La Chine veut rapporter sur Terre les premiers échantillons lunaires depuis 1976

La sonde Chang’e-5 est en route pour la Lune, où elle collectera des morceaux de roches lunaires avant de les rapporter sur Terre.Une ambitieuse mission qui ouvre une nouvelle ère mondiale de l’exploration lunaire.

De Andrew Jones
Publication 24 nov. 2020, 17:25 CET
Chang’e-5, la sonde spatiale chinoise, atterrira près du Mons Rümker, un massif volcanique dans la région nord-ouest ...

Chang’e-5, la sonde spatiale chinoise, atterrira près du Mons Rümker, un massif volcanique dans la région nord-ouest de la face visible de la Lune, qui culmine à 1 100 mètres d’altitude. Ce cliché du Mons Rümker a été pris par l’équipage de la mission Apollo 15 alors en orbite lunaire.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

Avec le lancement de la sonde Chang’e-5, la Chine s’attelle à sa mission spatiale la plus complexe et ambitieuse jamais réalisée. Objectif : rapporter sur Terre des morceaux de roche lunaire, ce qui n’a pas été accompli depuis les années 1970.

Il était 21h30, heure française, le 23 novembre, lorsque la fusée Longue Marche 5 a décollé du centre de lancement spatial de Wenchang, situé sur la côte de l’île chinoise de Hainan, transportant la sonde de 8,2 tonnes. Une fois la séparation avec la fusée accomplie, Chang’e-5 utilisera ses propres propulseurs pour effectuer le voyage d’environ quatre jours jusqu’à la Lune. Elle déploiera alors un atterrisseur qui se posera près du massif volcanique de Mons Rümker, situé dans la région nord-ouest de la face visible de la Lune, avant de forer et de ramasser des échantillons de la surface lunaire, qui seront ensuite stockés dans une capsule de protection.

L’atterrisseur est équipé d’un module de remontée, qui propulsera à nouveau cette capsule en orbite autour de la Lune. Les Chinois espèrent qu’elle transportera à son bord deux kilos de roches lunaires. La sonde en orbite récupérera la capsule avant d’entamer son retour sur Terre. Elle devrait rentrer à haute vitesse dans l’atmosphère avant d’atterrir en Mongolie au terme d’une mission de 23 jours.

Selon Long Xiao, scientifique planétaire à l’université des géosciences de la Chine, les échantillons lunaires collectés « apporteront de nouvelles connaissances sur l’histoire de la Lune ». L’activité volcanique de la Lune intéresse tout particulièrement les scientifiques, qui pensaient auparavant que celle-ci avait duré un peu plus d’un milliard d’années après la formation de notre satellite il y a 4,5 milliards d’années. Cependant, les scientifiques qui étudient les cratères lunaires croient désormais que les éruptions et les coulées de magma se sont poursuivies jusqu’à bien plus récemment dans certaines régions, faisant ainsi disparaître quelques anciens cratères et laissant sur son passage une roche volcanique plus jeune.

Les roches rapportées par Chang’e-5 « nous pousseront à nous demander à nouveau pourquoi et comment l’histoire volcanique de la Lune a duré aussi longtemps », ajoute Long Xiao.

La sonde Chang’e-5, homologuée pour la première fois en 2004, est un volet très attendu des plans d’exploration lunaire de la Chine. Conçue dans ce but, la fusée Longue Marche 5 a demandé de nombreuses avancées technologiques dans le domaine des fusées ; elle dispose des moteurs chinois les plus puissants et arbore une nouvelle conception structurelle. En juillet 2017, le second lancement du lanceur lourd a échoué en raison d’un problème sur l’une des turbopompes du moteur, ce qui a retardé la mission Chang’e-5 de trois ans.

La Chine ouvre ainsi une nouvelle ère mondiale de l’exploration lunaire.

« Les nations spatiales semblent désormais voir la Lune comme un lieu favorable à l’exploration à long terme et éventuellement à l’exploitation des ressources et à la colonisation », confie John Logsdon, historien spatial et professeur émérite au Space Policy Institute de l’université George Washington.

 

À LA RECHERCHE D'ÉCHANTILLONS LUNAIRES PLUS JEUNES

C’est en 1976 que Luna 24, une sonde soviétique, a livré les derniers échantillons lunaires. À l’issue de cette mission, 170 grammes de roche lunaire ramassées sur la surface de la Lune ont été rapportés sur Terre. La mission Chang’e-5 ressemblera aux missions Apollo plus complexes, qui ont collecté au total 382 kilogrammes de roche.

Mais, alors que les échantillons des missions Apollo avaient plus de trois milliards d’années, ceux prélevés par Chang’e-5 devraient être âgés de moins de deux milliards d’années. Les scientifiques seront ainsi en mesure d’étudier le volcanisme dans sa phase avancée, qui a façonné les parties les plus jeunes de la surface rocheuse que nous voyons aujourd’hui.

Chang’e-5 alunira à proximité du Mons Rümker, qui s’élève à 1 100 mètres au-dessus de l’Oceanus Procellarum (Océan de tempêtes en latin). Plaine de roches volcaniques qui se sont formées pendant l’activité magmatique passée, l’Oceanus Procellarum constitue la majeure partie des plaines basaltiques sombres connues sous le nom de « maria » ou « mers », visibles à l’œil nu sur la surface lunaire. Les scientifiques pensent que certaines roches de cette région seraient bien plus jeunes que tous les autres échantillons lunaires collectés.

L’histoire volcanique de la Lune n’est pas le seul mystère que Chang’e-5 tentera de lever. James Head III, scientifique planétaire à l’université de Brown, confie que la piste d’atterrissage permettra « la vérification de toutes sortes d’hypothèses fondamentales ».

L’étude de la minéralogie des roches et des sols autour du Mons Rümker pourrait permettre de savoir pourquoi la région présente une concentration inhabituelle et inexpliquée de certains éléments, notamment de potassium, de terres rares et de phosphore, ainsi qu’un niveau anormalement élevé de radioactivité dû au thorium et à l’uranium. « Les réponses aux excellentes questions fondamentales que nous nous posons changeront grandement notre façon de considérer la Lune », explique James Head III.

La mission pourrait également aider à préciser l’âge des objets de l’ensemble du système solaire. Les cratères d’impact s’accumulant selon un taux estimé au fil du temps, le fait de compter le nombre de cratères et de mesurer leur taille dans une zone fournit des indices sur l’âge du site. Cependant, la datation des échantillons lunaires peut donner un âge plus précis de la surface lunaire, mais aussi des autres objets criblés de trous évoluant dans le système solaire et qui sont souvent datés par comparaison de leur surface à celles de régions lunaires d’âge équivalent.

Clive Neal, spécialiste en géologie lunaire à l’université de Notre Dame, pense que les nouvelles analyses de datation « pourraient éventuellement remettre en question des théories et hypothèses et donner lieu à de nouvelles interrogations » quant à la formation de notre voisinage planétaire.

 

ÉCHANTILLONNAGE ET ÉTUDE DE LA SURFACE LUNAIRE

L’échantillonnage de la roche par Chang’e-5 se fera de deux façons. Une foreuse creusera à une profondeur d’environ 1,80 mètre tandis qu’une pelle ramassera les roches et la poussière lunaires en surface. Une fois sur Terre, la précieuse charge sera transférée dans un conteneur scellé au laboratoire chinois d’échantillons lunaires, situé au sein de l’Observatoire astronomique national de Pékin. Là-bas, les scientifiques étudieront la composition minéralogique et chimique des échantillons et procéderont notamment à la mesure de l’abondance de certains radioisotopes, des éléments qui se dégradent avec le temps, afin de les dater avec précision.

Il y a plus d'eau sur la Lune qu'on ne le pensait

Long Xiao estime que la mission est un grand événement pour les scientifiques lunaires et planétaires chinois. « Nous disposerons de nouveaux échantillons lunaires à étudier, qui seront les nôtres, [et] cela encouragera les jeunes étudiants et scientifiques à choisir la voie des sciences planétaires et de l’exploration spatiale », dit-il.

Nous ignorons pour l’instant si seuls les scientifiques chinois pourront étudier ces échantillons. Karl Bergquist, responsable de la coopération internationale pour l’Agence spatiale européenne, a déclaré que des discussions entre l’ESA et l’Agence spatiale nationale chinoise avaient eu lieu concernant l’envoi d’échantillons dans d’autres laboratoires. Aucun accord n’a été conclu pour le moment.

Il souligne néanmoins que l’ESA jouera un rôle dans la mission : elle offrira « l’aide de [son] solide réseau spatial lors du début délicat de la mission, puis apportera un soutien complémentaire lors des phases critiques de la mission ».

L’atterrisseur contient également des instruments scientifiques similaires à ceux embarqués lors de la mission Chang’e-4, la première de l’histoire à s’être posée sur la face cachée de la Lune et qui se poursuit toujours. Grâce à la technologie de radar pénétrant la surface lunaire, les scientifiques pourront discerner les différentes couches de roche sur plusieurs centaines de mètres de profondeur, révélant l’histoire géologique des lieux. Enfin, un spectromètre imageur semblable à celui utilisé par Chang’e-4 pour la détection de roches susceptibles de provenir des profondeurs du manteau lunaire, sera employé à des fins d’analyse de la composition de la zone d’atterrissage et de recherche de minéraux contenant de l’eau.

 

DES MISSIONS HABITÉES COMME OBJECTIF

L’adoption, par la Chine, d’une approche semblable à celle des missions Apollo suggère que le pays cherche à mettre au point les technologies nécessaires pour des missions encore plus ambitieuses. « Cette mission n’est qu’un élément d’une longue série planifiée de missions d’exploration lunaire robotiques par la Chine », explique John Logsdon.

Après les missions réussies des orbiteurs lunaires Chang’e-1 et Chang’e-2, et des atterrisseurs et rovers Chang’e-3 et Chang’e-4, la Chine a établi des plans d’exploration ciblant le pôle sud. Si la mission Chang’e-5 est une réussite, une sonde identique baptisée Chang’e-6 tentera de réaliser la mission de retour d’échantillons depuis le pôle sud lunaire. De par l’importante quantité de glace qui s’y trouve et la présence du bassin Pôle Sud-Aitken (l’un des plus grands cratères d’impact du système solaire), cette zone présente un grand intérêt scientifique.

Les sondes Chang’e-7 et Chang’e-8, encore plus perfectionnées, devraient atterrir à proximité du pôle sud pour mener des analyses de la région et procéder aux essais de nouvelles technologies. Sont notamment au programme la détection et l’extraction de matériaux pouvant être utiles aux futurs explorateurs humains, comme l’eau et l’hydrogène, ainsi que l’essai d’une imprimante 3D sur la surface lunaire. L’objectif à long terme est l’implantation de la station de recherche lunaire internationale aux alentours de 2030 afin de soutenir les missions robotiques, puis humaines.

« Nous assistons à une convergence des efforts humains et robotiques qui finiront par déboucher sur le lancement de missions habitées sur la Lune par la Chine », déclare John Longsdon.

Pour gagner en expérience dans le domaine des vols spatiaux habités, la Chine va commencer la construction de sa troisième station spatiale dans l’orbite terrestre basse en 2021. Elle sera la plus grande et la plus complexe jamais construite par le pays et devrait avoir une durée de vie de dix ans. Cela permettra à la Chine d’acquérir une expérience précieuse alors qu’elle se prépare à envoyer des astronautes plus loin dans l’espace.

Les missions Chang’e préparent aussi le terrain en vue de futures missions robotiques à destination d’autres objets célestes. Le pays dispose déjà d’un orbiteur et d’un rover en route pour Mars dans le cadre de la mission Tianwen-1, qui étudiera la composition chimique, le champ magnétique et la structure superficielle de la planète rouge. Quant à Chang’e-5, elle constitue une étape essentielle pour une future et audacieuse mission de retour d’échantillons martiens (objectif figurant sur la feuille de route d’exploration spatiale de la Chine à atteindre d’ici la fin de la décennie) ainsi que pour une mission d’échantillonnage d’un astéroïde proche de la Terre.

« Cette capacité d’exploration accrue offrira plus d’opportunités d’exploration du système solaire », confie Long Xiao.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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