Nucléaire, énergies renouvelables, vers quelle transition énergétique se tourner ?

La question de la transition énergétique est un point de divergence entre les deux candidats encore en lice pour l'élection présidentielle. Point sur les avantages et inconvénients de ces énergies.

De Margot Hinry
Publication 13 avr. 2022, 17:24 CEST
Terre d’éoliennes et de digues

Flanquée d’éoliennes, cette digue protège des terres agricoles situées en quasi-totalité sous le niveau de la mer. Sans les digues et un pompage permanent, plus d’un quart du pays redeviendrait des marais ou serait englouti par la mer.

PHOTOGRAPHIE DE © George Steinmetz

Les experts du GIEC n’ont jamais annoncé un délai aussi court avant que la planète ne subisse les impacts irréversibles de la hausse des températures. Il reste trois ans pour réagir et réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour espérer ne pas dépasser la hausse globale des températures de +1,5 °C.

Ces degrés peuvent paraître anecdotiques, mais les scientifiques sont unanimes : au-delà de ce chiffre, l’humanité assistera à une élévation du niveau de la mer, des sécheresses et des feux de plus en plus réguliers, une érosion de la biodiversité, provoquant progressivement des vagues massives de réfugiés climatiques.

Les énergies nucléaires et les énergies renouvelables rassemblent autour d’un objectif commun : produire suffisamment d’énergie tout en répondant aux objectifs liés à l’urgence climatique. Pour certain.e.s expert.e.s, la solution se trouve dans ce mix énergétique. Pour d’autres, il faut se détacher du nucléaire. Les avis divergent, mais les arguments ne manquent pas.

« La vraie erreur est d’opposer ces énergies et de les mettre en compétition, de les opposer sur les mêmes usages et les mêmes territoires » affirme Myrto Tripathi, fondatrice et présidente de l’association Voix du nucléaire.

Charlotte Migeon, porte-parole de l’organisme Sortir du Nucléaire, explique ne pas souhaiter voir « un remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables telles quelles. On est face à un système énergétique très peu sobre. Il faudrait une transformation générale plutôt qu’une substitution d’une énergie par une autre ».

Les centrales nucléaires sont des centrales électriques qui utilisent de l’énergie nucléaire. La chaleur que dégage la fission des atomes d’uranium chauffe de l’eau pressurisée qui, après s’être transformée en vapeur, fait tourner une turbine. Cette dernière entraîne un alternateur qui va produire de l’électricité.

En France, selon les données d’EDF, « le nucléaire est la première source de production et de consommation d'électricité. Elle provient de 56 réacteurs de différents niveaux de puissance constituant un parc réparti sur l'ensemble du territoire ». C’est actuellement la principale solution pour produire l’électricité du pays.

 

SÉCURITÉ, GESTION DES DÉCHETS ET PRODUCTION : LE SUJET DIVISE

Malgré leur bas taux carbone, ces centrales électriques ne parviennent plus à faire l’unanimité. « Pour fonctionner, les centrales nucléaires ont besoin d’uranium, un minerai qui n’est plus extrait en France depuis 2001. Quand on parle d’indépendance énergétique grâce au nucléaire, c’est assez mensonger » étaye Charlotte Migeon. L’uranium est extrait notamment au Niger, au Kazakhstan, en Australie ou encore au Canada.

Charlotte Migeon précise son opposition à l’utilisation du nucléaire. « Il y a souvent des impacts sur les régions concernées, notamment sur les peuples autochtones. Que ce soit au Niger sur le territoire des Touaregs, en Australie sur le territoire des Aborigènes, en Amérique du Nord sur les territoires d’Amérindiens, mais également chez les Inuits, ou encore au Groenland. Le nucléaire a la désagréable tendance à s’imposer sur des territoires de peuples autochtones, de minorités ethniques, ou en tout cas, dans des régions assez pauvres qui ne bénéficient souvent pas économiquement de cette activité, mais qui en retirent toutes les conséquences néfastes en termes de déchets, de pollution. »

La fondatrice de l’association Voix du nucléaire ne partage pas le même avis. « Nous devons cesser de nous appuyer sur 90 % des énergies qui constituent notre mix énergétique aujourd’hui […] et ce, le plus vite possible comme de nouveau rappelé par le dernier rapport du GIEC. Le nucléaire présente une des alternatives présentant les meilleures propriétés physiques pour ce faire ». Sur la question des déchets nucléaires, la spécialiste défend une maîtrise des impacts sanitaires. « Cette maîtrise, le fait que l’on sache les contenir, permet notamment que les efforts de recherche et d’amélioration des procédés et de la gouvernance viennent progressivement en réduire les effets ».

Pour extraire le carbone, il est nécessaire d’utiliser de l’énergie fossile. « L’extraction en elle-même génère une pollution spécifique, parce que l’on retire de la terre de roches radioactives qui étaient enfouies dans le sol et qui là, se retrouvent à l’air libre. Ou bien parce que ce sont des mines à ciel ouvert avec des poussières radioactives qui peuvent se disperser sur de très longues distances » tempère la porte-parole de Sortir du Nucléaire. À cela, Myrto Triphati explique que comme toute activité d’extraction minière, il faut avant tout « limiter au maximum, mettre du contrôle, de la transparence, jouer sur la valorisation de l’impact environnemental et humain pour augmenter le coût de l’extraction et du coup revaloriser les alternatives ».

Ces éoliennes et ces panneaux solaires produisent de l'énergie renouvelable à Desert Hot Springs en Californie. Un  nombre record de projets éoliens et solaires ont vu le jour cette année.

PHOTOGRAPHIE DE Ben Horton, Nat Geo Image Collection

Marc Jedliczka, porte-parole de Négawatt et directeur général de Hespul, s’appuie sur les objectifs de développement durable définis par l’ONU en 2015. Pour lui, le nucléaire « n’est pas une solution soutenable. Transitoirement, il y en a, alors on va l’optimiser en espérant qu’il n’y ait pas de pépin, mais sur le long terme, ce n’est pas une solution. Les solutions vraiment soutenables, ce sont les énergies renouvelables, qu’il faut développer tout de suite ».

Du côté des Voix du nucléaire, le mix énergétique est fortement encouragé, sans pour autant exclure le nucléaire. « Ce serait se priver d’une de nos plus grandes armes » estime la présidente de l’association, qui mise sur l’avenir et les futurs usages potentiels du nucléaire. « Il n’est qu’au début de son histoire. La fission est une découverte scientifique dont on commence à peine à explorer les possibilités, il y a un champ extrêmement large d’applications, de déclinaisons et surtout d’améliorations qui restent à découvrir pour certaines, mais qui pour beaucoup ont déjà été découvertes et attendent d’être industrialisées pour participer encore plus à la décarbonation en profondeur de nos sociétés. »

Pour Jean-Yves Grandidier, le président et fondateur de l’entreprise de production d’énergies renouvelables Valorem, le nucléaire n’est pas l’avenir. « C’est une énergie qui n’a pas résolu ses problèmes de fin de vie, on ne sait pas encore comment démanteler les réacteurs nucléaires, comment gérer sur le long terme des déchets. Au fur et à mesure des retours d’expériences et des problèmes passés, on a mis en place des systèmes de sécurité afin d’éviter les accidents graves. On sait que les risques sont faibles, mais les conséquences sont importantes. Cela augmente les coûts de production. »

Année après année, les très peu nombreux, mais dévastateurs accidents nucléaires dans le monde ont nourri des craintes, que Myrto Tripathi elle-même qualifie de légitime. « Les accidents nucléaires sont très médiatisés, cela n’en fait cependant pas des accidents plus graves. Mais on sait bien que c’est difficile de prendre acte de cette réalité, pourtant largement documentée, quand la culture populaire et les opposants à la filière nucléaire en ont à ce point fait un marqueur médiatique. Le bilan sanitaire du nucléaire civil est extrêmement positif » insiste la présidente des Voix du Nucléaire. 

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    Un fermier attend le printemps près d'une centrale nucléaire dans la province de Shanxi, en Chine. Le complexe nucléaire produit l'électricité pour Pékin, situé à environ 320 kilomètres de là, et recouvre les champs, les récoltes et les riverains d'un épais manteau de suie.
    PHOTOGRAPHIE DE Robb Kendrick, National Geographic Creative

    MIX ÉNERGÉTIQUE OU FIN DU NUCLÉAIRE ?

    « On ne peut pas faire sans le renouvelable, mais on peut faire sans le nucléaire ! Dans certains scénarios de RTE, il n’y en a plus du tout, et d’un point de vue technique, c’est sûr que ça fonctionne, on saurait faire, ce sont des technologies qui sont aujourd’hui connues » déclare Marc Jedliczka.

    Le réseau de transport d’électricité français (RTE) a publié différents travaux de recherche sur notre futur énergétique à l'horizon 2050. Les résultats proposent différents scénarios permettant, pour près de la moitié d’entre eux de « se passer du nucléaire et d'atteindre le 100 % renouvelable, tout en atteignant la neutralité carbone » explique Charlotte Mijeon du réseau Sortir du Nucléaire.

    De son côté, l’ADEME propose quatre scénarios de transition vers un mix de production entre le photovoltaïque, l’éolien, le nucléaire existant et le nouveau nucléaire. « Les hypothèses de déploiement considérées (l’ADEME a retenu l’hypothèse maximale de construction de cinq nouvelles paires d’EPR d'ici à 2050, en plus de FLA3) conduisent à ce que les énergies renouvelables représentent plus de 70 % de la production d’électricité en 2050 dans tous les scénarios ».

    « Non seulement un mix nucléaire et renouvelable est cohérent, mais la complémentarité des énergies bas carbone est absolument nécessaire » confirme Myrto Tripathi, qui précise que le nucléaire « est une importante partie de la solution, mais pas toute la solution ».

    Selon la fondatrice, le mix de production d’énergie pourrait mêler l’hydrologie et la géothermie, l’éolien, le solaire, la mer et le nucléaire. Elle précise que la géothermie est un « combustible renouvelable » dépendant de la nature, « donc à moins d’être présente en très grande quantité, ceux sont des énergies complémentaires au sein d’un mix ». Concernant les autres énergies renouvelables, Myrto Triphati précise que ces dernières « nécessitent également des gisements pour faire du sens » puisqu’elles sont « très diluées et non pilotables ». Selon la fondatrice du réseau pour le nucléaire, ces énergies sont utiles mais « leur caractère dilué entraîne un fort impact environnemental en termes d’utilisation des sols et d’extraction de matières premières ». Pour Myrto Triphati, ces énergies renouvelables représentent une forme de « techno solutionnisme » quand elles sont envisagées en grande proportion à l’échelle du pays et du monde « du fait des nombreuses technologies de rupture nécessaires à leur présence sur un réseau électrique ».

    Efficacité et sobriété énergétiques sont les maîtres-mots de cette transition, selon toutes les personnes consultées par National Geographic. « L’Agence Internationale de l’ Énergie (AIE) a sorti 10 mesures à prendre pour limiter la dépendance du pétrole et du gaz russe. Ce sont des mesures que chez Négawatt, on préconise depuis 20 ans. […] Isoler les logements, avoir des voitures moins lourdes, moins gourmandes. Il faut mettre un pull de plus au lieu d’augmenter le chauffage, rouler moins vite sur les routes, éteindre la lumière quand on quitte une pièce » répète Marc Jedliczka.

    Mais face à l’urgence climatique actuelle, le porte-parole de Négawatt précise que « les seules solutions immédiatement jouables, c’est de baisser la consommation. Sobriété et comportement. Isoler les logements, c’est plus long. Côté production, il n’y a que le renouvelable qui peut construire dans des délais courts. Le nucléaire ne le peut pas ! La moitié de la solution, c’est la baisse des consommations avec un quart pour la sobriété, un quart pour l’efficacité dans l’industrie, le bâtiment, la mobilité, partout. L’autre moitié de la solution, c’est les renouvelables ».

    Le photovoltaïque et l’éolien l’emportent au sein de l’étude menée par Négawatt. « Dans les propositions que l’on a faites, tout le monde est à peu près d’accord que sur un 100 % renouvelable, on aura à peu près 2/3 d’éolien et 1/3 de photovoltaïque en énergie annuelle. Il y a des éoliennes sur terre et en mer. Le plan Négawatt, c’est 18 500 éoliennes sur terre et 3 200 éoliennes en mer, beaucoup plus grandes. »

    Les énergies renouvelables soulèvent aussi des questionnements côté recyclage. « Les panneaux photovoltaïques se recyclent à plus de 90 %. L’éolien, c’est pareil, les fabricants s’engagent à recycler à plus de 90 % aujourd’hui et en 2025 à plus de 95 % de recyclage matière. Pour le moment, ce qui reste principalement à recycler, c’est la pale. En Europe, on brûle ça dans des fours de cimentiers. Aujourd’hui, il y a des projets en cours et des fabricants qui commencent à proposer des pales recyclées. » Le recyclage des matériaux liés aux énergies renouvelables est un sujet de recherche et développement.

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