Le changement climatique est bien responsable de l'agonie des ours polaires

Une nouvelle étude met en évidence les effets du changement climatique sur les populations de prédateurs du Grand Nord.

De Stephen Leahy
La lente agonie d'un ours polaire dans une vidéo déchirante

Des millions d'internautes ont vu la vidéo de cet ours polaire décharné, usant de ses dernières forces pour trouver de la nourriture. Les photographes Paul Nicklen et Cristina Mittermeier qui travaillent pour l'association à but non lucratif Sea Legacy et National Geographic, ont partagé avec le monde ces images très dures au début du mois de décembre 2017. En quelques heures à peine, le débat était lancé sur ce que l'on savait ou ne savait pas vraiment, sur le véritable impact du changement climatique sur les populations d'ours polaires. Sans analyser les restes de l'animal, que l'on suppose être mort peu après la publication de cette vidéo, il est impossible d'être certains des causes de la mort de cet animal. Toutefois les scientifiques viennent de publier de nouvelles études sur les menaces pesant sur ces espèces du Grand Nord.

À cause de la fonte des glaces, il est probable que de plus en plus d'ours polaires mourront de fin, comme le souligne cette nouvelle étude selon laquelle les carnivores doivent manger 60 % de plus que ce que l'on pensait précédemment. Ces grands prédateurs ont besoin de plus de 12 325 calories par jour pour être en bonne santé. C'est ce que révèle l'analyse du métabolisme unique des ours sauvages publiée jeudi 1er février dans le journal Science.

« Notre étude révèle que les ours polaires sont particulièrement dépendants des populations de phoques, » indique l'auteur principal de l'étude Anthony Pagano, un biologiste travaillant à Institut d'études géologiques des États-Unis.

Les ours polaires ont un régime alimentaire quasi exclusivement fait de phoques. Pour minimiser leurs dépenses énergétiques attendent des heures près des trous par lesquels les phoques sortent de l'eau. Quand un phoque apparaît à la surface, l'ours se dresse sur ses pattes arrière et retombe pour briser la glace et saisir le phoque. Puis l'ours mord le phoque à la gorge et le traîne sur la banquise.

« C'est la méthode de chasse la plus efficace, » explique Anthony Pagano. C'est pourquoi la fonte des glace est si problématique pour les ours.

 

LA GLACE FOND, LES OURS SONT AFFAMÉS

Le changement climatique affecte l'Arctique plus durement que n'importe quelle autre région sur Terre, et la surface de la banquise se réduit de 14 % par décennie. Même en ce moment, au cœur de l'hiver arctique, les satellites montrent qu'entre 1981 et 2010, la banquise s'est réduite de 1 994 000 km². Au printemps, la banquise fond plus tôt qu'auparavant pour ne se reformer que plus tard dans l'année, forçant les ours à nager sur de longues distances pour trouver des pans de banquise. S'ils ne nagent pas, ils gagnent les terres et vivent sur leurs réserves de graisse faites en hiver ou au début du printemps.

L'étude de Pagano a eu pour sujets neuf ours femelles dans la mer de Beaufort au nord des côtes de l'Alaska en avril 2017, période à laquelle de nombreuses populations de phoques peuplent normalement la région. Des colliers GPS ont été installés sur les cous des ours. Équipés de caméras, ils ont pu enregistrer leurs moindres mouvements. Des échantillons de sang et d'urine ont également été prélevés. Huit à onze jours plus tard les ours ont à nouveau été capturé. Un ours avait parcouru 250 kilomètres en quelques jours. Les données ont été récoltées et les échantillons prélevés.

Les données montrent que les ours étaient actifs environ 35 % du temps et avaient puisé dans leurs réserves de graisses les 12 325 calories journalières dont ils ont besoin. C'est 60 % de plus que ce que les précédentes études estimaient nécessaire à la survie de l'animal. Les vidéos révèlent que quatre des femelles n'ont pas été capables de tuer un seul phoque. Ces spécimens avaient perdu 10 % de leur masse corporelle en seulement une dizaine de jours.

Un des ours étudiés a perdu près de 20 kg sur cette même période. Cet ours avait même plongé dans la mer pour tenter, en vain, d'attraper un phoque qui nageait près de là. « C'est inhabituel, elle devait être vraiment désespérée, » nous confie Anthony Pagano.

« C'est une étude solide et importante, » estime Steven Amstrup, scientifiques auprès de Polar Bears International, une organisation de conservation qui n'a pas pris part à l'étude. « Elle montre que les ours polaires sont un peu comme de gros chats - des lions ou des tigres plutôt - des prédateurs carnivores au métabolisme élevé. »

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    Un ours polaire examine avec attention un piège photographique à Svalbard, en Norvège.
    PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, National Geographic Creative

    Chasseurs solitaires, les ours sont plus semblables aux tigres, mais sont plus lourds que ces derniers, leur poids pouvant atteindre 500 kg. Et ils sont plus vulnérables que les tigres en ce sens que leur alimentation dépend quasi-totalement d'une seule et même espèce.

     

    UN EFFET PLUS IMPORTANT QUE CE QUE L'ON PENSAIT ?

    Si ces résultats d'analyse sont valides, cela prouve que le recul de la banquise et la rapide fonte des glaces a un effet plus important sur les populations d'ours que ce que l'on pensait, comme nous l'explique Steven Amstrup. L'étude publiée par Amstrup en 2010 prévoyait que le déclin continu de la banquise condamnerait les deux tiers de la population d'ours polaires, qui passerait à 10 000 individus avant 2050.

    À ce jour, les estimations les plus hautes comptent 20 000 à 30 000 ours polaires dans 19 groupes de populations différents répartis au nord des États-Unis, au Canada, au Groenland, en Norvège et en Russie. Quatre de ces populations sont considérées comme étant en déclin. Les ours de la mer de Beaufort font partie des plus étudiés ; leur nombre a baissé de 40 % au cours des 10 dernières années. Cinq populations sont considérées comme stables et les autres sont trop peu étudiées pour juger de leur sort.

    Les ours polaires sont des espèces jugées comme vulnérables par l'Union internationale pour la conservation de la nature précisément parce que leur habitat naturel est menacé par le changement climatique.

     

    LES OURS NE SONT PAS DE GRANDS MARCHEURS

    Même s'il ne s'agit là que d'une étude menée sur une période courte - 10 jours - elle confirme que les ours ne sont pas de grands marcheurs, comme nous l'explique Andrew Derocher, expert des ours polaires et professeur à l'université d'Alberta. Ils ne sont pas très rapides mais grâce à leur régime hyper-calorique fait de phoques, ils peuvent errer sur plus de 245 000 km² à la recherche de nourriture.

    Les ours peuvent perdre très rapidement de la masse mais la regagner tout aussi vite s'ils parviennent à tuer des phoques. « J'ai vu des mâles de 500 kg avaler 100 kg de viande de phoque en un repas, » se rappelle Andrew Derocher.

    Plus les ours marchent à la recherche de nourriture, plus ils puisent dans leurs réserves et plus ils s'affaiblissent. Leurs muscles fondent, ce qui réduit considérablement leurs chances de succès, et le cercle vicieux se met en place. Les ours se dépensent par ailleurs beaucoup plus en nageant à mesure que la banquise fond.

    Même s'ils sont capables de nager sur de longues distances, les ours polaires brûlent plus de calories en le faisant qu'en marchant, comme une autre étude publiée dans Polar Biology l'a récemment démontré.

    « Comme la banquise fond de plus en plus tôt, les ours polaires sont forcés de nager de plus en plus pour trouver des phoques, » indique l'auteur de cette étude, Blaine Griffen, biologiste au BYU. Une femelle que Blaine Griffen a étudié avait nagé plus de 685 km en 9 jours. Elle avait perdu 22 % de sa masse corporelle et, pis encore, avait perdu son petit qui avait commencé le voyage avec elle. 

    Des périodes de nage prolongées peuvent réduire les taux de reproduction, conduire à la naissance de spécimens plus petits, et même augmenter le risque de mort précoce comme cela a déjà été observé dans la Baie d'Hudson et au sud de la mer de Beaufort.

    Il ne fait aucun doute que le déclin de la banquise a un effet dévastateur sur les populations d'ours polaires, qui meurent de faim. « Je ne sais pas si ce malheureux ours que l'on voit dans la vidéo mourrait effectivement de faim, » conclue Amstrup, « mais ce que je sais c'est que la seule solution pour assurer la survie des ours polaires est de lutter contre le changement climatique. »

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