La fonte des glaciers himalayens menace des millions de personnes

Plus de 200 scientifiques ont travaillé à la rédaction d'un rapport qui prévoit une augmentation des températures dans les régions montagneuses d’Asie.

De Alejandra Borunda
Les glaciers de l’Himalaya, comme celui-ci situé le long du chemin de randonnée Amarnath au Cachemire, ...
Les glaciers de l’Himalaya, comme celui-ci situé le long du chemin de randonnée Amarnath au Cachemire, fondent à mesure que les températures en haute montagne augmentent.
PHOTOGRAPHIE DE Sanjit Das, Panos Pictures, Redux

Les pics et les vallées des chaînes montagneuses de l’Hindou Kouch et de l’Himalaya comptent parmi les zones les plus inaccessibles et reculées au monde. Mais d’après les auteurs d’un nouveau rapport très complet sur cette vaste région, même les vallées les plus isolées sont affectées par le changement climatique. Les conséquences de ce dernier compliquent déjà la vie des 240 millions d’individus qui vivent parmi ses roches escarpées et ses pics et vont sans doute faire boule de neige dans le futur, avertissent les auteurs.

Dans la région montagneuse, qui s’étend de l’Afghanistan à l’Ouest jusqu’à la Birmanie à l’Est, la température de l’air a augmenté d’environ 1,1 °C depuis le début du 20e siècle. Les basses températures ont elles connues une hausse plus conséquente que dans le reste du monde. Conséquences : les glaciers reculent, le permafrost fond et les conditions météorologiques deviennent plus imprévisibles, perturbant les ressources en eau autrefois fiables dont dépendent des millions d’habitants et causant plus de catastrophes naturelles.

« Les montagnes comptent et il est temps que nous commencions à leur prêter attention », déclare Phillipus Wester, scientifique en chef au Centre international pour le développement intégré des montagnes (ICIMOD) de Katmandou et l’un des auteurs du rapport, qui a rassemblé plus de 200 scientifiques et analystes.

Sans intervention internationale immédiate pour freiner la future hausse des températures et sans effort d’adaptation de la part des pays traversés par la chaîne montagneuse, le changement climatique pourrait faire basculer la région dans une situation dont il sera difficile, voire impossible, selon l'étude, de se relever.

 

UNE RÉGION TRÈS SENSIBLE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

L’Hindou Kouch et l’Himalaya concentrent des centaines de montagnes parmi les plus iconiques au monde ; détiennent plus de 77 000 km² de glace de glacier, plus que n’importe où dans le monde à l’exception des pôles ; et comptent plus de 240 millions d’habitants dans leurs pics et vallées. Les fleuves comme l’Indus, le Gange et Brahmapoutre, qui fournissent en eau des milliards d’individus vivant dans les plaines situées en aval, prennent également leur source dans ces chaînes montagneuses.

Les hauts sommets ressentent déjà les effets du changement climatique, plus fortement qu’ailleurs dans le monde, bien que les scientifiques ignorent pourquoi.

« Même si le réchauffement climatique se limite à 1,5 °C d’ici la fin du siècle, et ce serait un miracle si tel était le cas, les températures vont sans doute augmenter encore plus dans les hauts sommets », explique Arun Shrestha, l’un des auteurs principaux du chapitre sur le changement climatique du rapport et climatologue à l’ICIMOD. La hausse des températures atteindra 1,6 °C d’ici 2050, soit « un réchauffement assez important », dit-il.

Certaines parties de la région, comme le Plateau tibétain et la plupart du flanc Nord-Ouest de la chaîne montagneuse, notamment le Karakoram, sont encore plus sensibles : si l’objectif d’un réchauffement climatique limité à 1,5 °C est respecté, comme suggéré par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à l’automne dernier, ces pics immaculés pourraient connaître une hausse des températures de plus de 2 °C.

Et sans actions mondiales coordonnées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ces chiffres pourraient augmenter encore plus. D’après les auteurs du rapport, si nous ne réduisons pas nos émissions actuelles, les températures pourraient croître de plus de 3 °C d’ici la fin du siècle en haute montagne, voire dépasser les 5 °C si le niveau des émissions continue de grimper.

Ainsi, les agriculteurs qui font pousser des pommes ou des céréales sur les flancs de montagne escarpés doivent déplacer leurs vergers vers le haut, en quête des nuits et des saisons froides dont ont besoin leurs cultures. Avec l’évolution du niveau des précipitations, qu’il s’agisse de neige ou de pluie, d’autres sont confrontés à l’assèchement des ruisseaux et des sources d’eau dont ils dépendaient autrefois, ou bien sous la menace d’inondations désastreuses.

Les quantités d’eau et de neige tombées ont déjà été affectées par le réchauffement climatique. Dans les hauts sommets le long de la partie Est de la région, la neige tombe principalement l’été, lorsque la forte mousson s’abat sur les montagnes. Mais ces dernières décennies, la mousson s’est affaiblie. Les montagnes manquent de neige, qui alimente les glaciers et offre une ressource en eau essentielle à de nombreux agriculteurs lorsqu’elle fond lentement au printemps, juste au moment où ils en ont besoin pour planter leurs cultures. À l’avenir, la mousson devrait continuer de faiblir, perturbant un peu plus encore les importantes ressources en eau dont dépendent les agriculteurs.

« Nous devons nous attendre à cela avec le changement climatique ; les phénomènes météorologiques seront plus variables », explique Nina Bergan Holmelin, chercheuse au Centre de recherche international sur le climat et l’environnement en Norvège qui étudie les agriculteurs et les communautés vivant dans la région. « Le timing est également important. C’est bien plus difficile de faire face à des sécheresses, des inondations et de fortes pluies et puis plus rien pendant une longue période. »

 

UNE HAUSSE DES RISQUES DE CATASTROPHES NATURELLES INÉVITABLE

Dans le même temps, les études compilées dans le rapport précisent que de nombreux glaciers de la région ont reculé de 20 à 47 % depuis l’an 2000, en particulier sur le Plateau tibétain et la partie Est de la chaîne montagneuse, comme au Khumbu et dans la zone centrale de l’Himalaya où s’élèvent quelques-unes des montagnes les plus connues au monde. « Si nous ne faisons rien, 50 % de leur volume aura fondu d’ici la fin du siècle », déclare Joseph Shea, l’un des auteurs principaux du chapitre sur l’évolution des glaciers de la région du rapport et glaciologue à l’université Northern British Columbia, au Canada.

La fonte des glaciers et de la neige alimente les cours d’eau, assurant leur débit. Pour l’Indus, dont 40 % de l’eau provient de la fonte de glaciers, cela signifie que sur le court terme, un volume d’eau plus important descendra des hauts sommets.

À mesure que les glaciers deviendront plus petits, la quantité d’eau qui rejoindra les fleuves comme l’Indus va sans doute diminuer, souligne Michele Koppes, climatologue à l’université de la Colombie-Britannique à Vancouver qui n’a pas pris part au rapport. « Les glaciers et le manteau neigeux sont en quelque sorte de grands réservoirs d’eau », explique-t-elle. Cette eau est lentement libérée au fil des saisons, des décennies, voire même des siècles, à mesure que ces glaciers et ce manteau neigeux fondent. Mais le changement climatique provoque une fonte plus rapide qu’à l’accoutumée ; il « puise dans les réservoirs », décrit la glaciologue, rendant vulnérables les communautés et les systèmes écologiques qui dépendent de cette eau.

Les changements qui affectent les glaciers ont également une autre conséquence, ajoute Sudeep Thakuri, glaciologue à l’université Tribhuvan de Katmandou qui n’a pas pris part à la rédaction du rapport. Plus la fonte est importante, plus les lacs situés au sommet des glaciers ou au niveau de leur front glaciaire sont nombreux. Avec ses collègues, Sudeep Thakuri a découvert que depuis 1977, le nombre de lacs glaciaires dans la partie népalaise de l’Himalaya a plus que doublé.

Mais ces lacs grandissent souvent si vite et retiennent tellement d’eau qu’ils peuvent, et ont, fait céder les roches qui les contenaient, provoquant des inondations soudaines dévastatrices.

De plus, avec la fonte du gel qui figeait les pentes escarpées, les chutes de pierres, les avalanches et les glissements de terrain sont devenus plus fréquents.

Le rapport indique que depuis les années 1980, les conditions climatiques changeantes ont causé une augmentation des risques de catastrophes dans la région, qui s’intensifiera dans le futur.

 

IL EST TEMPS D'AGIR

Dans de nombreux cas, la science rattrape toujours son retard sur le vécu des millions de personnes vivant dans les montagnes. En 2007, un rapport d’évaluation international du GIEC a mis l’accent sur le manque de connaissances scientifiques relatives à la façon dont les conséquences du changement climatique affectaient déjà et continueraient d’affecter cette vaste région iconique et essentielle. Dans un premier temps, le panel d’experts a suggéré que les glaciers de cette partie du monde disparaîtraient totalement d’ici 2035. Les glaciologues familiers avec la région n’étaient pas de cet avis : ils savaient que la situation était bien plus complexe. Mais « il était clair que nous n’avions pas assez de recherches scientifiques solides pour dire ce qui était possible », précise Arun Shrestha. « Bien sûr, nous savions qu’ils rétrécissaient, mais nous ne savions pas à quel point. »

Le défi lancé, les scientifiques du monde entier se sont attaqués à l’épineux problème. La plupart des glaciers de la région sont situés dans des vallées reculées ou des montagnes difficiles d’accès, des zones complexes qui rendaient particulièrement délicats pour les scientifiques de déterminer l’évolution des glaciers à partir des images satellites. Les chercheurs ont eu du mal à trouver des données fiables dans l’ensemble de la chaîne montagneuse.

Désormais, un ensemble cohérent a pris forme. Il révèle une région qui fera face à d’énormes défis dans les prochaines années, confie Phillipus Wester. La région, ses millions d’habitants et ses importantes ressources pour les communautés en aval, n’ont pas obtenu l’attention internationale qu’ils méritaient, a-t-il déclaré.

« Nous en savons désormais assez pour agir », poursuit-il. « Nous ne pouvons plus nous cacher derrière l’excuse que nous n’avons pas de données, que des études supplémentaires sont nécessaires. Aujourd’hui, nous avons 650 pages d’évaluation. Pendant trois ans, 210 personnes ont travaillé ensemble pour étudier attentivement le sujet. Nous savons que cela va être difficile et nous en savons suffisamment pour prendre des mesures. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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