Et si la vie nous attendait sur Mars ?

Jadis, la planète rouge était peut-être peuplée de microbes. Selon de nouvelles études, certains organismes endurcis auraient pu survivre dans un état de cryoconservation sous la surface.

De Nadia Drake
Publication 12 déc. 2022, 18:12 CET
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Micrographie électronique à balayage colorisée de Deinococcus radiodurans, une bactérie hautement résistante aux conditions environnementales extrêmes. Si la vie existe sur Mars, elle pourrait ressembler à ce type de microorganisme.

PHOTOGRAPHIE DE Micrograph by DENNIS KUNKEL MICROSCOPY, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Il y a 3,5 milliards d'années, notre système solaire comptait probablement deux planètes possédant des biosphères de taille similaire. D'un côté, la Terre, dont l'évolution a permis à la vie de s'épanouir et d'éclore en une infinité de formes plus radieuses les unes que les autres. De l'autre, Mars, un monde à la trajectoire radicalement différente.

De nos jours, la surface martienne est hostile à la vie telle que nous la connaissons, mais à en croire l'histoire narrée par la science, Mars aurait bien pu abriter jadis une abondance de microbes. Installés dans les bas-fonds salés de la planète rouge à l'abri des rayonnements mortels qui inondent la surface, ces organismes auraient évolué dans les coins et recoins en se multipliant jusqu'à rivaliser avec la biomasse de la Terre. Baptisés méthanogènes, les microbes martiens auraient transformé l'hydrogène et le dioxyde de carbone de leur atmosphère en méthane gazeux et à travers cette aptitude, ils ont peut-être causé leur propre perte.

Au fil du temps, leur appétit insatiable aurait délesté l'atmosphère martienne de son hydrogène, un puissant gaz à effet de serre, jusqu'à plonger la planète dans un froid mortel et pousser les populations de microbes à se retrancher dans les profondeurs en quête de chaleur. Personne ne sait combien de temps ces microbes fouisseurs auraient pu survivre dans les entrailles de la planète. Peut-être n'étaient-ils qu'une étincelle de vie dans un monde autrement stérile.

« L'extinction est probablement le point commun de toute forme de vie dans l'univers, » déclare Boris Sauterey de l'Institut de Biologie de l'École normale supérieure de Paris. « Ce n'est pas le processus d'apparition de la vie qui pose problème, mais plutôt sa pérennisation. »

À une dizaine de mètres sous la surface, ces organismes unicellulaires piégés dans la glace ont peut-être atteint un état de dormance, une sorte de sommeil cryopréservé, prêts à refaire surface dès le retour de conditions plus favorables.

Il y a peut-être plus de vie qu'il n'y paraît dans les entrailles de notre chère voisine. Cette dernière pourrait abriter un monde d'organismes extraterrestres capables d'attendre plusieurs milliers d'années entre chaque cycle de leur appareil métabolique.

Ce scénario peut sembler irréaliste, mais les récents résultats obtenus grâce aux modèles de l'habitabilité passée de Mars et aux études de la résistance des microbes en laboratoire ou dans le sous-sol de notre propre planète pointent tous dans la même direction : les chances sont minces, mais il est possible que la vie sur Mars ait évolué et subsiste encore. Et les chances de déceler des traces de cette vie sont d'autant plus grandes lorsque des météores percutent la planète rouge en déterrant les couches de glace ensevelies ou lorsqu'un nouvel engin spatial débarque pour sonder ce royaume souterrain.

« Il n'est pas impossible que le microbe martien ait déjoué les pronostics en prolongeant son existence, » déclare Amy Williams de l'université de Floride. « Quant à savoir s'il y est encore de nos jours, difficile de se prononcer. En tant qu'astrobiologiste, j'espère que c'est le cas et que peut-être cette information nous aidera à mieux cerner notre place dans l'univers. »

 

MARS SUR MER

La surface martienne est si asséchée et irradiée que même le plus endurci des microbes terrestres aurait du mal à y survivre plus d'un instant.

Néanmoins, si l'on remonte quelques milliards d'années en arrière, le paysage martien était plus doux et plus humide. Il est difficile d'estimer la durée de ces conditions tempérées ou la quantité d'eau présente sur Mars, mais il est clair que la planète possédait, à cette époque, tous les ingrédients nécessaires pour accueillir la vie telle que nous la connaissons : de l'eau, des composés organiques contenant du carbone et des réactions chimiques produisant de l'énergie.

C'est pourquoi Boris Sauterey a choisi de mettre à profit ses compétences en modélisation écologique pour étudier l'habitabilité de la planète Mars primitive. Auparavant, son équipe avait mis au point des modèles visant à déterminer l'influence des premiers jours de la Terre sur les conditions en surface il y a 3,5 milliards d'années, à l'heure où Mars était également habitable.

Comme l'explique l'article publié dans la revue Nature Astronomy, Sauterey et ses collègues ont considéré divers modèles de Mars avec différentes atmosphères, différentes températures de surface et différents types de saumure avec des points de congélation variés. Ils ont supposé que les organismes peuplant la planète auraient ressemblé aux microbes dévoreurs d'hydrogène et producteurs de méthane qui ont également peuplé la Terre et ils sont partis du principe que de tels microbes seraient limités à des environnements situés à trois mètres minimum sous la surface martienne, où les saumures essentielles à la vie étaient abondantes et les radiations inexistantes.

L'équipe a découvert que la température de surface et le type de saumure jouaient un rôle crucial dans la mesure de l'habitabilité. Selon les simulations de l'équipe, il est moins probable de trouver des environnements souterrains habitables sur une planète froide et recouverte de glace, car les glaciers limitent la quantité d'hydrogène gazeux pouvant atteindre le sous-sol et alimenter les métabolismes extraterrestres. En revanche, sur une planète plus chaude et moins gelée, Mars sous sa forme la plus accueillante, Sauterey a estimé à 50 % la probabilité que certaines régions souterraines étaient habitables quelques milliards d'années en arrière.

« Selon nos résultats, si Mars n'était pas complètement recouverte de glace, alors elle était probablement habitable, » résume le chercheur. « Cela ne signifie pas qu'elle était probablement habitée, car nous ne savons pas comment basculer de l'habitabilité à l'habitation. »

L'équipe a également cartographié les sites souterrains les plus susceptibles d'être habitables et selon ses estimations, le bassin d'impact Hellas Planitia, situé dans l'hémisphère sud, aurait pu accueillir la vie en toutes circonstances à l'exception d'un scénario catastrophe. Isidis Planitia et le cratère Jezero voisin, où Perseverance prélève actuellement ses échantillons en vue de leur retour sur Terre, faisaient également partie des sites les plus habitables.

Sauterey et son équipe ont ensuite simulé l'impact de l'épanouissement des méthanogènes martiens sur leur environnement. Et quelle ne fut pas leur surprise en découvrant que la vie sur Mars aurait été la victime de sa propre existence, en vidant l'atmosphère d'un gaz essentiel au réchauffement de la planète durant ses jeunes années : l'hydrogène. Si la Terre a échappé à ce même destin funeste, c'est uniquement grâce à la composition différente de son atmosphère.

« Dans une certaine mesure, on s'attendait à ce que Mars soit habitable pour ces types d'organismes, » indique Sauterey. « En revanche, on ne s'attendait pas à cette influence défavorable de la vie sur l'habitabilité planétaire. En d'autres termes, si ce type de vie avait existé sur mars, elle aurait en fait détérioré l'habitabilité de la planète. »

Comme le suggèrent Sauterey et ses collègues, à mesure que ces microbes martiens condamnés détérioraient le climat de la planète, ils auraient migré plus en profondeur, où le climat est plus chaud et plus hospitalier, quoique moins riche en énergie.

D'après Jackie Goordial, microbiologiste à l'université de Guelph en Ontario où elle étudie les microbes dans le pergélisol des pôles terrestres, la vie aurait même eu plus de chance d'exister sur Mars que ne le suggèrent les modèles, car Sauterey et ses collègues ont adopté une définition plutôt conservatrice de l'habitabilité.

Par exemple, l'équipe de chercheurs a utilisé -20 °C comme température la plus faible à laquelle la vie pourrait survivre sur Terre, poursuit Goordial, les scientifiques ont déjà observé des microbes survivant à des températures inférieures. L'équipe menée par Sauterey suppose également que la couverture glaciaire limiterait le degré d'habitabilité d'un environnement en restreignant l'accès aux gaz atmosphériques, mais sur Terre certains microbes se nourrissent de l'hydrogène souterrain ; cela suggère donc que les microbes martiens pourraient évoluer plus profondément que le supposent les simulations.

« Il y a toute une communauté de scientifiques qui passe son temps à observer la vie coupée de l'atmosphère… et elle existe ! » soutient Goordial. « C'est une vie étrange, fascinante et à coup sûr applicable à Mars. »

 

DURS À CUIRE

Une autre équipe de chercheurs s'est attaquée à la question de la vie sur Mars en adoptant une approche différente : mesurer la durée de vie des microbes dans des conditions rappelant celles observées à dix mètres sous la surface. À cette profondeur, le niveau de rayonnement solaire et cosmique est sensiblement le même que celui reçu à la surface de la Terre, mais les sols sont gelés et secs.

Cette seconde équipe a choisi d'étudier la bactérie Deinococcus radiodurans, l'un des organismes extrêmophiles les plus célèbres au monde, notamment pour sa résistance aux rayonnements. Son secret ? D. radiodurans est passée maître dans l'art de réparer les dégâts infligés par le rayonnement à son ADN. Parmi ses destinations favorites figurent des milieux aussi accueillants que le sol de l'Antarctique ou les réacteurs nucléaires.

« Le fait que ces créatures existent sur Terre ou que radiodurans évolue dans des réacteurs nucléaires, c'est incroyable. Les réacteurs nucléaires n'ont même pas cent ans d'existence, » déclare Amy Williams de l'université de Floride, non impliquée dans la nouvelle étude.

En milieu de culture liquide, D. radiodurans peut survivre à une dose de 25 000 Gray (Gy) ; à titre de comparaison, 5 Gy suffisent à tuer un humain, tout comme la plupart des vertébrés.

Les chercheurs qui étudiaient D. radiodurans ont trouvé le moyen de rendre la créature encore plus extrême, comme ils l'expliquent dans l'étude publiée par la revue Astrobiology. Ils ont commencé par assécher une culture de D. radiodurans, avant de la geler pour imiter l'état froid et desséché des profondeurs martiennes, ce à quoi la culture a réagi en se plongeant dans un état de dormance. En soumettant les bactéries endormies à des doses croissantes de radiation, les scientifiques ont constaté que les cellules en biostase pouvaient résister à une dose avoisinant les 140 000 Gy.

« C'est un chiffre énorme, astronomique » assure Michael Daly, chercheur principal de l'étude rattaché à l'Uniformed Services University dans le Maryland. « On pourrait s'attendre à ce que les microorganismes qui ont évolué sur Mars soient aussi résistants, voire plus résistants, aux radiations que D. radiodurans qui a évolué sur une planète plutôt clémente que l'on appelle la Terre. »

L'équipe a réitéré l'expérience avec cinq microbes moins robustes, dont E. coli and Saccharomyces cerevisiae (la levure du brasseur). Les chercheurs ont alors constaté que la dessiccation et la congélation augmentaient de la même façon la tolérance des cellules aux radiations, même si leur résistance à l'exposition était loin d'égaler celle de D. radiodurans.

Lorsque Daly et ses collègues ont estimé la durée de vie d'une cellule de D. radiodurans à dix mètres sous la surface martienne, leur résultat était stupéfiant : il faudrait près de 280 millions d'années pour détruire la cellule. Ce chiffre concerne les cellules dans un état de dormance mais au fil du temps, divers événements de réchauffement pourraient transformer de manière temporaire le milieu souterrain et redonner vie aux cellules, ce qui leur offrirait une occasion de se répliquer.

Des cycles de vie aussi extrêmes ont été observés chez des microbes profondément enfouis sous la surface terrestre et des microbes viables ont déjà été retrouvés dans des carottes de pergélisol ancien. Les modélisations de la vie dans les sédiments des profondeurs océaniques suggèrent également que des organismes sont capables de survivre avec un apport d'énergie très faible, ajoute Goordial.

« Nous pensons que ces microbes existent dans un état de métabolisme hyperralenti. Leurs cellules se répliquent peut-être une fois tous les 10 000 ans, » explique-t-elle. « C'est ce que nous voyons sur Terre, bien que ce soit difficile de l'étudier directement. Une situation similaire pourrait-elle se produire sous la surface martienne ? »

Si microbes il y a, alors ils sont enfouis trop profondément pour être détectés par la technologie actuelle. Le rover Perseverance fore la surface sur moins de 10 cm de profondeur ; Daly et ses collègues ont estimé la durée de survie des microbes à une profondeur cent fois plus importante.

À l'avenir, les scientifiques espèrent poser sur Mars un engin doté de capacités de forage supérieures. L'une de ces missions, Mars Life Explorer, a récemment été classée parmi les grandes priorités américaines dans le domaine des sciences planétaires pour les dix prochaines années, même si la mission ne sera pas lancée avant 2030 au plus tôt.

Qui sait, la chance pourrait également sourire aux scientifiques bien avant cette échéance. Il y a peu, la NASA a détecté un impact de météorite grâce à ses missions InSight et Mars Reconnaissance Orbiter. Le bolide a creusé un trou dans la croûte de la planète rouge en soulevant des blocs de glace précédemment enfouis sous la surface. Voilà un matériau que Daly aimerait beaucoup sonder à la recherche d'éventuels microbes au bois dormant.

« Je ne m'attends pas à ce que la vie se présente devant l'un nos rovers martiens, conclut Williams, mais je ne veux pas sous-estimer sa capacité à trouver un chemin. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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