe deux types d’abeilles : sauvages et solitaires ou domestiques et mellifères. Je m’adresse à toutes les femmes : faites votre choix. Les abeilles domestiques sont celles qui produisent le miel mais il existe aussi d’autres abeilles, celles sauvages et solitaires, qui vivent une vie très différente et qui ne produisent pas de miel, mais pollinisent.

 

IL : Alors vous faites partie de quelle catégorie ?

AJ : J’ai l’impression que ces derniers temps, j’ai plutôt été une abeille domestique, mais dans mon cœur, je suis sauvage et solitaire. [Rires]

TIMELAPSE - L'éclosion d'une abeille mellifère

 

IL : Récemment, vous avez posé pour un portrait spectaculaire pour National Geographic sous l'objectif du photographe Dan Winters. Vous étiez littéralement recouverte d’abeilles qui virevoltaient devant votre visage. Comment l’avez-vous vécu?

AJ : Je vais parler comme le font les bouddhistes : c’est juste agréable de se sentir connectée à ces magnifiques créatures. C’est clair que l’on entend un bourdonnement. Il faut rester vraiment immobile et [concentrée], vivre le moment, ce qui n’est pas facile pour moi. Je pense que l’idée derrière [ce portrait], c’était d'interagir avec des créatures considérées comme dangereuses. Le véritable propos, c’est que nous partageons cette planète. Nous nous affectons lourdement mutuellement. C’est comme ça que ça doit être ressenti, et ça a vraiment été le cas, j’ai été très honorée et je me suis sentie très chanceuse de vivre cette expérience.

 

IL : Dan Winters a utilisé les mêmes phéromones pour attirer les abeilles sur vous que celui utilisé par Richard Avedon il y a quarante ans pour son célèbre portrait d’apiculteur.

AJ : C’était tellement drôle d’être toute coiffée et maquillée et de s’étaler des phéromones. On m'avait interdit de me laver pendant trois jours. Parce qu’ils m’ont expliqué, « Si vous portez toutes ces odeurs différentes, les shampoings et les parfums et toutes ces choses, les abeilles ne savent pas ce que vous êtes ». [Ils] ne voulaient pas que les [abeilles] me confondent avec une fleur, j’imagine.

 

IL : Et qu’elles essaient de vous polliniser. [Rires]

AJ : Je ne suis pas sûre de ça, mais c’était vraiment intéressant. Après il a fallu me mettre des choses dans le nez et dans les oreilles pour qu’elles n’aient pas trop de trous où se faufiler.

 

IL : L'image est un peu effrayante !

AJ : Il y en avait une sous ma robe pendant toute la durée [de la séance]. On aurait dit l’une de ces vieilles comédies. Je n’arrêtais pas de la sentir sur mon genou, sur ma jambe et puis j’ai pensé, « Oh, c’est le pire endroit où se faire piquer. Elle se rapproche dangereusement. » Elle est restée là pendant toute la durée du shooting. Et puis quand on m’a retiré toutes les autres abeilles, j’ai soulevé ma jupe et elle s’est envolée.

 

Cet entretien a été édité dans un souci de concision et de clarté.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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