Calvi-Monaco à la nage : Noam Yaron raconte son odyssée pour la nature

À 28 ans, le nageur suisse Noam Yaron a tenté la traversée Calvi-Monaco. Dans cet entretien, l'éco-aventurier revient sur son odyssée de 191 km pour sensibiliser à la protection des océans.

De Romane Rubion
Publication 28 sept. 2025, 17:02 CEST
En août dernier, le Suisse Noam Yaron s’est lancé le défi hors norme de relier Calvi ...

En août dernier, le Suisse Noam Yaron s’est lancé le défi hors norme de relier Calvi à Monaco à la nage. Après avoir passé 102 heures dans l’eau, il a dû abandonner à seulement 2 km de l’arrivée pour des raisons de santé.

PHOTOGRAPHIE DE NOAM YARON PRODUCTION

Son visage vous dit peut-être quelque chose. À vingt-huit ans, Noam Yaron, ancien champion de natation originaire de Morges, en Suisse, a beaucoup fait parler de lui cet été. Et pour cause : celui qui se présente comme un éco-aventurier sur Instagram s’est lancé un défi hors norme : traverser la Méditerranée à la nage de Calvi à Monaco. Cinq jours et quatre nuits passés dans l’eau, non pour le simple exploit sportif, mais pour rappeler l’urgence de protéger les océans.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à passer de la natation traditionnelle à des défis sportifs extrêmes, mis au service de la nature et de vos engagements écologiques ?

J’ai commencé ma carrière sportive par le judo, à l’âge de six ans. J’étais un peu en surpoids quand j’étais jeune et, comme au judo on combat par catégories de poids, je me retrouvais face à des garçons un peu plus âgés que moi. Cette différence d’âge, d’expérience et de maturité a fait que j’ai été pas mal malmené. Je suis beaucoup tombé, ce qui m’a provoqué de fortes douleurs au dos. J’ai donc été contraint d’arrêter ce sport et j’ai eu le choix entre la natation et l’aviron. C’est ainsi que j'ai commencé la natation à huit ans.

Au début, j’étais vraiment le dernier du classement, je faisais des faux départs… Je n’étais pas du tout destiné à faire carrière dans la natation. Mon entraîneur de l’époque m’a même dit que je ferais mieux d’arrêter, mais j’ai tenu tête. Je voulais continuer, parce que j’adorais ce sport qui me permettait d’être seul dans ma bulle, sans bruit, sous l’eau, et de ne pas sentir le poids de mon corps avec lequel je n’étais pas forcément à l’aise. Je me suis aussi dit qu’un jour je serais champion national. Il m’a fallu dix ans pour y parvenir. 

De seize à dix-huit ans, j’ai terminé ma carrière d'élite en eau libre, qui pour moi, était presque un nouveau sport : pas de virage, pas de mur, pas de départ depuis un plongeoir. C’était la possibilité de trouver une vitesse et de la maintenir le plus longtemps possible. Je me suis rendu compte que plus la distance était longue, plus j’étais bon. C’est sur 3 000 m que j’ai décroché le titre de champion suisse junior. Ensuite, j’ai eu besoin de me lancer sur des distances encore plus longues.

C’est ainsi que j’ai commencé par traverser le lac Léman en largeur, environ 14 km entre Évian et Morges, la ville où je suis né, avant de m’attaquer à la traversée en longueur. C’était un rêve de gosse : j’avais vécu toute ma vie au bord de ce lac. J’ai réussi cette traversée d’environ 75 km en un temps record de 19 h 53 min et 7 s, battant de près de trois heures le précédent record détenu par un Espagnol. Cet exploit a fait beaucoup de bruit et m’a permis de lancer cette aventure : utiliser le sport pour parler d’environnement.

L’objectif était alors de sensibiliser à l’état du lac Léman, qui tout comme la Méditerranée, est pollué par les microplastiques. La Suisse est connue pour être le château d’eau de l’Europe. On pense souvent qu’elle est propre, mais en réalité le problème n’est pas seulement à l’étranger. Il faut absolument sensibiliser les gens à l’importance de prendre soin de l’eau, cette source de vie qu’on sous-estime complètement. Après trois défis en Suisse, je me suis dit que j’avais fait plus ou moins le tour et qu’il était temps de passer à la Méditerranée. 

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    Lors de sa traversée, Noam Yaron a été accompagné de deux catamarans : l’un dédié à la logistique, l’autre à une équipe scientifique chargée de collecter des échantillons en mer.

    PHOTOGRAPHIE DE NOAM YARON PRODUCTION, STUDIO FILMIZ

    Après une première tentative en 2024 interrompue par une mauvaise météo, vous vous êtes relancé cette année dans la traversée Calvi-Monaco. Pourquoi avoir choisi la Méditerranée comme terrain de combat ?

    La Méditerranée est malheureusement considérée comme l’une des mers les plus polluées du monde, il était donc important de le mettre en avant. La pollution marine ne se voit pas à l’œil nu : une fois qu’un déchet plastique entre dans l’eau, il coule d’abord, se fragmente, et il devient très difficile d’en percevoir l’impact car tout se retrouve au fond. Le plastique reste très longtemps dans l’eau. ll y a énormément de sujets sur lesquels nous essayons de sensibiliser : les produits chimiques, la pollution sonore liée aux bateaux, ou encore les collisions avec certains animaux.

    Le choix le plus difficile a été celui de la distance et du point de départ et d’arrivée. La traversée Calvi-Monaco symbolise la longueur de la plus grande aire marine protégée de Méditerranée, le Sanctuaire Pelagos, géré par l’Italie, la France et la principauté de Monaco. Malheureusement, cette aire marine protégée ne l’est pas réellement.

     

    Vous défendez deux mesures fortes : 10 % de zones marines sous protection stricte d’ici 2030 et une réduction de la vitesse des navires à 10 nœuds maximum dans le Sanctuaire Pelagos. Pourquoi ces leviers précis ?

    Le trafic maritime est la première cause de mortalité non naturelle des cétacés, notamment des baleines. La plupart des gens ne savent même pas qu’il y a des baleines en Méditerranée. Comment leur demander de protéger quelque chose qu’ils ne connaissent pas ? Ces animaux évitent naturellement les côtes, qui sont de plus en plus polluées et surtout saturées par le trafic maritime. Nager ici, c’était finalement être confronté aux mêmes dangers que ces animaux. Nous avons dû faire face à des cargos. L’une des choses que nous avons remarquées, c’est qu’il y avait beaucoup moins de biodiversité cette année que l’an dernier, ce qui pourrait laisser penser que le déclin est encore plus rapide qu’on ne l’imaginait. L’an dernier, nous avions croisé une petite dizaine de baleines en quarante-huit heures, cette année une seule. C’est relativement alarmant, d’autant plus que la mer Méditerranée abrite environ 7,5 % de la faune marine mondiale et près de 18 % de la flore marine mondiale.

    En ce qui concerne la pollution plastique, j’ai vu plus de plastique que d’animaux en Méditerranée. Dans l’eau, on sent littéralement les microplastiques sur la peau et sur les mains. Les chiffres sont effrayants : chaque jour, près de 700 tonnes de plastique finissent dans la Méditerranée, qui est bordée par une vingtaine de pays avec des enjeux économiques très différents.

    Le gouvernement français utilise beaucoup le terme de « protection forte », qui ne veut absolument rien dire, qui n’a aucune valeur juridique et qui n’est pas du tout celui utilisé par les scientifiques. L’État français autorise aujourd’hui, dans certaines aires marines protégées notamment dans l’Atlantique, la pêche industrielle comme le chalutage, sans aucune restriction. Les Françaises et les Français n’ont pas toujours la connaissance ou les moyens de comprendre les enjeux, car l’État affirme que ces zones sont protégées et que les objectifs sont déjà atteints, alors que ce n’est pas du tout le cas.

    Pendant une pause nocturne au milieu de la traversée Calvi–Monaco (2024), Noam Yaron récupère un ravitaillement ...

    Pendant une pause nocturne au milieu de la traversée Calvi–Monaco (2024), Noam Yaron récupère un ravitaillement flottant composé de boissons énergétiques et de plats préparés spécialement pour tenir l’effort.

    PHOTOGRAPHIE DE NOAM YARON PRODUCTION

    Vous attendez des engagements forts de la part des gouvernements et des entreprises, mais vous insistez aussi sur l’implication du grand public. Quel rôle peut-on jouer à l’échelle individuelle ?

    Nous avons mis en place une plateforme philanthropique participative où chacun peut devenir « co-détenteur » du record, qui sera officialisé dans quelques jours. Il est possible de participer symboliquement à hauteur de 5 euros par mètre cube protégé sur le parcours. Ces dons nous permettent d’organiser de nouveaux défis et des actions qui multiplient l’impact de notre message. Avec cette traversée, nous avons touché près de 60 millions de personnes. 

    Il y a aussi une action concrète que nous organisons depuis quatre ans et qui rencontre beaucoup de succès : le Water Lover Challenge, qui se déroule en ce moment même. C’est l’une des plus grandes collectes participatives de mégots au monde. Elle a d’abord été lancée en Suisse, au niveau local. L’an dernier, nous avons collecté plus d’un million de mégots en dix jours. Plus de quatorze pays y ont participé. 

    On ne s’en rend pas toujours compte, mais un mégot pollue jusqu’à 1 000 litres d’eau. Il contient environ 5 000 substances chimiques, dont 150 sont hautement toxiques pour la nature. Chaque année, près de 4 500 milliards de mégots sont jetés au sol. C’est l’un des déchets les plus répandus, et comme il est léger, il finit facilement dans les mers et les océans, entraîné par le vent et la pluie.

     

    Même si la traversée a dû être interrompue à seulement deux kilomètres de l’arrivée en raison de votre état de santé, vous avez nagé près de 191 kilomètres. Dans les moments de fatigue et de douleur extrême, qu’est-ce qui vous a permis de tenir ? Arrive-t-on encore à penser sous l’eau, à garder le contrôle sur son esprit ?

    Ce qui est impressionnant, ce n’est pas tant la distance que le temps passé dans l’eau, sans vraiment dormir et sans jamais en sortir. Le corps n’est pas fait pour rester si longtemps immergé, encore moins en mouvement, parfois au-dessus de 2 800 mètres de fond. Quand j’ai préparé cette traversée, mon objectif était de penser le moins possible, de ne pas rester dans le moment présent. C’est finalement un état proche de l’hypnose : mon esprit s’évade tandis que mon corps, qui nage depuis que j’ai huit ans, agit presque mécaniquement. 

    Les difficultés majeures ont été la fatigue et surtout les effets du sel sur le corps. Le sel dans la bouche déshydrate les muqueuses : la langue, la gorge, le nez. Les cellules gonflent, et parfois ma langue sortait complètement de ma bouche, je n’arrivais plus à la refermer tellement elle était enflammée. J’ai avalé beaucoup d’eau par micro-gorgées. C’est très dangereux, cela peut mener à des problèmes respiratoires, à l’impossibilité de manger ou de boire, et finalement à la perte de connaissance.

    Il y a aussi les brûlures dues aux frottements de la combinaison avec le sel et la peau. Ce sont de véritables brûlures du second degré profond, qui touchent les nerfs. La douleur était très forte à partir de la 48e heure de nage. Nous avons travaillé avec des coupeurs de feu. On y croit ou non, mais pour moi, c’est ce qui m’a permis de tenir. Mais à l’approche de Monaco, à deux kilomètres de l’arrivée, j’avais l’aisselle droite complètement lacérée par la combinaison, chaque mouvement était une souffrance et repartir était devenu presque impossible.

    Enfin, il y avait le manque de sommeil. Durant la traversée, je dormais sur le dos, comme une loutre, par micro-siestes de sept minutes, quatre à six fois par jour. Mais les effets secondaires se sont vite fait sentir. Dès 48 heures, j’ai commencé à avoir des hallucinations, qui sont devenues très intenses. Le cerveau, épuisé, cherche à vous faire sortir de l’eau. Je ne voyais plus où j’étais, je ne distinguais plus le bateau ni les gens à bord. C’était très impressionnant.

     

    Envisagez-vous prochainement de retourner dans l’eau ?

    J’aimerais beaucoup. On m’a autorisé à retourner nager, mais je ne suis pas prêt à cause de mes cicatrices. Pour l’instant, je vais plutôt privilégier la récupération. Après cinq jours et quatre nuits dans l’eau, j’ai passé neuf jours à l’hôpital. Je n’ai pas eu le temps d’accepter que c’était moi qui avais traversé cette mer. C’est étrange, mais j’ai l’impression de raconter quelque chose que j’ai vécu de l’extérieur. Il faut que j’arrive à intégrer cette réussite que je n’ai pas encore complètement acceptée ni comprise. 

    Ensuite, avant de pouvoir me préparer pour un autre défi, je vais devoir faire la paix avec l’eau. Mon inconscient a rattaché cette expérience, qui a été éprouvante pour le corps et l’esprit, à la natation. Il faudra un peu de temps pour que mon corps accepte que je retourne dans l’eau.

    Mais il y a beaucoup de lacs en Amérique et au Canada qui m’attirent. Ce sont des pays qui, aujourd’hui, avec l’investiture de Trump, ne sont pas du tout alignés avec les enjeux environnementaux. Peut-être qu’ils seront notre prochain terrain de jeu. Par contre, il faut que le lac ait une symbolique particulière qui nous permette de faire passer des messages. Battre des records pour battre des records, aujourd’hui, ça n’a pas beaucoup de sens. C’est aussi pour cela que je suis sorti de cet aspect purement compétitif. Désormais, j’aimerais utiliser mes capacités d’endurance, qui sont un peu hors normes, pour les mettre au service d’une cause qui me tient à cœur, sensibiliser encore des millions de personnes et changer les choses. J’espère être à la hauteur de ce défi, qui ne se règlera pas en une seule traversée.

    Cet entretien a été édité pour des questions de concision et de clarté.

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