Un nouveau souffle : et si nous remettions le CO2 là où nous l'avons trouvé ?

Réduire à zéro les émissions de CO2 ne sauvera pas le monde. Nous devrons aussi l’extraire à grande échelle de l’atmosphère. Une telle entreprise nécessitera un effort planétaire, le plus ambitieux de l’histoire de l’humanité.

De Sam Howe Verhovek
Photographies de Davide Monteleone
Publication 6 nov. 2023, 14:07 CET
Au large de la Norvège, des scientifiques contrôlent un mésocosme – un milieu expérimental clos – afin de voir ...

Au large de la Norvège, des scientifiques contrôlent un mésocosme – un milieu expérimental clos – afin de voir comment l’eau de mer absorbe le CO2 de l’air à partir de substances alcalines. Ils s’interrogent sur la possibilité d’accélérer ce processus naturel.

PHOTOGRAPHIE DE Davide Monteleone

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Ces derniers siècles, l'extraction, l'abattage, la combustion, le forage, le pompage, la métallurgie, l'éclairage, l'aérospatiale et l'industrie ont injecté 2 400 milliards de tonnes de dioxyde de carbone dans l'atmosphère terrestre. Soit autant d’émissions annuelles que celles de 522 milliards de voitures ou de 65 véhicules par personne vivant dans le monde aujourd’hui. 

Dans une vallée déserte et lunaire à 30 km de Reykjavik, en Islande, Edda Aradóttir est déterminée à renvoyer ce dioxyde de carbone (CO2) d’où il vient. Pour l’instant, les quantités traitées sont modestes, mais elles augmenteront fortement ces prochaines années. En réinjectant du CO2 dans le sous-sol, la scientifique cherche à prendre le contrepied d’une des actions qui a le plus bouleversé l’histoire de l’humanité : extraction de quantités phénoménales de carbone souterrain sous la forme de combustibles fossiles, qui ont été le moteur de la civilisation moderne et en sont aujourd’hui devenus le fléau.

Le temps lui manque, comme à nous tous. Les phénomènes météorologiques extrêmes et les pics inédits de température en lien avec le changement climatique sont déjà là. Et ils vont certainement s’aggraver. 

Dans un igloo en aluminium installé sur ces étendues volcaniques, Edda Aradóttir, ingénieure chimiste et de réservoir et PDG de l’entreprise islandaise Carbfix, m’explique comment le CO2 piégé est mélangé à de l’eau, puis injecté dans un système de tuyaux complexe qui plonge à environ 750 m sous terre. Là, le CO2 dissous rencontre le basalte poreux et forme de petites taches beiges dans la roche magmatique souterraine. Elle me tend un échantillon. Ces mouchetures et ces rayures incarnent une ambition aussi simple qu’incroyablement audacieuse. Car, si peu nombreuses soient-elles, ces molécules de CO2 – captées dans l’air, minéralisées et pétrifiées – ne réchauffent plus la planète.

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    La centrale électrique de Drax, au Royaume-Uni, amorce une transition du charbon aux granulés de bois. Elle devrait, à terme, capter le CO2 à la sortie des cheminées et l’amener vers de gigantesques réservoirs sous la mer du Nord. Pour les détracteurs du projet, la combustion de bois « renouvelable », venant surtout des forêts nord-américaines, ne vaut guère mieux pour l’environnement que de brûler du charbon.

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    Comme edda aradóttir, d’autres scientifiques et entrepreneurs se sont embarqués dans des projets ambitieux – et parfois controversés – afin d’extraire le CO2 de l’atmosphère et de l’enfermer. Tous ont un objectif commun : faire baisser la concentration de CO2 atmosphérique, restée stable durant des milliers d’années à 280 parties par million (ppm) – ou un peu en dessous – jusqu’à la révolution industrielle, au milieu du XIXe siècle. Aujourd’hui, ce chiffre atteint environ 420 ppm. Autrement dit, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté d’à peu près 50 % depuis 1850. À mesure qu’il croît, le CO2 piège la chaleur et provoque un réchauffement de la Terre de plus en plus dangereux. Pour les partisans du captage du CO2, cette entreprise, menée à très grande échelle ces prochaines décennies, permettra de contribuer à faire baisser ce chiffre.

    Mais toutes ces initiatives ont aussi un autre point commun. Selon leurs nombreux détracteurs, l’idée même d’extraire le carbone de l’atmosphère nous détourne d’une mission bien plus urgente : la réduction drastique des émissions de CO2 à la source. Plus de 500 organismes de défense de l’environnement ont notamment signé une pétition qui exhorte les responsables politiques des États-Unis et du Canada à « abandonner le mythe néfaste et périlleux du CSC » (pour captage et stockage géologique de CO2), l’une des principales façons d’éliminer ce gaz. Le document dénonce une « dangereuse diversion conduite par les grands pollueurs qui ont précisément créé l’urgence climatique » – faisant référence aux projets d’ExxonMobil, de Chevron et d’autres géants pétroliers de se lancer dans le business du captage de CO2. Il est révoltant, pointent les critiques, que les principaux responsables de cette catastrophe mondiale s’apprêtent maintenant à en tirer profit en promettant des solutions pour y remédier.

    L’expression « aléa moral », qui désigne l’idée que l’on continue à prendre des risques si l’on  se croit à l’abri des conséquences, est souvent convoquée dans ce débat : si les décideurs, sans parler des citoyens lambda, se disent qu’un coup de baguette magique peut nous débarrasser du CO2, ils s’inquièteront peut-être moins du pétrole, du gaz et du charbon que l’on continue de puiser dans le sous-sol. Les partisans de l’extraction du CO2 affirment, eux, qu’il est indispensable de mener de front les deux démarches : réduire les émissions futures et remédier aux impacts des émissions passées. « Il est évident que c’est une solution au problème, même si ce n’est pas la solution, souligne Edda Aradóttir. Cela devra s’ajouter aux autres mesures à prendre dans le monde pour décarboner l’ensemble de l’énergie que nous utilisons. »

    Grâce aux émissions de CO2 de la centrale de Hellisheiði, en Islande, Vaxa Technologies cultive des microalgues qui sont destinées à l’alimentation. L’absorption de CO2 par l’aquaculture pourrait contribuer à la baisse de l’immense empreinte carbone de la production alimentaire.

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    Matthew Warnken, président de l’entreprise australienne Corporate Carbon, me l’explique ainsi : « On me demande tout le temps si c’est le remède miracle au changement climatique. Je réponds que non. Mais c’est un instrument dont nous allons avoir besoin. » Ce constat repose sur les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui conclut que toute gestion réaliste de l’urgence climatique doit passer par une extraction de CO2 à très grande échelle. Pour empêcher que la hausse mondiale des températures franchisse le seuil critique de 1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle, il faudra parvenir à la neutralité carbone et extraire jusqu’à 12 milliards de tonnes de CO2 par an d’ici à 2050. Le défi est colossal : nous produisons chaque année le triple d’émissions de gaz à effet de serre.

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