La NASA a dévié la trajectoire d'un astéroïde il y a deux ans. La mission a eu des conséquences inattendues

La première tentative de l'humanité de sauver le monde de la menace d'un astéroïde s'est conclue par un écrasant succès, mais l'impact a soulevé un nuage de débris qui n'est pas sans conséquence pour la défense planétaire.

De Robin George Andrews
Publication 23 mai 2024, 18:31 CEST
Dimorphos_boulders_NASA_ESL_David_Jewitt

Sur cette image capturée par le télescope spatial Hubble, l'astéroïde Dimorphos est entouré d'une multitude de fragments (points encerclés) détachés par l'impact de la mission DART lancée par la NASA.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESL, David Jewitt, UCLA

D'ordinaire, les images de l'espace forcent l'admiration, mais les nouvelles photographies d'un astéroïde entouré d'un essaim de fragments distillent un tout autre sentiment. Ce nuage de débris qui flotte autour d'un rocher cosmique doté d'une queue semblable à celle d'une comète n'est pas le fruit d'un phénomène naturel, mais celui d'une sonde qui a quitté la Terre pour s'écraser volontairement sur cet astéroïde.

Transmises par le télescope spatial Hubble, ces images nous montrent les conséquences de la mission Double Asteroid Redirection Test (DART), la toute première tentative de déviation d'un astéroïde entreprise par l'humanité pour s'entraîner à sauver le monde d'un impact potentiellement cataclysmique. Le 26 septembre 2022, la NASA et l'Applied Physics Laboratory de l'université Johns-Hopkins ont envoyé une sonde spatiale partiellement autonome de la taille d'une fourgonnette s'écraser sur l'astéroïde Dimorphos à la vitesse de 22 000 km/h, modifiant ainsi sa trajectoire et son orbite autour de Didymos, l'autre corps de ce système binaire d'astéroïdes, autrement plus imposant.

Le succès de la mission nous montre qu'il est possible de dévier des astéroïdes de leur trajectoire de collision avec la Terre à l'aide de cette technique, à condition de disposer d'un délai suffisant. Des images telles que celles assemblées par Hubble, dont la plus impressionnante date de décembre 2022, confirment que la sonde DART a dépassé toutes les attentes en projetant un nuage de débris qui était toujours visible dans l'espace entourant Dimorphos plusieurs mois après le passage à trépas de la sonde.

« C'est vraiment… époustouflant », s'exclame Megan Bruck Syal, spécialiste en défense planétaire au Lawrence Livermore National Laboratory in California et membre de l'équipe de recherche de la mission DART. « Cela nous donne une idée de la violence de l'événement. »

Tout comme Dimorphos, aucun de ces trente-sept fragments, dont certains dépassent tout de même les six mètres d'envergure, ne constitue un danger pour la Terre. Si le système Didymos-Dimorphos a été sélectionné pour cette mission, c'est en partie parce que leur orbite distante et liée autour du Soleil ne présente aucune menace pour notre existence, même après leur rencontre explosive avec la sonde DART.

La détection d'un essaim de rochers est une étape importante pour les scientifiques dans la compréhension du tout premier essai de défense planétaire. « Nous avons une idée plus précise de ce qui se produit lorsque nous frappons un astéroïde », déclare David Jewitt, astronome au sein de l'université de Californie à Los Angeles et auteur principal de l'étude qui a analysé les clichés du télescope Hubble. 

Le caractère envoûtant de ces images est un bonus. Lorsque je les ai vues pour la première fois, témoigne Jewitt, « j'ai eu du mal à croire qu'elles étaient bien réelles. »

 

RÉORGANISER LE COSMOS

Notre planète est entourée d'astéroïdes et, de temps à autre, il leur arrive de s’aventurer dans notre ciel. Les relevés entrepris par les diverses agences spatiales ont permis de recenser plus de 32 000 astéroïdes géocroiseurs, parmi lesquels des objets suffisamment grands pour éradiquer plusieurs milliards d'êtres vivants et asséner le coup de grâce à notre civilisation : les tueurs de planètes.

Cependant, ces relevés ont plus de mal à détecter les astéroïdes « tueurs de villes », des objets avoisinant les 150 mètres d'envergure capables de détruire des métropoles entières ou certains petits pays. Sur un total estimé à 25 000 objets géocroiseurs de cette taille, seuls 10 500 ont été identifiés. En raison de leurs modestes dimensions, ils réfléchissent moins la lumière du Soleil, ce qui les rend plus furtifs.

Des astéroïdes de cette envergure frappent la Terre tous les 20 000 ans environ. La probabilité que cela survienne au cours de votre vie est donc plutôt faible, mais jamais nulle. Et si rien n'est fait pour empêcher ce cataclysme, il finira par se produire. Lorsque ce jour viendra, l'astéroïde s'enfoncera peut-être sans conséquence au milieu de l'océan, mais il pourrait également frapper une ville densément peuplée.

Bien décidés à ne pas s'en remettre au destin, la NASA et l'Applied Physics Laboratory ont donc construit un impacteur cinétique, une sonde conçue pour frapper un astéroïde et le dévier, qu'ils ont lancé dans une odyssée de 10 mois travers l'espace visant à modifier l'orbite de l'astéroïde Dimorphos, d'un diamètre de 164 mètres.

Au cours des semaines qui ont suivi l'impact, les images fournies par divers observatoires spatiaux et plusieurs dizaines de télescopes terrestres ont révélé que l'orbite de Dimorphos autour de Didymos avait diminué, passant de 11 heures et 55 minutes à 11 heures et 23 minutes, soit plus de 25 fois le critère minimal de réussite de la mission, fixé à 73 secondes.

La projection de débris rocheux suite à la collision n'est pas une surprise. Avant l'impact, Dimorphos était déjà soupçonné d'être un gigantesque tas de gravats : un ensemble de roches massives volant en formation dont la cohésion précaire n'était assurée que par leur propre force fragile d'attraction gravitationnelle. « Nous savions qu'une grande quantité de matière allait être projetée », indique Cristina Thomas, planétologue au sein de la Northern Arizona University de Flagstaff et directrice du groupe de travail des observations de la mission DART.

Quoi qu'il en soit, les images recueillies dans le sillage de l'impact n'en sont pas moins stupéfiantes. Quelques instants avant sa rencontre fatale avec l'astéroïde, la sonde DART a déployé LICIACube, un nanosatellite cubique qui a vu des filaments de matière jaillir de l'astéroïde et, quelques mois plus tard, apparaître une longue queue de débris s'étalant sur plus de 32 000 kilomètres.

 

CONNAÎTRE SON ENNEMI

De son côté, Jewitt a conduit des observations à l'aide du télescope spatial Hubble pour essayer d'obtenir les images les plus fidèles possibles du chaos. Dans une étude récemment publiée par la revue The Astrophysical Journal Letters, le scientifique externe à la mission DART et ses coauteurs révèlent qu'ils ont détecté 37 objets, d'une taille allant de 90 cm à près de 7 mètres de diamètre, s'éloignant progressivement de l'astéroïde.

Les objets de cette taille ne représentent en aucun cas une source d'inquiétude. Lorsqu'un astéroïde de 7 mètres s'écrase sur Terre, ce qui arrive fréquemment, il se consume innocemment dans l'atmosphère. « Ce ne sont pas ces particules qui nous inquiètent », déclare Cristina Thomas.

« Nous en avons déjà croisé une multitude sans même nous en rendre compte », ajoute Andy Rivkin, planétologue de l'Applied Physics Laboratory et responsable de l'équipe de recherche de la mission DART.

En revanche, cet essaim de débris n'est pas sans conséquence pour la défense planétaire.

Il y a plusieurs façons de venir à bout d'un astéroïde tueur. L'idéal est de le dévier : le détecter avec plusieurs décennies d'avance, déterminer la puissance de frappe nécessaire, envoyer un impacteur comme DART ou une arme nucléaire en guise de comité d'accueil, puis utiliser l'impact ou l'explosion pour modifier sa trajectoire.

« Si l'urgence est imminente, il faudra peut-être frapper plus fort », témoigne Bruck Syal. Par exemple, si l'astéroïde est particulièrement imposant ou si la détection ne survient que quelques années avant l'impact.

Par chance, le cas de Dimorphos suggère que l'utilisation d'un impacteur pour dévier un astéroïde de cette taille et de cette nature est plus efficace que prévu. En décembre dernier, l'équipe de la mission DART a révélé que la matière dont se délestait l'astéroïde agissait comme un propulseur éphémère, amplifiant ainsi les efforts de déviation.

Une autre façon d'arrêter un astéroïde en partance pour la Terre est de le détruire, de le vaporiser quasi intégralement en particules inoffensives. En cas de délai trop court pour organiser sa déviation, cette solution appelée fragmentation pourrait être notre seule option, en dehors de celle qui consiste à accepter notre sort en essayant de limiter les dégâts. À en croire les simulations impliquant des armes nucléaires, cette technique pourrait fonctionner, mais une déviation précoce reste l'option préférée des spécialistes.

Ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est transformer un seul projectile en une multitude d'objets géocroiseurs. Ce n'est pas ce qui s'est produit avec Dimorphos, mais ce scénario pourrait survenir si l'humanité frappe un autre astéroïde de la même nature avec un peu trop d'agressivité. « C'est un peu comme tirer une balle sur une grappe de raisins », illustre Jewitt.

Pour une déviation réussie et sans danger, il ne s'agit pas simplement de frapper aussi fort que possible, mais plutôt d'apprendre à connaître son ennemi en étudiant la composition de l'astéroïde et ses propriétés mécaniques, si possible de près à l'aide d'une sonde de reconnaissance, pour ensuite opérer avec précision. « Chaque astéroïde sera légèrement différent », explique Cristina Thomas.

Au cours des prochaines années, nous allons découvrir une multitude de nouveaux astéroïdes potentiellement dangereux. Actuellement en construction au Chili, l'observatoire de nouvelle génération Vera C. Rubin devrait identifier bien plus d'objets de la taille de Dimorphos, tout comme le projet Near-Earth Object Surveyor, un télescope spatial infrarouge spécialement conçu pour traquer les plus insaisissables des astéroïdes.

Par ailleurs, les clichés capturés par Hubble ne seront pas les derniers que nous verrons de Dimorphos. Au mois d'octobre, l'Agence spatiale européenne prévoit de lancer la sonde Hera qui devrait atteindre l'astéroïde en 2026 pour l'observer de près. En attendant, d'autres astronomes continuent de pointer leurs télescopes sur les vestiges de l'astéroïde en espérant déceler de nouveaux détails cachés.

Les images recueillies par les membres de la mission DART sont déjà plus spectaculaires qu'ils n'avaient osé l'imaginer. « Mais nous n'aurions jamais pu faire tout cela », estime Cristina Thomas, en gesticulant, l'air fasciné, devant les photos prises par Hubble. « C'est un réel plaisir que d'autres aient pu se joindre à nos efforts. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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