L'astéroïde interstellaire détecté en octobre a élu domicile près de Jupiter

Un astéroïde étrange au doux nom de 2015 BZ509, en orbite près de Jupiter, serait le premier visiteur interstellaire à élire domicile au sein de notre système planétaire.

De Michael Greshko
Publication 30 mai 2018, 10:07 CEST
Représentation à l'échelle 10:1 de l’astéroïde interstellaire 'Oumuamua alors qu'il traversait notre système solaire en octobre ...
Représentation à l'échelle 10:1 de l’astéroïde interstellaire 'Oumuamua alors qu'il traversait notre système solaire en octobre dernier. C'était la première fois qu'un tel objet était aperçu dans notre système solaire.
PHOTOGRAPHIE DE Illustration by European Southern Observatory/M. Kornmesser

Si vous aviez l'opportunité de flotter au-dessus de notre système solaire, vous remarqueriez que 99,9 % des objets célestes orbitent autour du soleil dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Cette dynamique est impulsée par le disque de poussière et de gaz en rotation qui a donné naissance aux planètes, aux astéroïdes et aux comètes.

Ce qui est pour le moins étrange, c'est que sur les 779 000 astéroïdes connus, au moins 95 d'entre eux orbitent dans le sens des aiguilles d'une montre, soit à contre-sens du système solaire. Une explication intrigante voire même controversée a été avancée par deux scientifiques : l'un de ces astéroïdes, 2015 BZ509, orbiterait à reculons car il proviendrait d'un système stellaire autre que le nôtre et qu'il se serait ensuite greffé au système solaire.

« Le but de notre étude n'était pas de découvrir si cet astéroïde était interstellaire », a déclaré Fathi Namouni, astronome à l'Observatoire de la Côte d'Azur. Lui et Helena Morais, chercheuse à l'Université d'État de São Paulo, ont passé plusieurs années à étudier les objets célestes qui orbitent autour du Soleil dans le sens des aiguilles d'une montre dans l'espoir de découvrir comment s'est formé notre système solaire. Cette méthode s'apparente un peu à celle d'un détective qui tenterait de résoudre un meurtre en analysant les éclaboussures de sang les plus étranges de la scène de crime.

Dans une étude publiée le 21 mai dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Fathi Namouni et Helena Morais révèlent que BZ509 est arrivé dans notre système solaire peu de temps après la formation de ce dernier. Cet astéroïde s'est placé sur une orbite stable, située dans la trajectoire de Jupiter, mais dont le sens de circulation est inversé. Si son origine se vérifie, BZ509 pourrait être le cousin de l'astéroïde interstellaire 'Oumuamua, qui a traversé à toute vitesse notre système solaire l'année dernière.

Mais pour parvenir à cette hypothèse de l'origine interstellaire de BZ509, les astronomes ont procédé par élimination, une méthode qui a suscité de nombreuses critiques.

« L'étude ne se fonde sur aucune modélisation dynamique et ils ne sont parvenus à leur conclusion que parce qu'aucune autre n'était possible. Il est donc très difficile d'adhérer à cette théorie », a souligné Hal Levison, scientifique au Southwest Research Institute qui n'a pas pris part à l'étude.

 

L'ATTAQUE DES CLONES

Personne ne remet en cause l'étrangeté de l'astéroïde BZ509, ou Bee-Zed pour les intimes.

L'astéroïde a attiré l'attention de Fathi Namouni et d'Helena Morais parce qu'il orbite autour du Soleil dans le sens inverse des autres objets célestes, mais aussi parce qu'il est le premier objet céleste dont l'orbite chevauche presque celle de Jupiter. L'astéroïde est maintenu ainsi grâce à la gravité orbitale : deux fois tous les 12 ans, la gravité de Jupiter attire l'astéroïde, mais les deux attractions s'annulent, ce qui stabilise l'astéroïde.

« C'est un peu comme lorsqu'un camion roule sur une route bosselée, il est déstabilisé par la première bosse mais celle qui suit redresse la barre », a indiqué Martin Connors, astronome à l'Université d'Athabasca qui n'a pas pris part à l'étude.

En 2017, suite à des simulations réalisées par ordinateur, Martin Connors et ses collègues ont découvert que l'orbite de BZ509 était stable depuis plusieurs millions d'années, prenant par surprise Fathi Namouni et Helena Morais. Les deux scientifiques avaient suggéré dans une étude précédente que des orbites comme celle de BZ509 ne pouvaient durer plus de 10 000 ans environ.

Pour aller plus loin dans leur étude, les deux astronomes ont construit un modèle de notre système solaire dans sa configuration actuelle. Ils ont ensuite ajouté un million de clones virtuels de BZ509, chacun avec une orbite légèrement différente de celle de l'astéroïde et ont mené une simulation sur une période virtuelle de 4,5 millions d'années.

De nombreux clones ont fini par entrer en collision avec le soleil ou par être éjectés du système solaire. La moitié d'entre eux n'a pas dépassé 7 millions d'années. Par contre, 46 clones sont restés stables depuis la naissance du système solaire et l'orbite de 27 d'entre eux ressemblent fortement à celle de BZ509.

Ces clichés, pris par le grand télescope binoculaire, montre l'astéroïde 2015 BZ509, entouré en jaune. Grâce à eux, il a été possible de déterminer que l'astéroïde partage l'orbite de Jupiter mais orbite à l'envers.
PHOTOGRAPHIE DE C. Veillet, Large Binocular Telescope Observatory

D'après Namouni et Morais, l'astéroïde devait être sur une orbite stable depuis 4,5 millions d'années pour que nous soyons capables de l'apercevoir. Reste encore à déterminer comment BZ509 est entré en orbite dans le sens des aiguilles d'une montre alors qu'il fait partie du système solaire depuis la naissance de ce dernier et qu'il orbite autour du soleil. Les deux astronomes sont donc parvenus à la conclusion qu'il devait s'agir d'un visiteur interstellaire.

« Nous n'avions aucune hypothèse favorite pour expliquer l'origine de cet astéroïde », a souligné Namouni. « Nous étions donc particulièrement surpris ».

 

ROGUE ONE, LES ORIGINES

Mais dire que BZ509 est un visiteur interstellaire ne suffit pas, il faut encore le prouver. Namouni et Morais n'ont pas encore découvert comment l'astéroïde aurait pu être capturé depuis un autre système stellaire. Par conséquent, la logique de cette étude est fortement remise en cause par des planétologues.

« La durée de vie moyenne [des clones de BZ509] est si courte que j'essaierai de trouver une autre explication sur le court-terme », a expliqué Bill Bottke du Southwest Research Institute.

Bill Bottke et David Nesvorny pensent que BZ509 est en réalité une comète inactive en provenance du nuage de Oort, une zone de débris de glace situé en périphérie lointaine du système solaire. D'après eux, l'astéroïde a longtemps orbité à l'envers avant de se placer sur son orbite actuelle il y a quelques millions d'années.

Contrairement aux astéroïdes, les comètes peuvent avoir une orbite rétrograde comme BZ509 : c'est le cas pour Halley. Le travail de Namouni et de Morais suggère aussi que les objets imprévisibles peuvent se coincer plus facilement qu'ailleurs dans l'orbite de BZ509. Les modèles révèlent aussi que la trajectoire de la comète pourrait expliquer comment d'autres astéroïdes qui orbitent à l'envers se sont installés.

 

UN NOUVEL ESPOIR

Découvrir les origines de BZ509 va nécessiter beaucoup de travail. Levison, Bottke et Nesvorny recommandent de réaliser d'énormes simulations sur la formation des planètes et la manière dont elles se sont placées sur leurs orbites actuelles. Cela permettra de comprendre si les objets célestes proches se placent plus fréquemment ou non sur des orbites comme celle de Bee-Zed que celles qui sont interstellaires comme 'Oumuamua.

La nouvelle étude suggère aussi que les objets semblables à BZ509 peuvent dériver vers des orbites perpendiculaires au plan du système solaire. Namouni veut par exemple savoir si les objets célestes connus qui ont des orbites polaires proviennent du même nuage de débris interstellaires que BZ509.

« La théorie est infaillible, mais l'associer à ce que nous avons vu avec BZ509 sera plus compliqué », a-t-il déclaré.

Si Martin Connors se voyait attribuer un budget au montant indéfini, il enverrait un vaisseau spatial près de BZ509 pour savoir si cet astéroïde est composé d'éléments qui nous sont étrangers. Pour Bottke, une telle mission serait très intéressante, peu importe la destination finale : « Même si c'est pour une simple comète, ce serait quand même quelque chose d'aller là-bas avec une sonde ».

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