Jeremy Jones se bat pour que nos hivers restent froids
Cette légende des montagnes est à la tête d’un contingent hors du commun d’activistes du climat, qui se battent pour de la neige fraîche et abondante chaque hiver.

Jeremy Jones photographié par Jonas Fredwall Karlsson à Olympic Valley, en Californie.
Cet article fait partie de la série de portraits National Geographic 33.
Jeremy Jones est un pionnier du snowboard en haute montagne, il était là quand les hélicoptères ont ouvert l’accès à des pistes auparavant inaccessibles tant elles étaient reculées. « On nous larguait dans les montagnes et on devait rejoindre ces pistes, tantôt en randonnant, tantôt en glissant sur nos snowboards, encore et encore », dit-il. « Je me disais que j’avais trouvé ma place là-bas. » Mais le moyen de transport lui laissait un arrière-goût désagréable. « Quand je montais dans un hélicoptère, je savais que je gaspillais des ressources », déplore-t-il. À la place, il a commencé à faire l’ascension à pied et cette expérience était exaltante. « Le snowboard nous permet de nous connecter avec la nature. »
Jeremy est devenu un adepte du splitboard. Il faisait ses acensions sur des skis qui pouvaient être combinés en une planche de snowboard pour la descente. Il a fini par créer sa propre entreprise de fabrication de splitboards et d’équipement pour cette pratique. Il s’est engagé à n’utiliser que les matériaux les plus écologiques à sa disposition et de reverser 1 % des ventes à des organisations environnementales. Seulement, il ne trouvait pas d’organisation à but non-lucratif dans le monde des sports d’hiver qui se concentrait sur le changement climatique. Alors, en 2007, il a créé la sienne : Protect Our Winters, aussi connue sous le nom de POW, un hommage à la poudreuse (powder, en anglais).
Le groupe compte des athlètes d’élite comme Jessie Diggins, médaillée d’or en ski de fond, Jim Morrisson, légende mondiale du ski alpin et Tommy Caldwell, l’un des meilleurs grimpeurs de la planète. Ils représentent ensemble les intérêts de ce que POW appelle l’État du grand air, qui regroupe les millions d’Américains qui considèrent l’extérieur comme un élément phare de leur vie. C’est un groupe aux opinions politiques diverses, constitué à la fois de Républicains (31 %), de Démocrates (40 %) et d’Indépendants (29 %), selon une étude de marché menée en 2019 et commandée par l’organisation. Jeremy aime à dire que la montagne n’est ni rouge (la couleur des Républicains) ni bleue (la couleur des Démocrates) mais violette. Convaincre les conservateurs que les législations sur le changement climatique participeront à sauver les stations de ski et les sports d’hiver qu’ils adorent fait partie des missions les plus complexes de POW. « Nous allons certainement tomber sur des personnes qui s’opposeront à nous », déclare Jim Morrison. Mais il explique qu'ils veulent « dépasser l’appartenance politique et faire une réelle différence. »

Jeremy Jones photographié par Jonas Fredwall Karlsson à Olympic Valley, en Californie.
Le groupe organise des campagnes pour protéger les terrains publics et, lors des élections présidentielles américaines de 2024, POW a mis en place « Stoke the Vote ». Le principe était de pousser les électeurs américains à aller voter, et à emmener avec eux trois amis afin que le plus de personnes possible votent. Lors de leurs campagnes, des films sont diffusés et des rafraîchissements sont proposés, suivis de tables rondes de discussion avec des spécialistes du climat. Mais le véritable atout de POW, c’est le lobby qu’il exerce à Washington D.C. « C’est la magie de POW. On arrive à Capitol Hill avec nos médailles d’or, on a Tony Caldwell avec nous », s’amuse Jeremy Jones. « Les assistants leur disent “Il y a 30 millions d’abonnés Instagram qui vous attendent dans votre bureau, vous devriez peut-être leur parler”. »
Jeremy Jones aime à croire que le groupe a joué un petit rôle dans le vote de la loi sur la réduction de l’inflation en 2022, qui reposait sur un soutien critique de la part du sénateur de l’État de Virginie Occidentale, Joe Manchin. Épaulée par Snowshoe, la plus grande station de ski de l’État, POW a plaidé auprès du sénateur la cause des employés dont le travail pourrait être sauvé si la loi était votée. « Peu après, son vote a entériné la loi », dit Jeremy Jones. « Et qui sait quel rôle nous avons joué pour le convaincre ? » Erin Sprague, directrice générale de POW, souligne le fait que les athlètes du groupe transforment le problème du changement climatique, le faisant passer de politique à humain. « Nous avons avec nous ces personnes qui font tant pour notre pays et nos communautés, des personnes qui sont devenues expertes sur les questions du climat, et des porte-paroles de confiance », se réjouit Erin Sprague. « Ils n’ont pas d’intention politique. Ils représentent leurs lieux de vie, leurs croyances. »
POW espère renverser une triste réalité des stations de ski américaines. Une étude récente a révélé qu’à cause du changement climatique, leurs périodes d’ouverture s’étaient vues amputées de presque une semaine par rapport aux années 1950. « Si les remontées mécaniques des stations ne fonctionnent pas, alors personne ne peut aller prendre un café, louer ses logements ou aller au restaurant », déplore Jeremy Jones. « Y aller en janvier et être accueilli par un week-end pluvieux, c’est tellement triste. La différence entre une année avec un hiver normal et une autre où l’hiver est presque inexistant est catastrophique. »
À cause de la fermeture précoce des stations, les pistes reculées sont plus peuplées que jamais, témoigne Jeremy Jones. La répartition de la neige sur la montagne est plus complexe et les risques d’avalanche sont plus grands. Jeremy Jones redouble donc de prudence ces derniers temps. « Quand je fais mes ascensions vers les pistes reculées et que je dois vraiment faire des efforts, mon mantra c’est “Si ce n’est pas un grand oui, alors c’est non” », explique-t-il. « Et je pense être plus patient avec les montagnes. Mais je pratique toujours mon sport. » Tout comme une floppée de snowboardeurs et de skieurs qui espèrent tous que le plaisir sera plus long l’année qui suit.
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic d'avril 2025. S'abonner au magazine.
