Nouvelle tentative de décollage vers la Lune pour la fusée la plus puissante de la NASA

Après des années de travail acharné, le Space Launch System conçu pour marcher à nouveau sur la Lune sera bientôt prêt à prendre son envol.

De Michael Greshko
Publication 31 août 2022, 14:40 CEST
La fusée Space Launch System de la mission Artemis I se prépare pour une série de ...

La fusée Space Launch System de la mission Artemis I se prépare pour une série de tests, alors que la brume se dissipe au Complexe de lancement 39B du Kennedy Space Center de la NASA. 

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

Sous un ciel dégagé du mois de mars au Kennedy Space Center de la NASA, une fusée frôlant les 100 mètres de hauteur émerge du bâtiment où elle a vu le jour. Baptisé Space Launch System, le colossal véhicule orange et blanc fait sa première apparition en public, entièrement assemblé pour une dernière batterie de tests visant à le déclarer apte au vol. Solidement arrimé à sa tour de montage et chevauchant un engin à chenilles, le lanceur avance lentement sur la piste de 6,8 km pavée de galets. Soudainement, la procession s'arrête.

Une pièce viendrait-elle à manquer ? Peut-être un problème mécanique ? Pendant plus d'une heure et demie, la structure reste immobile. Attirés par l'agonie du jeune oiseau de métal, les vautours entament leur bal funeste à la verticale de sa carcasse.

Je ne mets pas longtemps à réaliser que les charognards profitent simplement de l'air chaud dégagé par le toit chauffé à blanc du Vehicle Assembly Building, dont les 175 mètres de hauteur sous plafond ont abrité le SLS pendant son assemblage, mais aussi celui de la fusée Saturn V du programme Apollo et de la navette spatiale. Finalement, le SLS reprend la route, imperturbable. Aucun mauvais présage, juste une fenêtre vers de nouveaux sommets.

Pour la mission Artemis I, le siège du commandant à bord de la capsule Orion sera occupé par un mannequin baptisé Campos, en hommage à Arturo Campos, un ingénieur de la NASA qui avait contribué à sauver l'équipage d'Apollo 13. Le mannequin est équipé de capteurs pour mesurer les forces et les effets du vol spatial. 

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

Le 29 août, une tentative de lancement a dû être avortée en raison d'un problème de moteur. En admettant que la NASA puisse résoudre le problème rapidement, le SLS pourrait quitter la Terre dès le 2 septembre dans le cadre de la mission Artemis I. L'objectif de ce lancement non habité est de placer une nouvelle capsule Orion en orbite autour de la Lune pendant 6 à 19 jours avant son retour sur Terre.

Dès le mois de mai 2024, un équipage de quatre astronautes pourrait voler en orbite lunaire dans le cadre de la mission Artemis II. La dernière fois que des humains ont parcouru les 384 400 km qui nous séparent de la surface de la Lune, c'était en 1972. La NASA prévoit de réitérer l'exploit à l'horizon 2025.

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    L'une des premières maquettes du SLS est exposée dans cette soufflerie de 35 cm de diamètre au Marshall Space Flight Center de la NASA à Huntsville, en Alabama. Conçue par les militaires américains à la fin des années 1950, cette soufflerie était utilisée pour mettre à l'épreuve les maquettes de la fusée Saturn V et de la navette spatiale dans le programme Apollo.

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    Cependant, avant l'entrée en scène des astronautes, le SLS et la capsule Orion devront faire leurs preuves. Au décollage d'Artemis I, un tonnerre artificiel ébranlera Merritt Island alors que les quatre moteurs-fusées et les deux propulseurs d'appoint à propergol solide, les plus grands jamais construits, généreront jusqu'à 3 900 tonnes de poussée. Pendant ses 500 secondes d'ascension vers l'espace, le SLS atteindra la vitesse de 28 000 km/h.

    En quittant le pas de tir, la fusée Saturn V s'apparentait à une tortue, avec une prise de vitesse lente et régulière, alors que la navette spatiale avait tout du lièvre bondissant. Grâce à ses deux propulseurs d'appoint, le SLS va probablement jaillir du pas de tir comme le ferait la navette, en s'élançant vers le ciel sur une colonne explosive de gaz incandescents.

    La fusée et la capsule Orion sont les premiers engins spatiaux habitables conçus par la NASA depuis la navette, dont le premier vol remonte à 1981. Le SLS est également la fusée la plus puissante jamais construite par l'agence américaine. « J'ai demandé à notre équipe de prendre un moment » raconte la directrice du lancement d'Artemis I, Charlie Blackwell-Thompson, à l'occasion d'une conférence tenue quelques jours avant la présentation de la fusée. « Regardez où vous êtes et appréciez ce moment, car les premières ne sont pas si fréquentes dans une carrière. »

    Flammes et fumée s'échappent d'un centre d'essais de Northrop Grumman à Promontory, dans l'Utah, lors d'un test des propulseurs d'appoints du SLS. Chaque propulseur produira 1 600 tonnes de poussée au décollage.

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    Avant même de songer à quitter le sol, le SLS a dû affronter bien plus que la gravité. La fusée s'est heurtée à de nombreux obstacles : plusieurs années de retard, des milliards de dollars en déficit budgétaire, une critique permanente et la possibilité pour des entreprises privées de lancer sous peu des fusées tout aussi massives à un coût nettement inférieur.

    Pour l'instant, le SLS est la seule fusée capable de lancer des astronautes sur la Lune. Selon John Blevins, ingénieur en chef de la fusée pour la NASA depuis 2019, celle-ci représente un aspect fondamental des ambitions propres à notre espèce. « Si vous pensez aux différentes civilisations, comme les Phéniciens ou les Égyptiens, nous les décrivons généralement par leurs arts, leurs contributions scientifiques et leur exploration » indique Blevin. « Cette fusée incarne la soif d'exploration de notre nation. »

    Au Systems Integration Lab du Marshall Space Flight Center de la NASA à Huntsville, en Alabama, un système informatique sophistiqué est utilisé pour simuler plusieurs centaines de milliers de lancements du SLS. 

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    AU PAYS DES FUSÉES

    Le cœur des fusées SLS est né au centre d'assemblage Michoud de la NASA, à une vingtaine de kilomètres à l'est de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. La structure de 17 hectares abrite le noyau dur de la construction de fusées pour l'agence spatiale américaine. Jadis une plantation française de canne à sucre célèbre pour ses cyprès et sa population de rats musqués, le centre Michoud a fait ses débuts dans l'aérospatiale en 1942, date à laquelle le gouvernement des États-Unis a réquisitionné un chantier naval inachevé pour construire des avions-cargos.

    En septembre 1961, le centre est passé sous le contrôle de la NASA qui cherchait un site de construction disposant d'un port en eau profonde pour bâtir la fusée Saturn V du programme Apollo. L'étage principal de Saturn V y a été assemblé, ainsi que les emblématiques réservoirs orange de la navette spatiale. « Jusqu'à récemment, il était impossible de quitter la Terre sans passer par Michoud, » déclare Amanda Gertjejansen, ingénieure pour Boeing.

    Supervisée par Boeing, la construction des étages principaux du SLS est organisée d'est en ouest à travers Michoud. Des caisses en bois chargées de tôle d'aluminium entrent par les portes de l'usine. Les tôles sont ensuite soudées en segments cylindriques, eux-mêmes empilés puis soudés pour former les réservoirs de carburant, l'anneau inter-réservoirs et la jupe qui relie le corps du SLS aux adaptateurs maintenant la capsule Orion. Après un examen minutieux des cordons de soudure, la pulvérisation d'une mousse isolante à l'extérieur, l'installation des systèmes avioniques et d'innombrables ajustements, les étages achevés quittent la structure, prêts à rejoindre la Floride par la mer.

    Pour que le SLS soit à la fois solide et léger, la face intérieure des tôles d'aluminium est partiellement alésée, comme le montre cette photo de la section moteur du SLS prise au centre d'assemblage Michoud de la NASA. Cet usinage méticuleux forme une structure appelée ISOGRID avec des nervures de renforcement triangulaires.

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    Les soudeurs du Marshall Space Flight Center de la NASA utilisent une machine imposante pour assembler les panneaux qui composent l'adaptateur d'étage conique, la pièce reliant le premier étage du SLS au deuxième étage.

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    Dans une autre section du centre Michoud, Lockheed Martin construit les cadres structurels de la capsule Orion, dont l'assemblage est achevé au Kennedy Space Center. Les propulseurs d'appoint installés de part et d'autre du premier étage sont construits en segments par Northrop Grumman dans l'Utah, puis acheminés en train pour être assemblés en Floride. Quant aux moteurs RS-25 qui alimentent le premier étage, ils sont passés au banc d'essais par Aerojet Rocketdyne dans le Mississippi.

    Pour construire une fusée de cette envergure, il faut une infrastructure immense, presque inédite, ne serait-ce que pour les soudures sur le premier étage du SLS. Contrairement aux soudures habituelles réalisées à la torche ou à l'arc, le procédé utilisé pour le SLS est le soudage par friction. Un pion cylindrique est placé sur la jointure entre deux plaques de métal. La rotation rapide du pion chauffe la jointure à une température avoisinant les 500 °C, juste assez pour ramollir le métal, puis le mouvement du pion le long de la jointure fusionne les extrémités des deux plaques.

    Ce processus offre des soudures plus résistantes avec moins d'impuretés tout en supprimant le recours au métal d'apport. Lorsqu'un prototype du réservoir d'hydrogène liquide du SLS a été comprimé à plus de 2,5 fois la charge subie en cours de vol jusqu'à l'explosion, la rupture ne s'est pas faite le long des soudures.

    Sous les feux de l'ossature du Vehicle Assembly Building de la NASA, la fusée SLS et la capsule Orion pour la mission Artemis I attendent leur premier déploiement pour la « wet dress rehearsal » (répétition en costume mouillé, ndlr). Au programme : remplissage des réservoirs de carburant et procédures de compte à rebours.

    PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

    Ces soudures nécessitent des outils hors du commun. Au centre d'assemblage Michoud, quatre piliers en poutres d'acier bleu s'élèvent à plus de 50 mètres de hauteur. Avec ses 23 mètres d'envergure, l'installation est la plus grande machine de soudage du genre jamais construite. Les segments cylindriques s'emboîtent au bas de la tour et avec chaque nouveau segment le réservoir à carburant se rapproche du plafond. Un cercle de 72 serre-joints maintient les cylindres adjacents en place pendant qu'un bras robotisé progresse sur une trajectoire circulaire, soudant les sections à l'aide du pion de friction.

    Les fondations de la machine renferment près de 10 km d'armature et la dalle de béton a nécessité l'intervention d'une file de camions s'étalant sur plus de deux kilomètres. Malgré ce gigantisme, l'appareil est si précis qu'il est capable de suivre sa propre position au millième de pouce. Ingénieur pour Boeing, Steve Ernst pose sur la tour le regard d'un père rempli de fierté. « J'étais l'un des premiers ingénieurs sur ce projet, depuis le jour où trois d'entre nous ont esquissé la structure sur un tableau blanc » me raconte-t-il.

    Plus tard ce jour-là, dans le bâtiment 103 du centre Michoud, Gertjejansen me montre le fruit de tous ces efforts : le premier étage du SLS pour Artemis II. Face à ses 65 mètres de longueur et 8,4 mètres de diamètre, le premier étage du véhicule me paraît grand, viscéralement grand, absurdement grand : un monument aux nuances crème et abricot, ses parois extérieures recouvertes d'une mousse virant à l'orange au contact de l'oxygène. Des conduits argentés courent le long du fuselage pour alimenter les moteurs en carburant. En passant la tête dans la section réservée au moteur, absent pour le moment, je découvre une cavité parcourue par un labyrinthe de tuyaux en tout genre, comme sur les aires de jeux d'enfants.

    Gertjejansen a assisté au montage pièce par pièce de cette fusée. Née à La Nouvelle-Orléans, elle a fait ses débuts chez Boeing à Philadelphie avant de répondre à l'appel de Michoud pour un contrat de six mois. Neuf ans plus tard, Gertjejansen est à la tête d'une grande équipe de techniciens aux qualifications variées. Les couvertures thermiques de la section moteur sont ajustées à la main. La mousse isolante est pulvérisée à la main. Les repères en damier installés sur les flancs de la fusée sont peints à la main, ce sont eux qui permettent de suivre l'orientation et la vitesse du véhicule depuis la Terre. « Si l'on vous dit "construction de fusée", vous pensez aux scientifiques de l'aérospatiale, mais ce n'est qu'une petite partie de notre équipe » précise-t-elle.

    Quelques heures plus tôt, au niveau des panneaux de contrôle du Vertical Assembly Center, j'ai rencontré une partie des soudeurs. L'un d'entre eux, Shawn McGee, est un employé de troisième génération chez Michoud. Sa grand-mère a travaillé sur ce site pendant Apollo. Son père a reçu des brevets pour des travaux de soudure sur la navette spatiale.

    « Je dois leur faire honneur, » déclare McGee.

     

    SIMULATIONS EN SÉRIE

    À certains égards, le SLS a littéralement copié la navette spatiale. Les premiers lancements de la fusée feront appel aux moteurs RS-25 déjà utilisés pour les missions de la navette ; ils seront simplement restaurés et équipés de nouvelles commandes. Certains segments des propulseurs d'appoint du SLS ont également déjà servi sur des missions de la navette ; ils ont été récupérés sur les propulseurs repêchés dans l'Atlantique puis restaurés. Lors de son décollage, la mission Artemis I embarquera des pièces issues de 83 vols différents de la navette spatiale.

    Cela dit, construire un nouveau véhicule à partir de pièces conçues pour la navette n'a pas été une mince affaire. Le réservoir de la navette se trouvait à côté des moteurs principaux, sur le SLS, ces moteurs sont directement sous le réservoir, c'est donc un nouvel environnement pour ces deux composants. Afin d'étudier le comportement en vol du nouveau véhicule, les ingénieurs utilisent une fusée virtuelle au Marshall Space Flight Center de la NASA.

    Quelque part dans le Systems Integration Lab, une rangée d'ordinateurs entourée de ventilateurs trace un demi-cercle presque aussi large que le SLS. Couverte de boîtes métalliques et truffée de câbles, elle renferme une copie apte au vol des ordinateurs et de l'avionique du SLS. Dans une autre salle du laboratoire bourdonne le système Advanced Real-Time Environment for Modeling, Integration, and Simulation (ARTEMIS), dont le rôle est de simuler des lancements du SLS avec une infime précision, jusqu'au niveau de carburant des réservoirs.

    Cloués au sol, les ordinateurs « ont une longue vie mais une vie bien remplie, » plaisante Dan Mitchell, responsable logiciel du SLS. Si une Matrice devait exister pour le SLS, je me tenais devant elle.

    ARTEMIS simule les forces agissant sur la fusée au décollage, de la traînée aérodynamique aux variations de températures et de pression du réservoir, et ce, jusqu'à 10 000 fois par seconde. En réponse, l'ordinateur de vol du SLS apporte des modifications à la fusée virtuelle toutes les 20 millisecondes. L'ordinateur de vol exécute 50 000 lignes de code, ARTEMIS en exécute trois millions. À eux deux, ils comptabilisent plusieurs centaines de milliers de décollages virtuels et ont dû faire face à la myriade de problèmes imposés à la fusée virtuelle par les ingénieurs.

    Pour Shaun Phillips, responsable du logiciel de vol sur le SLS, le moment de vérité est arrivé en mars 2021 au Stennis Space Center de la NASA dans le Mississippi. Pendant un essai du premier étage d'Artemis I, ses quatre moteurs RS-25 se sont allumés et ont produit 725 tonnes de poussée pendant huit minutes, soit la durée de mise à feu nécessaire pour lancer Artemis I. Avant ce jour, le logiciel n'avait contrôlé que des fusées virtuelles pour cette durée. Désormais, il contrôlait le véritable engin sans aucun problème.

    « Lors de la mise à feu des moteurs, mon cœur battait la chamade, » se souvient Phillips. La prochaine fois que ces moteurs tourneront pendant huit minutes, ce sera pour lancer Artemis I vers la Lune.

     

    LA NAVETTE POUR MODÈLE

    Comme souvent dans l'exploration, le chemin emprunté par le SLS était semé d'embûches. La genèse de la fusée coïnciderait avec le drame de la navette Columbia : le 1er février 2003, la navette se désintègre lors de son entrée dans l'atmosphère en tuant ses sept membres d'équipage. L'année suivante, au mois de janvier, un comité ordonne le retrait des navettes spatiales et le président des États-Unis George W. Bush présente un nouveau programme destiné à envoyer des astronautes sur la Station spatiale internationale, la Lune et Mars.

    Officialisée sous le nom de programme Constellation en 2005, l'initiative prévoit alors la construction d'une capsule d'équipage baptisée Orion, d'un atterrisseur lunaire et d'une nouvelle famille de fusées. Rapidement, le programme dépasse le budget et prend du retard, ce qui pousse l'administration Obama à proposer son annulation en février 2010. La proposition ne manque pas d'alerter le Congrès des États-Unis, notamment en raison des contrats soutenus par Constellation qui assurent plusieurs milliers d'emplois hautement qualifiés et rémunérateurs à travers le pays.

    En réponse, le Congrès lance deux programmes aérospatiaux distincts : le programme Commercial Crew en collaboration avec SpaceX et Boeing pour le transport d'astronautes vers l'ISS, ainsi que le programme SLS.

    Pour l'équipe SLS, l'immensité de la tâche à accomplir est exacerbée par la multiplication des péripéties. En 2017, une tornade s'abat sur le centre Michoud et endommage deux bâtiments. En septembre dernier, l'ouragan Ida arrache le toit de la structure, sans oublier les contretemps liés à la pandémie de COVID-19. À ces éléments incontrôlables viennent s'ajouter la myriade de problèmes intrinsèquement liée aux projets de cette envergure. Selon le Bureau de l'Inspecteur général de la NASA, deux à trois mois ont été perdus en raison d'un lot contaminé de conduits à carburant. Neuf autres mois se sont envolés à cause d'un mauvais alignement de l'appareil de soudage par friction lors de sa construction.

    La fusée sera bientôt prête à voler, mais à quel prix ? D'après une chronologie établie par la NASA en 2014, le budget alloué pour la conception et la construction du SLS était de 9,1 milliards de dollars, pour un lancement en novembre 2018. En juin dernier, le Government Accountability Office des États-Unis a estimé que les coûts du programme avaient atteint 11,8 milliards de dollars, avec plus de trois ans de retard.

    « C'était vraiment frustrant » déclare Lori Garver, administratrice adjointe de la NASA de 2009 à 2013. « En quittant la NASA en 2013, je pensais qu'il y aurait un an ou deux de retard, et à cette époque le lancement était prévu pour 2017. La situation a dépassé mes pires cauchemars, mais nous y sommes enfin. »

    Les problèmes survenus avec le SLS « ne sont pas la faute des milliers de personnes impliquées dans ce projet » ajoute-t-elle. « C'est une réussite, malgré les coûts. »

    Le SLS n'est pas la seule composante du programme Artemis à avoir essuyé des revers. En mars, le Bureau de l'Inspecteur général de la NASA a estimé que l'ensemble du programme coûterait environ 93 milliards de dollars entre octobre 2011 et septembre 2025, dont 4,1 milliards de dollars pour chacun des quatre premiers lancements, une série de dépenses « insoutenable » d'après Paul Martin, l'inspecteur général.

    À en croire les détracteurs du programme, les coûts découleraient de la structuration archaïque des principaux contrats du programme Artemis. Tant que la NASA détient et exploite le SLS, l'agence doit couvrir l'ensemble des dépenses engagées par ses prestataires pour la construction de la fusée, avec des frais supplémentaires. « En l'état actuel, Artemis incarne le dernier souffle de l'industrie spatiale traditionnelle, » déplore John Logsdon, expert en politique spatiale et professeur émérite à l'université George Washington.

    Les constructeurs de la fusée estiment quant à eux que le programme a pris un tournant. Au début de la construction, il fallait 40 à 50 jours pour souder un seul cylindre du réservoir ; aujourd'hui, 16 jours suffisent. D'après la NASA et Boeing, le chemin emprunté par le programme SLS n'a rien de dévalorisant. De leur point de vue, la fusée n'est pas obsolète, elle est éprouvée. Sa construction n'est pas laborieuse, elle est méticuleuse. Son budget n'est pas excessif, c'est le prix à payer pour l'avenir de l'exploration. « On ne peut pas se permettre de ne pas le faire, » déclare Chris Canciola, gestionnaire adjoint du programme SLS au Marshall Space Flight Center de la NASA.

     

    EN ROUTE POUR LA LUNE

    Malgré tout, de plus amples efforts devront être déployés pour apporter les derniers ajustements au SLS. À l'heure actuelle, la fusée développe plus de poussée au décollage que Saturn V, mais elle n'est pas capable de lancer autant de masse vers la Lune. Cet écart est en grande partie dû à l'étage supérieur de la fusée, qui se sépare dans l'espace et allume ses propres moteurs pour propulser Orion sur la trajectoire lunaire.

    L'étage supérieur du SLS est un modèle provisoire avec un seul moteur utilisé uniquement pour les trois premières missions Artemis. À partir d'Artemis IV, la fusée utilisera les quatre moteurs du plus puissant « Exploration Upper Stage » (EUS, étage supérieur d'exploration). Cette mise à niveau permettra au SLS d'injecter au bas mot 38 tonnes sur une trajectoire lunaire au lieu des 27 tonnes initiales. La fusée recevra ensuite de nouveaux propulseurs d'appoint qui lui permettront d'injecter plus de 43 tonnes.

    La NASA aura grand besoin de cette capacité supplémentaire pour construire une station spatiale en orbite lunaire, comme elle prévoit de le faire après l'atterrissage d'Artemis III. L'agence ambitionne également d'établir une station de recherche sur la Lune en utilisant la configuration finale du SLS, baptisée « Block 2 » et surnommée le « vaisseau mère de tous les véhicules » par David Beaman, responsable du SLS Engineering & Integration Office de la NASA.

    Voilà un superlatif qui pourrait ne pas plaire à SpaceX, la société fondée par Elon Musk et spécialisée dans le domaine de l'astronautique et du vol spatial. En 2018, SpaceX a lancé la construction de son propre lanceur lourd partiellement réutilisable, Falcon Heavy, capable d'injecter une masse de 18 à 22 tonnes sur une trajectoire lunaire au tarif avantageux de 97 millions de dollars. L'entreprise se consacre actuellement à une fusée encore plus imposante, baptisée Starship, qui contrairement au SLS est conçue pour être entièrement réutilisable. Si le projet aboutit, la fusée pourra lancer des charges utiles considérables à des coûts incroyablement bas. Au long terme, SpaceX souhaite l'utiliser pour établir une ville sur Mars.

    Néanmoins, Starship est encore à l'état de prototype et l'accès à son plein potentiel est conditionné par un ravitaillement de carburant en orbite, ce qui n'a jamais été fait. Les représentants de la NASA insistent sur l'absence de concurrence entre les deux organisations, car les deux fusées sont essentielles au succès du programme Artemis. Les astronautes de la mission Artemis III quitteront la Terre à bord d'une capsule Orion lancée par le SLS, avant d'être transférés dans une première version de l'étage supérieur de Starship pour atterrir sur la Lune.

    Le succès de Starship dépend également de la capacité de SpaceX à poser puis relancer l'immense fusée. À l'inverse, les jours de chaque fusée SLS sont comptés. Moins de deux minutes après le décollage, les propulseurs du SLS tomberont dans l'océan Atlantique, et contrairement aux propulseurs de la navette spatiale, ils ne seront pas repêchés. Après huit minutes et demie de vol, le premier étage de la fusée se détachera pour rejoindre l'océan Pacifique. Enfin, deux heures après le lancement, l'étage supérieur se séparera de la capsule Orion et prendra le chemin d'une orbite solitaire autour du Soleil.

    « Elles ne seront pas visibles éternellement, mais notre implication restera à jamais gravée dans nos mémoires, » déclare Gertjejansen, la voix chargée d'émotion en évoquant le sort des fusées SLS.

    Avant de mener à bien leur mission et de disparaître, chaque SLS coiffée de la capsule Orion devra emprunter la piste du Kennedy Space Center, tout comme celle-ci l'a fait au mois de mars.

    Lorsque le soleil s'en est allé ce jour-là, les vautours lui ont emboîté le pas. Le véhicule qui transportait le SLS a frôlé les 1,2 km/h en s'avançant vers le complexe de lancement 39B, où allaient se dérouler les répétitions de la mission Artemis I. En chemin, la fusée a salué de toute sa hauteur la foule rassemblée pour l'occasion, pendant que la Lune entrait sur scène à l'horizon.

    Le SLS inondé de reflets lunaires, il émanait du tableau une ambition d'une indéniable beauté. Dans quelques années, la Lune pourrait à nouveau recevoir des visiteurs humains, propulsés par un formidable cornet vanille-pêche.

    L'histoire aura certainement beaucoup à dire sur le SLS et la nouvelle aventure spatiale de l'humanité. En attendant, la simple audace de son odyssée suffira à combler les milliers de personnes qui ont donné vie à la fusée.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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