La NASA s’entraîne à marcher sur la Lune dans le désert d’Arizona

Des astronautes en combinaisons spatiales ont parcouru un champ de lave pour tester les outils et les procédures qui seront employés lors de véritables missions lunaires.

De Michael Greshko
Publication 28 nov. 2022, 15:04 CET
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La NASA teste d’ores et déjà la façon dont les équipages des missions Artemis vont fonctionner sur la Lune : en octobre 2022, les astronautes Zena Cardman (à gauche) et Drew Feustel (à droite) ont travaillé dans un environnement simulant les conditions lunaires dans un champ volcanique de l’Arizona.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

En octobre dernier, l’astronaute de la NASA Zena Cardman a revêtu une fausse combinaison spatiale pour arpenter de nuit un champ de roches volcaniques, semblable à la surface de la Lune. Cardman, géobiologue, et son collègue astronaute, Andrew J. Feustel, participaient à une mission visant à collecter des échantillons de roches près du SP Crater, un cône de cendres de 250 mètres de haut, résultat d’une éruption volcanique survenue il y a plusieurs milliers d’années.

La NASA avait pris soin de complexifier l’expédition nocturne de Cardman et Feustel. Des scientifiques étaient chargés de déplacer un dispositif qui reproduisait la lumière du Soleil, projetant ainsi de longues ombres ondoyantes à travers le paysage escarpé. Dès que Cardman et Feustel sortaient de la zone éclairée, censée reproduire les conditions d’éclairage dans le pôle Sud de la Lune, et qu’ils pénétraient dans d’étroites vallées, leur visibilité n’allait pas au-delà de 10 mètres. Le duo examinait les caractéristiques des roches à l’aide des lampes intégrées dans leurs combinaisons, essayant de s’orienter uniquement à l’aide de cartes en basse résolution, comme s’ils travaillaient à partir des images d’un satellite lunaire. Ils n’étaient pas autorisés à utiliser de GPS ou de boussoles lors de leur sortie extravéhiculaire ou « EVA » (extravehicular activity). Après tout, aucun de ces deux outils ne fonctionne sur la Lune.

La simulation de sortie extravéhiculaire sur la Lune fut un défi pour les deux astronautes, qui se sentirent isolés et désorientés. Pourtant, Cardman et Feustel n’étaient pas seuls : une équipe de scientifiques et de membres des opérations de vol du Centre spatial Lyndon B. Johnson (JSC) de la NASA, situé à Houston dans le Texas, étudiait scrupuleusement les cartes du cratère volcanique et surveillait les progrès des astronautes. Le centre de contrôle des missions envoyait ensuite une série d’instructions et de conseils, transmis enfin à l’astronaute Kate Rubins, qui était alors « CAPCOM », à savoir contrôleuse de vol. En tant que principale interlocutrice du duo d’astronautes, c’est elle qui transmettait à Cardman et Feustel les informations dont ils avaient besoin à travers leurs oreillettes.

Géologue de formation, l'astronaute de la mission JETT3 Zena Cardman a participé à de nombreuses missions analogiques dont JETT2, autre simulation de sortie extravéhiculaire sur le sol lunaire qui a eu lieu en Islande.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

« C’était en fait extrêmement difficile », explique Cardman. « Le centre de contrôle des missions nous dit : “Vous devriez voir une colline en face puis vous devriez arriver dans une vallée.” Alors on se dit : “ Peut-être ! Devons-nous continuer ? Est-ce que c'est dans 8 ou 800 mètres ? ”»

Cette mission, connue sous le nom de Joint EVA Test Team 3 (JETT3), est la plus récente simulation de sortie extravéhiculaire sur la Lune de la NASA. Elle a été réalisée dans le cadre du programme Artémis, qui a pour objectif de renvoyer des astronautes sur la Lune d’ici à 2025. Ni Cardman, ni Feustel (ni aucun astronaute de la NASA d’ailleurs) n’a pour le moment été sélectionné pour cette excursion lunaire.

Le principal objectif de la mission JETT3 et d’autres missions analogiques comme celle-ci n’est pas d’entraîner les astronautes mais de tester tous les facteurs non-humains, qu’il s’agisse des burins utilisés lors des EVA ou de la documentation que les scientifiques, une fois de retour sur Terre, pourront utiliser pour cataloguer chacune des excursions à la surface de la Lune.

« L’objectif principal d’une mission analogique est d’élaborer et tester de nouveaux équipements et procédures dans un environnement plus sûr et moins coûteux que la Lune », explique Stan Love, astronaute de la NASA qui a participé à plusieurs missions de ce type. « C’est très gênant de tordre son marteau de géologue ou de fissurer sa visière. On ne veut pas que ça arrive ! »

Andrew J. Feustel, équipier de Cardman dans la mission JETT3, était géophysicien avant de rejoindre la NASA. Il est désormais chef adjoint du Bureau des astronautes de la NASA.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

SIMULER UNE MISSION SUR LA SURFACE DE LA LUNE

La NASA a organisé des missions analogiques dans divers endroits du globe et dispose de plusieurs installations permettant d’effectuer différents types de tests. Le laboratoire de flottabilité neutre (Neutral Buoyancy Laboratory) de la NASA est une gigantesque piscine au sein du JSC qui permet aux astronautes de simuler des sorties spatiales dans des combinaisons pressurisées. Le simulateur ARGOS (Active Response Gravity Offload System) de la NASA permet aux astronautes d’expérimenter les effets de la gravité sur Mars ou sur la Lune grâce à des câbles d’acier ainsi qu’à des moteurs guidés par ordinateur.

Le programme Artémis en cours, l’agence spatiale prépare de nouvelles missions analogiques à grande échelle avec de vrais outils, de vraies procédures et de vrais contrôles des missions. « Nous l’avons déjà fait par le passé, mais c’était il y a une dizaine d’années », explique, Sarah Noble, responsable de la science lunaire au sein de la division des sciences planétaires de la NASA, qui participe au projet JETT3. « Ce test a été conçu de sorte à être aussi réaliste que possible. »

Se préparer pour Artémis nécessite également d’élaborer de nouveaux types de sorties extravéhiculaires dont la science serait la priorité. Les astronautes du programme Apollo avaient suivi une formation approfondie en géologie de terrain et les nombreux échantillons qu’ils avaient rapportés sur Terre ont depuis changé notre compréhension de l’histoire de la Lune. Seulement à l’époque, les scientifiques sur Terre étaient « littéralement coupés de toute communication avec les astronautes à la surface de la Lune », explique Love, géologue planétaire de formation. Le recueil en direct de données scientifiques n’était pas une priorité lors des missions Apollo : l’objectif était avant tout d’aller sur la Lune avant les Soviétiques. La NASA a donc fait passer en priorité les procédures de vol de ces missions risquées.

Dans une série de missions analogiques connue sous le nom « D-RATS », la NASA a évalué la manière dont les astronautes manipuleraient un rover pressurisé sur la surface de la Lune ou de Mars. Ce prototype de 3,3 tonnes peut progresser dans toutes les directions.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Winters, National Geographic

Depuis Apollo, la science est devenue un élément central dans les missions orchestrées par le programme des astronautes américains. Sur la Station spatiale internationale (ISS) par exemple, les astronautes mènent régulièrement des expériences et peuvent être contactés en cours de mission par des scientifiques grâce au personnel des opérations de vol. Ces conditions d’échange scientifique sur l’ISS sont le fruit de l’expérience : cela fait plus de vingt ans que des astronautes vivent et travaillent en laboratoire sur la station en orbite située à plus de 400 kilomètres de la surface de la Terre.

En comparaison, l’équipe du programme Artémis se trouvera à plus de 350 000 kilomètres de la Terre lorsqu’elle effectuera les premières sorties extravéhiculaires sur la Lune depuis plus d’un demi-siècle — une situation bien plus risquée. Lors de la mission Artémis III, la première mission d’atterrissage lunaire avec équipage du programme, chaque EVA devrait durer entre quatre et huit heures. La communication entre les scientifiques et les astronautes en cours de mission lors de sorties si risquées est « un concept que nous n’avons jamais expérimenté », explique Love. « Nous devons cependant y arriver afin de réaliser le plus de manœuvres scientifiques possibles dans le temps imparti. »

La mission JETT3 a permis aux scientifiques de remarquer quelques soucis qui risqueraient de faire perdre un temps précieux lors de véritables EVA. Le premier jour, Noble et l’équipe scientifique se sont réunis dans une salle à l’agencement semblable à celui d’un auditorium, les sièges tournés vers de grands écrans qui affichaient les mesures de la mission. En quelques minutes, les scientifiques se sont déplacés à l’arrière de la salle pour se rassembler autour d’une carte géologique imprimée. Le jour suivant, l’équipe s’est retrouvée dans une salle de conférence où elle pouvait déplacer le mobilier. « C’était très intéressant », explique Noble. « Dès que nous sommes entrés dans la salle, on s’est dit : ce n’est pas [dans ce genre de configuration] que raisonnent les scientifiques. »

 

UN FUTUR TOUT-TERRAIN LUNAIRE

Tout en préparant leur retour sur la Lune, la NASA et ses partenaires internationaux mettent au point des technologies qui pourraient ouvrir un nouveau chapitre de l’exploration spatiale. En 2020, par exemple, l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA) a annoncé son partenariat avec Toyota pour construire un rover lunaire pressurisé destiné à accueillir des astronautes. Mais avant que les astronautes ne puissent franchir des cratères lunaires en Toyota, les ingénieurs sur Terre ont besoin de rassembler le plus de données possibles quant aux besoins des astronautes.

Ainsi, mi-octobre, Jessica Meir, astronaute de la NASA, et Akihiko Hoshide et Norishige Kanai, des astronautes japonais, ont participé à une mission analogique appelée D-RATS (Research and Technology Studies, ou Desert RATS). Le trio d’astronautes ainsi qu’une équipe d’ingénieurs ont passé une semaine, par groupe de deux personnes, dans un rover de test de la NASA, évoluant dans le Black Point Lava Flow, un champ de lave situé près du SP Crater.

Love, qui avait participé à une mission D-RATS au sein du même rover en 2010, explique que ces tests permettent de connaître avec précision les besoins des astronautes, qu’il s’agisse de caméras de navigation plus performantes ou de systèmes de réhydratation des aliments plus robustes. En haut de la liste de souhaits de Love on trouve de meilleures toilettes que le modèle actuel, qui consiste en une série de sacs en plastiques de plusieurs couches. « Il n’y a pas assez de Febreze dans le monde pour se débarrasser de l’odeur de déchets conservés à température ambiante », explique-t-il.

D-RATS et JETT3 sont les missions analogiques les plus récentes d’une série entamée il y a des dizaines d’années. En réalité, pour Cardman, JETT3 était une sorte de retour aux sources « scientifique ». En 2009, alors qu’elle était étudiante à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, elle avait fait partie de l’équipe scientifique d’une mission D-RATS. Treize ans plus tard, non plus au sein du centre de contrôle des missions mais en tant qu’astronaute, elle entrevoit un avenir brillant pour les ambitions lunaires de la NASA.

« Je voulais être astronaute pour faire partie d’une équipe bien plus importante que moi, qui ferait des choses que je ne pourrais pas faire seule — et ce fut un incroyable travail d’équipe », confie-t-elle. « Nous sommes entre de bonnes mains. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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