L'hiver alpin menacé par le réchauffement climatique

Dans les Alpes, l'économie et la culture sont inséparables des hivers enneigés. Il est devenu urgent aujourd'hui de préserver la neige et la glace menacées par le réchauffement.

De Denise Hruby, National Geographic
Photographies de Ciril Jazbec
Publication 4 mars 2022, 10:58 CET
À Davos, en Suisse, à la fin du mois d’octobre, un skieur s’adonne au ski de fond ...

À Davos, en Suisse, à la fin du mois d’octobre, un skieur s’adonne au ski de fond sur une piste de neige artificielle. Produite l’hiver précédent, cette neige a été stockée tout l’été dans un monticule de 7 m de haut, sous une couche de sciure de 40 cm d’épaisseur.

PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

Entourée d'éperons rocheux si haut qu'ils déchirent les nuages, la dameuse recule au-dessus d’un monticule de neige compactée de 13 m de haut. À son sommet, six ouvriers assemblent des panneaux de tissu à l’aide d’une machine à coudre portative. Nous sommes à Kitzsteinhorn, en Autriche, l’un des domaines skiables les plus élevés et les plus froids des Alpes. En ce mois de juin, l’eau de fonte ruisselle sur les flancs de la montagne. Mais là-haut, sur le glacier, l’équipe d’entretien des pistes prépare la prochaine saison.

Même à 3 000 m d’altitude, compter sur de la neige naturelle est hasardeux. Aussi l’équipe dirigée par Günther Brennsteiner, le responsable technique, a-t-elle pris les devants. Elle a passé un mois à accumuler la dernière neige de cette saison pour élever huit monticules hauts de plusieurs étages. Ils vont maintenant passer un mois à recouvrir ces monticules avec du tissu, afin de les isoler pour l’été. Quand la nouvelle saison commencera, s’il fait trop chaud pour neiger ou pour fabriquer de la neige artificielle, les camions et les dameuses répandront de la vieille neige sur les pistes.

Ça n’a pas été simple de trouver un moyen de stocker la neige à cette échelle, explique Hannes Posch, l’un des ouvriers. Avant que l’équipe ne commence à assembler les panneaux, il arrivait que le vent les déchire, laissant les buttes à l’air libre. Parfois, la toile gelait dans la neige. « Tout ce qui risquait de mal tourner a mal tourné », résume Hannes Posch en fixant un sac de sable à la toile. Un jour, à Kitzbühel, la station voisine, un dépôt de neige recouvert d’une bâche textile a pris feu à cause de la foudre ; trente pompiers ont lutté des heures contre les flammes. C’est dire à quel point la neige est devenue précieuse.

« Avec le réchauffement climatique, tout a changé », lâche Günther Brennsteiner. Il a commencé à travailler au Kitzsteinhorn il y a trente et un ans, à une époque qui apparaît aujourd’hui comme les années de gloire du ski alpin.

Car les hivers alpestres sont en train de mourir. Depuis le XIXe siècle, les températures moyennes dans les Alpes ont augmenté de 2° C – soit à peu près deux fois plus que la moyenne mondiale. La neige arrive plus tard dans la saison et fond plus tôt. En analysant les données de plus de 2 000 stations météo, les spécialistes estiment que l’ensemble du massif des Alpes a perdu près d’un mois de couverture neigeuse. Avec des conséquences dramatiques pour bon nombre des 14 millions de personnes vivant dans l’une des chaînes de montagnes les plus peuplées du monde. Ici, l’économie dépend de la neige et des 120 millions de touristes qu’elle attire chaque année.

En plus de travailler au Kitzsteinhorn, Günther Brennsteiner est maire de Niedernsill, un village de 2 800 habitants situé au pied de la montagne. Il explique que, dans le village, quasiment toutes les familles dépendent de l’hiver. Sans neige, Niedernsill pourrait ne plus compter qu’un millier d’habitants.

L’été, à Diavolezza, en Suisse, la neige est couverte de tissu pour éviter qu’elle fonde. Compter sur la neige naturelle est devenu si aléatoire que l’industrie du ski dépend désormais de sa fabrication et de son stockage.

PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

Pour répondre aux difficultés, les habitants des Alpes font des efforts considérables. On estime que 100 000 canons à neige alimentent aujourd’hui l’industrie du ski alpin. En plus des dépôts de neige comme celui du Kitzsteinhorn, des habitants désespérés emmaillotent la glace sur certains des quelque 4000 glaciers des Alpes, pour tenter de retarder la fonte due au réchauffement de la planète. Des scientifiques suisses espèrent même sauver un glacier en l’arrosant d’une couche de neige artificielle.

Certaines de ces méthodes sont ingénieuses et séduisantes ; d’autres sont discutables, sur le plan environnemental et économique. Mais toutes sont motivées par une profonde appréhension : sans l’hiver, quelles seront nos vies, ici ?

Comme Günther Brennsteiner et le photographe Ciril Jazbec, j’ai eu la chance de grandir dans les Alpes à une époque où la neige était abondante. Je me souviens de l’excitation que j’éprouvais à laisser mes petites empreintes dans la première neige de la saison ; je me rappelle la couleur des joues de mon père lorsqu’il dégageait la maison à la pelle, toujours et encore. Je n’avais pas 3 ans quand j’ai chaussé mes premiers skis.

Il s’avère que cette période n’a été qu’une parenthèse historique. Ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que les hivers froids et enneigés sont devenus une bénédiction pour les Alpes. Jusqu’alors, ils étaient un lourd fardeau, attribué dans le folklore à de vilains démons. Ma génération est l’une des dernières à avoir entendu les récits locaux de la lutte pour la survie, à l’époque où l’économie était essentiellement agricole. La neige recouvrait de minuscules parcelles de terre pendant des mois. Les avalanches dévalaient les flancs des montagnes, enterrant des villages. L’un des neuf frères et sœurs de ma grand-mère, Walter, est mort dans l’une d’elles. Il avait 24 ans.

Quand la nourriture se faisait rare – et c’était souvent le cas – les enfants des coins les plus pauvres des Alpes se rendaient sur les marchés de plaine et proposaient leurs services comme travailleurs agricoles, généralement de mars à octobre. « Un marché aux esclaves à peine dissimulé», écrivait en 1908 le Times-Star de Cincinnati, dans un reportage à Friedrichshafen, dans le sud de l’Allemagne. Le journal rapportait que jusqu’à 400 garçons et filles – certains âgés d’à peine 6 ans – étaient prêts à être monnayés « comme du vulgaire bétail ».

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    Là où les touristes marchent aujourd’hui sur un pont suspendu, à une centaine de mètres au-dessus d’un torrent d’eau de fonte, se trouvait la langue du glacier de Trift, en Suisse. Le lac n’existait pas avant le XXIe siècle ; le pont a été construit en 2004.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Après la Seconde Guerre mondiale, un boom économique a créé une classe moyenne prospère dans toute l’Europe, mais, dans un premier temps, pas dans les zones de haute altitude. Les flancs abrupts des montagnes empêchaient les fermes de s’agrandir ou de déployer les machines modernes qui ont permis à d’autres de prospérer, explique Johann Wolf, né à Ischgl, un village isolé d’Autriche, en 1929, pendant l’hiver le plus froid jamais enregistré.

    Pour lui comme pour les autres villageois, le tourisme hivernal était le seul à pouvoir les sauver. En désespoir de cause, ils ont vendu leur bêtes et mis en gage leurs terres contre des prêts pour investir dans un téléphérique. Ischgl risquait de tout perdre, mais le pari a été gagnant. En 1963, le téléphérique a commencé à attirer les touristes dans les montagnes et à sortir les habitants de la pauvreté. Cette transition a eu lieu partout dans les Alpes. Aujourd’hui, un hôtel quatre étoiles se dresse sur la ferme vieille de 400 ans où Johann Wolf est né. Autour, des chalets de luxe avec jacuzzi, des restaurants ; la vie nocturne y est animée, Rihanna, Pink et Lenny Kravitz s’y sont produits en concert.

    De nombreux habitants se considèrent toujours comme des agriculteurs réalistes, aimant leur vallée. Hannes, le fils de Johann Wolf, et Christoph, son petit-fils de 26 ans, me présentent leurs bêtes : Hermann, Kathi, Gitta et Lilly mastiquent du foin odorant sur l’un des biens immobiliers les plus chers des Alpes. La famille ne penserait jamais à se débarrasser d’eux. « C’est un héritage et un devoir », assure Johann Wolf.

    Pourtant, l’agriculture ne suffit plus pour vivre. « Sans l’hiver, ces vallées seraient complètement vides, abandonnées », admet Hannes Wolf. En 2020, Ischgl en a eu un avant-goût effrayant, quand le village est devenu l’un des premiers clusters de Covid-19. La fuite des touristes a contribué à la propagation du virus dans toute l’Europe. La pandémie a mis un terme à la saison de ski dans les Alpes. Mais le changement climatique est une menace plus grave encore.

    Depuis le XIXe siècle, les quelque 4 000 glaciers des Alpes ont perdu les deux tiers de leur glace en raison du réchauffement climatique. En Suisse orientale, la géophysicienne Christine Seupel, l’ingénieur Dieter Müller et le glaciologue Andri Moll mesurent l’épaisseur du glacier Pers, avec un radar à pénétration de sol.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Un réchauffement d'un ou deux degrés, cela peut sembler insignifiant, mais c’est pourtant ce qui détermine si les précipitations tomberont sous forme de neige ou de pluie. C’est aussi la raison pour laquelle les Alpes sont dans une situation aussi problématique, note Yves Lejeune, chercheur et responsable de l’observatoire météorologique du col de Porte (1 325 m), dans le massif de la Chartreuse, près de Grenoble.

    Pour se rendre au travail, il traverse Le Sappey- en-Chartreuse, un village avec une église au centre et des pistes de ski à flanc de montagne. C’est là qu’il a appris à skier, à 5 ans. Or le village se situe à faible altitude – environ 1 000 m. « Là, c’est fini, lâche le chercheur. Il reste peut-être encore une ou deux bonnes années, mais pas plus.» Il montre un graphique qui compare l’épaisseur de neige au col de Porte sur les trente dernières années avec les chiffres de l’an dernier. La ligne plonge, révélant une diminution de 37,7 cm de la couverture neigeuse moyenne. « C’est beaucoup, dit-il. Vraiment beaucoup. »

    Le réchauffement a maintenant atteint des altitudes plus élevées. « Si quelqu’un m’avait dit que nous aurions un jour besoin de canons à neige, je l’aurais traité de fou », raconte Peter Leo, nivoculteur responsable de la maintenance au Kitzsteinhorn. Aujourd’hui, ajoute-t-il, « nous ne pourrions pas vivre sans ces machines ».

    Impossible de s’en passer aussi pour la plupart des 1 100 exploitants de remontées mécaniques des Alpes. Une grande partie de la neige des domaines skiables est désormais fabriquée artificiellement. Sur le Kitzsteinhorn, 104 canons à neige couleur herbe sont placés stratégiquement autour des pistes. Quand Peter Leo en met une en marche, il est difficile de l’entendre. Sur l’anneau extérieur du canon, des buses pulvérisent des microgouttelettes d’eau dans l’air (à température négative), puis un énorme ventilateur – « assez puissant pour vous aspirer », crie-t-il – les souffle vers le ciel. En retombant, l’eau se transforme en cristaux de glace qui, en s’agglomérant, forment ensuite des flocons de neige.

    Face à un glacier comme le Kitzsteinhorn, on a du mal à comprendre comment de minuscules flocons ont pu former une telle masse de glace.

    Cela a pris des siècles, le poids de chaque couche de neige fraîche exerçant une pression sur les couches inférieures, jusqu’à ce que la neige devienne glace et s’affaisse sous son propre poids. La neige s’accumule en hiver; l’été, la neige et la glace fondent, surtout à basse altitude. Lorsque le gain hivernal dépasse la perte estivale, le glacier avance dans la vallée; et, quand l’été triomphe, le glacier recule. Depuis la fin du XIXe siècle, les glaciers des Alpes ont reculé de façon quasi continuelle.

    Une bâche protège du soleil la pointe du glacier du Rhône, en Suisse. La grotte qui y est creusée chaque été attire les touristes depuis 1870. La bâche de 50 ha préserve suffisamment de glace pour abriter la grotte.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Pour inverser la tendance, Felix Keller, un glaciologue suisse, a eu une idée. Il a grandi dans un village à côté de Saint-Moritz, berceau du tourisme hivernal dans les Alpes. C’est là que je l’ai rencontré l’an dernier. Il m’a amenée à l’hôtel Morteratsch tout proche, où il m’a montré une photographie en noir et blanc de Guillaume de Prusse, prise en 1919. Le dernier prince héritier d’Allemagne et son entourage se tenaient radieux sur le glacier Morteratsch, qui se trouvait à l’époque juste à côté de l’hôtel. Une épaisse couche de glace recouvrait toute la vallée.

    Avec le glaciologue, nous nous sommes rendus à cet endroit précis. Au cours du siècle qui a suivi la visite du prince héritier, les mélèzes et les pins ont pris le dessus ; à la fin de l’été, les habitants s’y rendent pour aller y ramasser des champignons et des airelles. Désormais hors de vue, le glacier Morteratsch s’est retiré à plus de 1,5 km de la vallée.

    Depuis 1850, les glaciers des Alpes ont perdu deux tiers de leur volume. Et la fonte s’accélère. « Si nous n’agissons pas, ils vont tous disparaître, alerte Matthias Huss, glaciologue à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Par « agir », le scientifique entend réduire de façon drastique les émissions de carbone à l’origine du réchauffement climatique.

    Felix Keller a eu sa fameuse idée un jour d’été, en 2015, alors qu’il était en train de pêcher dans un lac alimenté par les eaux de fonte du Morteratsch. La farine glaciaire (particules de roche) rendait l’eau trouble et rien ne mordait. C’est alors qu’il s’est dit: ne pourrait-on pas conserver en altitude une partie de cette eau de fonte pour la transformer ensuite en glace ?

    Le glaciologue Hans Oerlemans, un ami et collègue de Felix Keller qui étudie le Morteratsch depuis 1994, a ajouté un élément essentiel : l’eau de fonte devrait être convertie en neige fraîche, qui reflète 99 % de la lumière du soleil et pourrait protéger la glace en été. D’après les calculs de Hans Oerlemans, couvrir seulement 10 % de la surface du glacier, dans la zone où la plus grande perte de glace se produit, lui permettrait de recommencer à avancer au bout de dix ans. Les deux glaciologues étaient surexcités devant cette idée d’une telle simplicité.

    Quelques domaines skiables de haute altitude ont déjà commencé à isoler des parcelles de glaciers en les couvrant de tissu. Pour sauver le Morteratsch, Felix Keller et Hans Oerlemans estiment qu’il faudrait en recouvrir près de 80 ha avec une couche de neige de plus de 9 m chaque année – ce qui représente plus de 2,5 millions de tonnes. Or produire une telle quantité avec des canons à neige classiques consommerait beaucoup trop d’énergie.

    Pour ce projet, qu’ils ont baptisé « MortAlive », Felix Keller a demandé l’aide de chercheurs d’universités suisses, d’une grande entreprise de téléphériques et de Bächler Top Track AG, un fabricant de canons à neige. L’équipe a conçu un plan dans lequel sept conduites de neige (snow cables), semblables à des tuyaux d’arrosage longs de près de 1 km chacun, seraient suspendues entre deux moraines flanquant le Morteratsch. L’eau d’un lac d’eau de fonte situé à une altitude plus élevée – qui devrait bientôt se former sur un glacier voisin– s’écoulerait à travers les tuyaux, serait projetée par des buses et tomberait sous forme de neige sur le glacier. Et le tout, sans aucune électricité.

    Felix Keller veut transformer l’eau de fonte des glaciers en neige. Ici, son équipe teste un prototype d’une des conduites de neige qui arroseraient le glacier de 9 m de neige par an.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Sur un parking près du glacier, j’ai assisté au premier essai d’un prototype. L’équipe avait suspendu une seule conduite de neige avec six buses entre deux poteaux. Malgré le gel d’un tuyau qui a dû être remplacé, le système a fonctionné. En sentant les premiers flocons tomber sur sa tête, Felix Keller a eu les larmes aux yeux.

    Mais rien que pour en arriver à tester un prototype, il a fallu obtenir 3,5 millions d’euros du gouvernement suisse, d’une banque et de trois fondations. L’installation du système à grande échelle coûterait 150 millions d’euros, estime Felix Keller. Il faudrait aussi obtenir un permis pour creuser un tunnel à travers une zone protégée. Et il s’écoulerait environ une décennie avant que la première neige puisse être pulvérisée sur le Morteratsch. D’ici là, le glacier aura encore reculé de quelques centaines de mètres.

    Matthias Huss, pour sa part, est convaincu que les conduites de neige ne seront jamais déployées – et, à l’entendre, cette dépense colossale ne servirait pas à grand-chose. Même avec un scénario climatique modérément optimiste, dit-il, ses simulations montrent que le glacier Morteratsch disparaîtra presque entièrement avant la fin du siècle, avec ou sans MortAlive.

    Pour Felix Keller, ces simulations manquent notoirement de précisions. Mais il sait aussi que le glacier n’en a plus pour longtemps. « Sur mon lit de mort, je pourrai au moins dire à mes enfants et petits-enfants que j’ai essayé de faire quelque chose d’intelligent, se console-t-il. Ce sera toujours mieux que de dire que je me suis contenté de parler de ces problèmes.»

    Le glaciologue suisse (et violoniste amateur) Felix Keller a grandi près du glacier Morteratsch. Il a imaginé un plan pour mettre fin au recul du glacier.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Dans la majeure partie des Alpes, la glace et la neige semblent condamnées, ce qui pourrait causer des problèmes en aval. En effet, les plus grands fleuves d’Europe – le Rhône, le Rhin, le Danube et le Pô – tirent tous une partie importante de leur débit pendant les étés secs de l’eau de fonte des glaciers. La navigation et l’irrigation saisonnières pourraient donc devenir problématiques. Pour autant, les Alpes resteront les réservoirs d’eau de l’Europe – les nuages continueront de produire de la pluie tombant sur leurs pentes –, sans compter que les pays riches trouveront probablement des moyens de sauvegarder leur approvisionnement en eau.

    En revanche, la perte du tourisme d’hiver pourrait s’avérer plus délicate. Des communautés entières investissent davantage dans la saison estivale – dans des pistes de VTT ou de randonnée, dans des espaces de luge d’été ou d’escalade. Le Kitzsteinhorn accueille un flux de touristes estivaux venant de pays écrasés de chaleur, comme l’Arabie saoudite. Mais le tourisme estival a toujours existé dans les Alpes et il sera difficile de le développer suffisamment pour compenser la perte du ski.

    Abondance, situé à 900 m d’altitude, en Haute-Savoie, est au beau milieu de cette difficile transition. Lorsque ses remontées mécaniques ont fermé, en 2007, le village a été décrit dans les médias comme la première station de ski victime du changement climatique. Mais ses 1 400 habitants n’étaient pas prêts à dire adieu au ski. En 2008, ils ont élu un nouveau maire, Paul Girard-Despraulex, qui a tenu son unique promesse de campagne et permis aux remontées mécaniques de rouvrir.

    Né dans une famille d’agriculteurs l’année de la construction du téléphérique, l’édile avait vu son village prospérer grâce au ski. Pourtant, lorsqu’un investisseur lui a proposé de doubler la mise–et de faire ainsi d’Abondance une grande station de ski en la reliant à une station voisine –, le maire en est resté sidéré. Il aurait fallu faire sauter une partie de la montagne et détruire une vieille forêt de sapins. « Nous refusions de faire une chose pareille », se souvient-il.

    Des chercheurs explorent une grotte de glace dans le glacier Pers. La récente progression de celle-ci témoigne de la rapidité du recul des glaciers. D’ici à 2100, sans baisse des émissions de gaz à effet de serre, la glace pourrait avoir presque entièrement disparu des Alpes.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Ailleurs dans les Alpes, les projets de développement du tourisme d’hiver se heurtent aussi à des résistances. C’est ainsi qu’en Autriche, 160 000 personnes ont signé une pétition dans l’objectif d’empêcher un projet qui devait relier les domaines skiables d’Ötztal et de Pitztal, là aussi en faisant exploser une partie de la montagne. À Morzine, près d’Abondance, un nouveau projet de téléphérique a été stoppé après la contestation de la population locale. Une analyse indépendante avait en effet montré qu’il pourrait ne pas être rentable dans un paysage de moins en moins enneigé.

    Le credo de Paul Girard-Despraulex, à Abondance, c’est la diversification. En plus de son domaine skiable d’une beauté époustouflante, la station propose désormais du patinage sur un lac naturel et des promenades en traîneau en hiver, ainsi qu’un plus grand nombre d’activités de VTT et de randonnée en été. Un musée est consacré au fromage d’Abondance – l’élevage laitier reste en effet important dans la région. Et le maire a également fait refaire les toitures de l’abbaye d’Abondance, un monument bientôt millénaire, afin que les visiteurs puissent y être accueillis en toute sécurité.

    «Nous réfléchissons, nous testons et nous expérimentons », explique-t-il. Dans le cloître de l’abbaye, il montre une fresque représentant les noces de Cana, au cours desquelles Jésus aurait transformé l’eau en vin. Une prochaine restauration, précise le maire, permettra de rendre leur éclat aux couleurs délavées.

    Les hivers froids et enneigés sont un élément déterminant des traditions alpines. Gian-Nicola Bass préserve ces coutumes aux Archives culturelles de la Haute-Engadine, en Suisse. Selon lui,
    se baigner dans le lac de Sils recouvert de glace aide à renforcer le système immunitaire.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

    Aucun miracle ne sauvera l’hiver dans les Alpes. Fabriquer de la neige, la stocker et la projeter sur les glaciers – tout cela permettra, au mieux, de gagner un peu de temps sur certains sites.

    Certes, la beauté des Alpes, enviée par de nombreux visiteurs bien avant que les gens de la région ne construisent leur vie autour des hivers enneigés, perdurera. Reste que la diminution de la neige et de la glace représente une perte émotionnelle, une perte de culture et d’identité, tout autant qu’une perte économique. C’est ainsi que, lorsque le glacier suisse du Pizol s’est réduit à une si fine couche de glace qu’il a fini par être retiré du réseau des relevés glaciologiques suisse, des funérailles ont été organisées pour célébrer sa disparition.

    Lorsque j’étais petite, le ski était un passe- temps apprécié par la grande majorité des habitants des Alpes, quel que soit leur statut ou leur revenu. Tout comme moi, mon ami d’enfance Dominik et sa compagne, Julia, ont été poussés sur les pistes dès leur plus jeune âge. Moins de trente ans plus tard, leur fils Johann – mon filleul – qui vient d’avoir 4 ans, est lui aussi fasciné par la neige. Mais il la connaît surtout par les chansons et les livres.

    Par un dimanche ensoleillé de février, nous roulons vers le sommet de la station d’Unterberg, près de Vienne, dans les Alpes orientales, à la recherche d’une vraie neige. Juste sous le pic de 1 342 m, on trouve quelque chose qui ressemble à l’hiver. « Ça brille ! », s’écrie Johann en se jetant dans la neige et en goûtant avec circonspection les flocons accrochés à sa moufle. Il voudrait construire un bonhomme de neige, mais la couche a moins de 3 cm d’épaisseur.

    Sa mère, Julia, 33 ans, a appris à skier ici. « On ne s’est jamais demandé si Unterberg aurait assez de neige pour ouvrir», se souvient-elle alors que nous marchons avec difficulté devant les téléskis à l’arrêt. Lorsqu’ils étaient sur le point de fermer pour de bon en 2014, les habitants ont collecté près de 73 000 euros pour les maintenir en activité. Mais, à cette altitude, il fait trop chaud pour investir dans des canons à neige. Unterberg s’appuie donc uniquement sur la neige naturelle, se présentant comme un domaine skiable où « la neige tombe encore du ciel ». L’hiver dernier, cela a donné dix jours de ski. L’hiver précédent, zéro. 

    Cet article a initialement été publié dans le numéro 270 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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