Une masse mystérieuse détectée sous la face cachée de la Lune

Cette découverte majeure pourrait permettre aux scientifiques de mieux comprendre la formation des corps rocheux… comme notre planète.

De Maya Wei-Haas
Publication 12 juin 2019, 12:41 CEST, Mise à jour 12 nov. 2020, 10:14 CET
Cette image, créée à partir des données recueillie par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter de la ...
Cette image, créée à partir des données recueillie par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter de la NASA, montre la surface accidentée de la face cachée de la Lune. Le bassin Pôle Sud-Aitken, ici en nuances de bleu, est le plus ancien et le plus grand bassin d'impact du système solaire. Il s'étend sur environ 2 500 km de diamètre pour 13 km de profondeur.
PHOTOGRAPHIE DE NASA, Goddard

Des chercheurs ont découvert une masse immense profondément enfouie sous la face cachée de la Lune. Selon les scientifiques, pour parvenir à la même masse sur Terre, il faudrait enfouir du métal sous une surface de plus de 50 000 km², soit près de deux fois la superficie de la Belgique.

La structure qui fait l’objet d’un article publié récemment dans Geophysical Research Letters reposerait à près de 300 km sous le bassin Pôle Sud-Aitken, un cratère colossal formé dans le sol lunaire il y a des milliards d’années alors que la surface initialement en fusion de la Lune avait suffisamment refroidi pour garder les traces d’un impact.

L'équipe a découvert cette anomalie en recoupant les données de la mission Gravity Recovery and Interior Laboratory (GRAIL) à celles topographiques de la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LOR). Ils ont ainsi pu affiner les calculs précédents portant sur l’épaisseur de la croûte du cratère et la densité du manteau, ce qui a permis de révéler l’étrange excèdent de masse souterrain.

Cette masse est probablement liée à la formation du cratère et pourrait bien provenir du noyau métallique d’un ancien impacteur, comme l'indique le coauteur de l’étude Peter James de l’université Baylor. Bien que cet excédent de masse ne soit pas immédiatement visible à la surface, il semblerait qu’il ait tout de même un effet considérable sur le paysage lunaire en le tirant vers le bas pour former une étrange dépression ovoïdale environ 800 m plus basse que le plancher du cratère environnant, une particularité appelée dépression centrale.

« C’est un résultat impressionnant, » commente Daniel Moriarty, géologue lunaire au NASA Goddard Space Flight Center. « Il nous donne des indices sur ce qu’il se passe à l’intérieur de la Lune. »

Cette image en fausses couleurs montre la topographie de la face cachée de la Lune, les couleurs chaudes correspondant aux plus hautes altitudes et les couleurs froides aux plus basses. Le cercle en pointillé indique la région où se trouve l’excédent de masse sous le bassin Pôle Sud-Aitken.
Image de NASA, Goddard Space Flight Center, Université De L'arizona

Ce n’est pas la première fois que le bassin Pôle Sud-Aitken se retrouve au centre de toutes les attentions, que ce soit pour la composition de son sol ou pour ses impressionnantes dimensions.

« C’est le plus grand cratère préservé du système solaire dont nous ayons connaissance, » souligne James. La découverte de cette masse mystérieuse ne fait qu’ajouter à sa renommée, surtout depuis que le cratère et son voisin le pôle Sud lunaire sont devenus des cibles potentielles pour les futures missions sur la Lune.

Les scientifiques trépignent déjà d’impatience à l’idée d’étudier cette forme obscure. De tels travaux pourraient permettre d’en apprendre plus sur l’impact monumental à l’origine du cratère tout en comblant certaines lacunes sur la formation et l’évolution au fil du temps de notre âme sœur cosmique et des autres corps célestes.

« En tant que spécialiste de la modélisation d’impacts, c’est captivant, » jubile Brandon Johnson, planétologue à l’université Brown, non impliqué dans l’étude. « J’aimerais vraiment me pencher sur le sujet. »

 

UNE DÉCOUVERTE COLOSSALE

Baptisées Ebb et Flow, les deux sondes spatiales de la mission GRAIL ont été lancées en 2011 pour entrer en orbite autour de la Lune pendant près d’un an afin de détecter avec précision les variations de son champ gravitationnel. À l’aide de ces données, l’équipe de scientifiques dédiée à la mission a pu reconstruire une carte détaillée du champ de gravité lunaire.

Ces données nous donnent un aperçu de la situation à la fois sur et sous la surface lunaire. Plus la masse est importante, comme une topographie plus élevée ou des roches plus denses, plus la gravité est forte. Ces cartes ont permis de mettre en évidence une différence frappante entre la majorité des cratères de la Lune et le bassin Pôle Sud-Aitken.

Les autres grands cratères présentent une concentration de masse ou réplétion. Découvertes en 1968 par des scientifiques du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, les réplétions apparaissent sur les cartes de gravité comme le centre d'une cible : un cercle central de gravité forte entouré par un anneau de gravité faible lui-même encerclé par un autre anneau de gravité forte. Ce phénomène est dû à la façon dont la croûte à faible densité et le manteau à forte densité réagissent après un impact.

Sur le bassin Pôle Sud-Aitken, on ne retrouve pas cette structure. Pour comprendre ce qu'il se passait sous la surface, les scientifiques se sont donc tournés vers les calculs et ont créé un modèle à l'aide des nouvelles hypothèses sur les forces en jeu qui reflète plus précisément le système naturel. Ce sont ces résultats qui ont fait apparaître la vaste zone de matière dense située sous le manteau supérieur lunaire.

 

LES VESTIGES D'UN NOYAU ?

Pour expliquer la présence de cette masse souterraine, l'équipe de chercheurs a dégagé deux hypothèses. La première : elle pourrait provenir des restes d'oxydes denses formés lors des phases finales du refroidissement de la Lune alors que celle-ci était encore recouverte d'océans de magma. Avec cette théorie, les chercheurs ne parviennent toutefois pas à expliquer pourquoi cette masse s'est précisément retrouvée sous le bassin Pôle Sud-Aitken.

« Pourquoi, parmi toutes les régions possibles, se serait-elle retrouvée là ? » s'interroge James.

Seconde hypothèse : la masse serait constituée des vestiges d'un ancien impacteur. Le corps céleste responsable du gigantesque bassin lunaire était probablement suffisamment grand pour s'être formé en deux couches distinctes. Comme de nombreuses planètes aujourd'hui, il est donc probable qu'il se composait d'un noyau métallique dense et d'une couche rocheuse externe.

Quand le jour de sa collision arriva, l'énergie de l'impact creusa un cratère en demi-sphère sur la surface de la Lune où le noyau métallique de l'impacteur se retrouva pulvérisé. Le cratère ne garda pas longtemps sa forme originale et il fut rapidement recouvert partiellement de roche en fusion qui emprisonna au passage les restes fondus du noyau de l'impacteur.

« À mon avis, c'est ce qu'il s'est passé, » commente James.

« Cette hypothèse est tout à fait convaincante, » observe Johnson en reconnaissant la plausibilité de l'hypothèse du noyau. « Tout au long de la lecture de l'étude, je pensais aux différentes façons d'y faire suite pour essayer de mieux comprendre les origines de l'excédent de masse qu'ils ont découvert. »

 

UNE CURIOSITÉ GRANDISSANTE

En plus de l'identification de la mystérieuse masse, la nouvelle étude redéfinit les frontières internes du bassin et démontre que les scientifiques avaient jusque-là sous-estimé la taille du cratère, une découverte potentiellement importante étant donné les nombreuses missions préparées par la NASA et d'autres agences à destination du bassin et du pôle Sud voisin. Les derniers chercheurs à avoir délimiter cette frontière avaient utilisé des données de la mission Clementine auxquelles il manquait une partie concernant l'extrémité sud du bassin. L'étude évoquée ici utilise en revanche des données plus exhaustives fournies par LRO et GRAIL qui ont permis d'établir que le cratère était 65 km plus large que les premières estimations.

Dans son ensemble, l'étude ne fait qu'accroître la curiosité qui entoure déjà le bassin Pôle Sud-Aitken.

« C'est tellement mystérieux, » déclare Sara Mazrouei du Center for Planetary Science and Exploration de la Western University, non impliquée dans l'étude. En améliorant notre compréhension de cette masse, les scientifiques espèrent approfondir nos connaissances sur la formation des corps de notre famille céleste.

« Toutes les planètes de notre système solaire se sont formées suite à la collision de différents corps les uns avec les autres pour finalement façonner quelque chose de massif, » explique Moriarty.

Sur Terre, l'agitation constante de la tectonique des plaques a soigneusement effacé l'ancienne surface de la planète et les traces d'impacts qu'elle comportait. Sur la Lune en revanche, la surface est âgée de plusieurs milliards d'années et elle constitue un véritable historique des événements survenus lorsque notre système solaire n'en était qu'à ses balbutiements, notamment ceux à l'origine de l'un des plus grands bassins d'impact de notre voisinage cosmique. (À lire : Une activité tectonique aurait été détectée sur la Lune.)

« Il y a encore tellement de choses que nous ne comprenons pas sur le processus exact qui a mené à sa formation, » conclut Moriarty en parlant du bassin Pôle Sud-Aitken. « C'est un domaine de recherche, très, très, très important à l'heure actuelle. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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