Stress hydrique : les nappes phréatiques françaises ont soif

Les experts alertent sur l’état préoccupant des nappes phréatiques françaises. Depuis février, leur dégradation est rapide et au 1er mai 2022, leurs niveaux étaient déjà bas, voire très bas, selon les régions.

De Margot Hinry
Publication 26 mai 2022, 11:30 CEST

2019 - Sécheresse extrême dans le département du Doubs, en Bourgogne-Franche-Comté.

PHOTOGRAPHIE DE Philippe Fritsch, iStock via Getty Images

Nos nappes phréatiques se fragilisent et ne se reconstruisent plus comme avant. Depuis 2014, les périodes de grandes chaleurs et de sécheresses se multiplient partout dans le monde, y compris en France.

« Les années historiques de sécheresse en 2017, 2018, 2020, ont démarré surtout parce que l’on a eu des vagues de chaleur, des vagues de sécheresse. Par exemple, en 2018, pendant quinze jours entre juillet et août, il y a eu une vague de chaleur. En 2019, le mois de juin caniculaire a marqué toute la France. C’est ce qui nous a plongés dans un état de sécheresse immédiat, mais nous avions de très bonnes recharges hivernales pour nous soutenir. Cette année, on n’en a pas. Elles ne se sont pas reconstituées. C’est ça le gros problème, on démarre l’été sans recharge » explique l’hydrologue Emma Haziza.

Le dernier rapport sur la situation hydrogéologique au 1er mai 2022, publié par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), indique que « la fin de l’hiver et le début du printemps sont une période charnière et les pluies insuffisantes ont fortement impacté l’état des nappes ». Parmi les localités les plus touchées par des faibles niveaux d’eau, la Vendée, le Maine et la Touraine sont mis en avant, ainsi que la Côte d’Azur, de Provence et le sud de la Drôme.

« Cette année, la situation est critique pour les sols et les eaux de surface, en vue de la période estivale. Concernant les nappes, nous avons déjà relevé des situations similaires ou plus critiques dans le passé. Le point à surveiller est la fréquence d’apparition de ces phénomènes. Beaucoup d’actions sont mises en œuvre depuis de nombreuses années, telles que la limitation des volumes prélevables, des études sur l’infiltration des eaux pluviales et la désimperméabilisation des sols » précise l’Unité évaluation et valorisation des connaissances sur l’eau à National Geographic. Les solutions citées concernent uniquement les eaux souterraines, les actions proposées pour les autres types d’eaux ne sont pas suivies par le BRGM.

Emma Haziza l’affirme « l’homme a compris que sa survie dépendait du fait de contrôler l’eau ». Pourtant, lorsque les précipitations se font plus rares, avons-nous toujours la main sur l’eau ? « On sait que les pluies qui arrivent maintenant vont être rapidement évaporées au niveau atmosphérique et seront reprises rapidement par les premières couches de sol et la végétation, et n’auront pas le temps de pénétrer dans les sols. On est en train de se confronter à la réalité du fait qu’il y a un manque de pluie très marqué ».

Malgré la volonté humaine de contrôler l’eau en canalisant les rivières, en bétonnant, en déviant des fleuves, en déplaçant les cours d’eau par des canaux et même en essayant de provoquer la pluie, les éléments réagissent au réchauffement climatique et à nos modes de vie.

« On va vivre des inondations plus violentes, des tempêtes et des passages de grêle comme en Allemagne récemment. On voit que la pluie n’est plus une simple pluie, comme on la connaît en France. C’est un type de pluie qui ravage tout sur son passage, elle va surtout ruisseler, très peu s’infiltrer. Le peu qui s’infiltre sera récupéré par la végétation, donc elle ne va pas concourir à améliorer l’état des nappes » alerte Emma Haziza.

Le phénomène de gouttes froides continue de s’intensifier et perturbe les prévisions, ce qui rend la météo difficilement contrôlable pour les humains. « Cette année, on va revivre sans aucun doute des températures extrêmes, à l’image de ce que l’on observe en Inde. Le cycle terrestre fait que l’on s’approche de la période la plus propice à des températures importantes. Vous ajoutez à cela une anomalie thermique, un effet de serre qui s’est accéléré, cela donne des températures difficilement maîtrisables pour l’Homme. »

 

QUEL IMPACT AVONS-NOUS SUR NOS NAPPES PHRÉATIQUES ?

Selon l’experte en hydrologie, les êtres humains ont un véritable impact sur les nappes. « À échelle mondiale, 63 % de nos pluies sont fabriquées depuis les continents et pas depuis les océans. Il y a plus de flux d’évaporation au niveau océanique que de pluie, à part au-dessus des océans. Ces masses d’air humides arrivent ensuite […] sur les continents, et elles s’y recyclent. L'eau a besoin d’arbres, de sols, d’être intégrée dans les milieux pour permettre l’évaporation. […] À partir du moment où l’on a perdu entre 50 et 80 % de nos zones humides en France, on a perdu la capacité de ces masses d’air humides à pouvoir se renouveler, pour redonner des pluies au niveau du continent. Puisque l’on a fragilisé le milieu, ça commence à se voir de manière très importante. »

Portrait de Camille Étienne, une activiste française engagée pour la justice sociale et climatique.

PHOTOGRAPHIE DE Camille Étienne

Selon les zones du territoire, certaines sont déjà habituées aux changements du climat et se sont déjà adaptées. « Le pourtour méditerranéen est déjà habitué à ces extrêmes, même si c’est compliqué. On a déjà tendance à irriguer les vignes, ce qui n’était pas du tout le cas avant. Il y a un changement de pratiques parce qu’il y a un changement climatique réel ».

La principale demande en eau provient du milieu agricole et de l’élevage bovin, et selon l’experte, afin de réussir à s’adapter et à limiter les sécheresses, « il faut massivement re-forester mais aussi et surtout, transformer le milieu agricole qui représente à la fois les responsables et les victimes. »

Emma Haziza soutient qu’à ce jour, nous utilisons « trois fois plus de terres » pour faire pousser les céréales qui nourrissent le bétail, que pour nourrir directement les humains. Les autres terres sont utilisées pour que le bétail s’y installe. « C’est 70 % de nos terres, il nous en reste 30 %. En réalité, beaucoup de nos viandes sont exportées, très peu sont conservées sur le territoire. Cette balance pousse à se poser la question de la résilience alimentaire » questionne l’hydrologue, convaincue que le modèle carné doit être repensé à l'échelle mondiale.

« Ce modèle n’est pas viable à très long terme pour nous. […] En fin de compte, actuellement on nourrit essentiellement du bétail et l’on provoque un intense gaspillage alimentaire. Finalement, on nourrit beaucoup de poubelles et l’on perd nos sols. »

En réduisant la partie carnée de l’alimentation américaine, européenne et globalement mondiale « on va gagner de l’espace pour tous nous alimenter. Plus on va manger de produits non transformés, plus il y aura de la place pour se nourrir d’aliments qui protègent et respectent la terre, le système vertueux et donc, nos eaux. L’ensemble de ces critères permettra de nous protéger demain. Ce que l’on met dans notre assiette contribue à cela » conclut Emma Haziza.

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