La biodiversité australienne parvient-elle à se remettre des récentes catastrophes naturelles ?
Il y a cinq ans, l’Australie été traversée par une vague d'incendies d’une ampleur telle qu’elle a bouleversé la vie de milliards d’animaux et emporté des millions d’hectares de forêt.

Blessé, ce koala reprend des forces dans un centre situé à Beerwah, en Australie. Ce cliché inédit a été pris à l’occasion de Save the Koala Day, une journée destinée à sensibiliser le public au sort des koalas, qui sont menacés d’extinction dans le pays.
Le 11 mars 2020, le Conseil du Climat australien publiait l’un des rapports les plus alarmants de son histoire.
Cet hiver-là, des feux de brousse d’une ampleur inédite ont dévoré 18,6 millions d’hectares de terres et forêts, soit une superficie équivalente à près de 30 % de la surface totale du territoire français. Les flammes ont emporté sur leur passage, un nombre de vies inimaginable. « 3 milliards de vertébrés et 60 milliards d’invertébrés ont péri, asphyxiés ou calcinés. 33 personnes sont mortes et plus de 3 000 maisons ont été détruites, » décompte Darcie Carruthers, chargée de campagne à l’Australian Conservation Foundation.
Le Black Summer (été noir), comme a été baptisé cet été austral particulièrement meurtrier, demeure une plaie béante dans la mémoire des Australiens et la biodiversité locale en porte encore les profonds stigmates.
UN DÉSASTRE À L'IMAGE DE LA GRAVITÉ DE LA CRISE CLIMATIQUE MONDIALE
« Je me souviens encore du stress et de l’angoisse alors que la chaleur se faisait de plus en plus intense et que la fumée recouvrait le ciel de Melbourne, » se remémore-t-elle.
Les feux de brousse ont principalement touché les États du Sud-est de l’Australie. De la Nouvelle-Galles du Sud, à l’État de Victoria, en passant par le territoire de la Capitale australienne, ces différentes régions ont subi de plein fouet les conséquences de deux années consécutives de sécheresses d’une intensité encore jamais enregistrée depuis les débuts des relevés dans les années 1900.
Le bilan est le plus lourd jamais enregistré en Australie. Selon un rapport du WWF, parmi les 3 milliards d’animaux disparus, on compte 2,46 milliards de reptiles, 51 millions d’amphibiens, 180 millions d’oiseaux, et pas moins de 143 millions de mammifères. Plusieurs milliers de koalas sont morts, faisant chuter leur population de 71% dans certaines zones du sud-est. « Ils sont très vulnérables aux feux de brousse, mais aussi aux vagues de chaleur et épisodes de sécheresses qui affectent directement leur accès à l’eau, ainsi qu’à leur principale source de nourriture, l’eucalyptus », fait remarquer Darcie Carruthers.
La disparition de dizaines de milliards d’invertébrés, comme les abeilles, les papillons, les coléoptères et autres pollinisateurs, s’est également avérée catastrophique pour le rétablissement des habitats, car ils constituent les fondations des écosystèmes. « Ce sont les héros méconnus du monde naturel, souvent mal compris et fortement affectés par les catastrophes climatiques extrêmes, reprend-t-elle. Leur disparition a des conséquences en cascade, impactant d'autres animaux comme le ménure superbe (lyrebird), les lézards et les petits mammifères qui dépendent des invertébrés comme source de nourriture. »
Les Blue Mountains, situées au nord-ouest de Sydney, ont perdu 80 % de leur couvert forestier dans les feux de brousse. Avec les millions d’hectares partis en fumée sur l’ensemble de l’île-continent, des quantités phénoménales de substances toxiques, dangereuses pour la vie humaine et la biosphère, ont été libérées dans l’atmosphère. 650 millions à 1,2 milliard de tonnes de dioxyde de carbone ont été recrachées, soit l’équivalent annuel du total des émissions de lignes aériennes commerciales dans le monde. Des études révèlent que, rien que sur cette période, 417 décès et plus 3000 admissions à l'hôpital pour problématiques cardio-vasculaires et respiratoires ont été recensées ; des cas étroitement liés à une exposition à des taux de particules fines 14 fois supérieures à la moyenne historique.
« L’Australie est une terre d’extrêmes, les incendies de forêt, les pluies diluviennes et les cyclones ont façonné ce pays depuis des millénaires. Mais la combustion du charbon et du gaz, ainsi que la déforestation, augmentent la fréquence et l’intensité de ces événements météorologiques extrêmes, » souligne Darcie Carruthers. Selon le rapport du climat de l’Australie 2024, le changement climatique provoque une augmentation des températures de plus en plus rapide. Au niveau national, cette hausse dépasse de 1,46°C la moyenne estimée sur le long terme.
« Depuis El Niño de 1997, les températures en Australie n’ont cessé d’augmenter », intervient Rick McRae, membre du groupe d’experts en feux de brousse de l’Université de Sydney spécialisé en planification de la gestion des incendies et enquêteur sur les incendies criminels. Parallèlement, les océans se sont réchauffés. Selon le même rapport, les températures annuelles de surface de la mer en Australie, comme à échelle mondiale, ont en effet été les plus chaudes jamais enregistrées, avec une augmentation de 0,89°C au-dessus de la moyenne à long terme pour la région australienne.
« Lors du Black Summer, la surface des sols s’est réchauffée, entraînant des incendies. Au cours des trois années suivantes, c’était au tour des océans, phénomène qui a provoqué des inondations, explique Rick McRae. Plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’eau. On a donc observé davantage de tempêtes de grêle et de crues éclair, notamment en Nouvelle-Galles du Sud. » Le rapport 2024 relève une augmentation de 28 % des précipitations par rapport aux moyennes de 1961 à 1990. C’est la huitième année la plus pluvieuse depuis les années 1900.
La cause principale ? Le réchauffement climatique d’origine humaine. « Il a provoqué, au cours de la dernière décennie, des extrêmes sans précédent, qui alimentent la gravité croissante de ces catastrophes dites naturelles », dénonce Darcie Carruthers.
UNE DYNAMIQUE RÉSILIENTE ?
Les feux de brousse ont laissé de larges traînées de cendres. Soixante-dix des espèces menacées à l'échelle nationale ont vu leur habitat réduit de moitié. D'aucuns témoignent d’ailleurs du silence qui s’est mis à régner dans les forêts calcinées, autrefois luxuriantes et parées de mille-et-un sons.
Mais peu de temps après la catastrophe, de fortes pluies sont venues déposer sur ces paysages désolés un voile de réconfort qui a fourni aux sols les ingrédients nécessaires à leur longue convalescence. « Lorsqu’un incendie emporte une parcelle de forêt, certaines espèces repoussent, d'autres se régénèrent à partir de graines, et d'autres encore doivent recoloniser la zone depuis des régions adjacentes, » reprend Rick McRae. Fin 2020, herbes, arbustes et eucalyptus repoussaient déjà dans les zones touchées.
Certaines espèces végétales sont en effet étonnamment bien adaptées aux incendies : l'eucalyptus par exemple utilise le feu pour se débarrasser de ses concurrents et favoriser la libération de ses graines. Dans certaines zones, la densité de repousse observée pour cette espèce est phénoménale ; allant jusqu’à 20 000 arbres par hectares, seulement deux ans après le black summer. D’autres espèces, équipées de structures souterraines, ou d’épaisses écorces, sont également parvenues à résister à l’épreuve des flammes.
« Des relevés récents effectués dans les régions alpines du Parc national de Kosciuszko, en Nouvelle-Galles du Sud, ont apporté de bonnes nouvelles très attendues pour le plus mignon et seul marsupial hibernant d’Australie : le phascogale pygmée des montagnes (Mountain Pygmy-possum), une espèce en danger, » se réjouit Darcie Carruthers. Les résultats indiquent que la population de ce petit animal gravement affecté par le changement climatique, est revenue à des niveaux moyens. « De nombreuses femelles ont été trouvées en très bonne santé, et portant jusqu’à quatre petits. »
« Des agents des parcs nationaux et des élèves d’écoles primaires locales ont contribué à la surveillance de ces animaux et à la distribution dans leur habitat, de biscuits Bogong spécialement formulés afin de leur apporter des compléments nutritifs durant leur phase de récupération, » poursuit-elle. De nombreuses initiatives ont ainsi permis d’observer des signes encourageants de récupération de la biodiversité.
Le projet Eyes on Recovery, porté par WWF, a par exemple utilisé plus de 1 100 caméras, couplé à une analyse par intelligence artificielle afin de surveiller 150 espèces animales. On observe ainsi que de nombreuses espèces comme le Dunnart de Kangaroo Island, les wallabies à queue en brosse et les koalas s’en retournent progressivement à leurs habitats.
Entre levées de fonds d’urgence pour le secourisme des animaux sauvages, dispersions par drones de graines enrobées de nutriments pour favoriser le reboisement, installation de nichoirs et tanières artificielles, nombreuses sont les initiatives qui ont contribué à la régénération de la biodiversité.
Cependant, « la question relève peut-être moins de la résilience que du changement et de l’adaptation, met en garde Rick McRae. Certaines espèces pourraient s'éteindre en raison de la disparition de leur habitat dans le nouvel ordre écologique. »

Face à l’urgence climatique, la biodiversité locale, largement endémique avec ces quelque 80 % d’espèces de mammifères uniques au monde, est plus vulnérable que jamais. En 200 ans, une centaine d’espèces ont disparu du territoire australien. Et le rythme s’accélère. En 2024, le gouvernement local annonçait que 144 espèces se trouvaient en danger critique d’extinction.
Les données montrent qu’au cours du Black Summer, les forêts ont littéralement transpiré afin de réguler les températures et l’humidité, réduisant ainsi le risque d’incendies. Mais passé un certain stade, ce mécanisme ne fonctionne plus, et les conséquences deviennent catastrophiques. « Rien qu’au niveau de la côte sud, nous avons dépassé de 700 % le niveau d’activité des incendies mesuré sur les vingts années précédentes, explique Rick McRae. Or, si plusieurs catastrophes extrêmes se produisent, les stratégies de recolonisation des plantes finissent par s'épuiser. »
Essentielles dans la régulation des risques d’incendies, mais également remparts face au changement climatique à l’échelle mondiale, « les forêts australiennes retiennent près de 20 000 milliards de tonnes de carbone, dont 98,9 % sont stockées dans les forêts natives », ajoute Darcie Carruthers. « Lorsqu’elles sont détruites, dégradées ou fragmentées, comme c'est le cas à proximité des zones industrielles, les températures à la surface augmentent, les précipitations diminuent et le risque de sécheresse dans cette zone s’accentue. »
Rick McRae soutient que les stratégies traditionnelles de lutte contre les feux ne sont plus adaptées à cette nouvelle génération d'incendies. Le recours à des analyses satellites de pointe apparaît ici comme un terrain d’avenir dans la prévention des méga feux. « Les images obtenues par les satellites Terra et Aqua, lancés dans les années 2000 par la Nasa, sont analysées par un algorithme qui évalue la probabilité que la signature infrarouge de n’importe quel pixel de l’image, puisse être due à un incendie » précise Rick McRae. La mise en place de caméras et l’utilisation de plus en plus fréquente de l’intelligence artificielle apporte des compléments d’informations précieux qui permettent aux scientifiques de développer des modèles pour prévoir les conséquences futures du changement climatique. Malheureusement, les observations montrent que la situation évolue à un rythme bien plus rapide qu’escompté, » relève le scientifique.
Les activités de déboisement contribuent aux hausses des taux de carbone atmosphériques et font grimper en flèche les risques d’incendies. Or le 30 mars 2020, le gouvernement a renouvelé pour les dix prochaines années des accords forestiers régionaux (RFA) dans l’État du Victoria qui ont permis pendant deux décennies l’exploitation de milliers d’hectares de forêts. Nombreux sont les organismes de protection de l’environnement qui dénoncent une inaction climatique, notamment en 2022, alors que le gouvernement d’Anthony Albanese autorisait l’exploitation d’une dizaine de mines de charbon dans le pays et que plus de 25 000 hectares d'habitats naturels d’espèces menacées étaient détruits.
« L’Australie est l’un des dix-sept pays les plus riches en biodiversité au monde. C’est une responsabilité immense, interpelle Darcie Carruthers. Nous pouvons encore éviter le pire, et pour cela, nous demandons l’arrêt de tous les nouveaux projets liés au charbon et au gaz. Nous avons fait des progrès encourageants dans le développement des énergies renouvelables, mais sans action immédiate, pour mettre fin aux nouveaux projets fossiles, nous continuerons de voir des cyclones, des incendies de forêt et des inondations ravager nos communautés, nos exploitations agricoles et nos écosystèmes. Les Australiens viennent d’accorder une large victoire électorale au Premier ministre Anthony Albanese, et attendent de lui qu’il mette en place de nouvelles lois nationales pour accélérer la transition énergétique, et protéger ce patrimoine naturel qui fait la fierté nationale. »
