Yémen, une tragédie humanitaire

La guerre civile a fait voler en éclats le système de santé du pays. Laissant la population démunie face à la maladie et aux violences.

De Nina Strochlic
Photographies de Matteo Bastianelli
Publication 3 sept. 2018, 11:08 CEST
Des centaines d’écoles, comme celle d’Ad-Dali, ont été détruites par des raids aériens. À l’heure actuelle, ...
Des centaines d’écoles, comme celle d’Ad-Dali, ont été détruites par des raids aériens. À l’heure actuelle, 2 millions d’enfants en âge d’aller à l’école sont déscolarisés.
PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

La jeune femme a été transportée à l’hôpital à 9 h 30. Vingt minutes plus tôt, elle étendait son linge quand une bombe est tombée dans sa cour, aux abords de Taizz, antique cité du sud-ouest du Yémen. Un homme couvert de sang, son cousin, pleurait pendant que les médecins la conduisaient au centre de traumatologie.

« Les deux jambes ? », a-t-il demandé quand l’un des médecins a indiqué d’un geste qu’ils allaient amputer la blessée. Une jambe était déchiquetée ; un os sortait de l’autre. Les deux, a confirmé le médecin. La femme a été transportée en ambulance dans un autre hôpital. Puis, les infirmières ont nettoyé le sol maculé de sang, en attendant le patient suivant.

Dans un service de l’hôpital Al-Nasser, les bébés sont traités pour malnutrition. On estime à 1,8 million le nombre d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition aiguë. À court de ressources, le ministère de la Santé du Yémen compte sur les organisations humanitaires pour soigner la population.
PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

Ce soir-là, Matteo Bastianelli, un photographe italien ayant assisté à la scène, a décrit dans son journal intime la vie à Taizz après trois ans de siège : « Les médecins attendent, le tonnerre des avions dans les oreilles et la poussière dans les yeux, vivant dans la peur que quelque chose d’irréparable survienne à tout moment. »

Autrefois appélé Arabia felix (« Arabie heureuse ») par les Romains, le Yémen, avec ses ports stratégiques à l’entrée de la mer Rouge, devait sa prospérité aux épices et aux parfums.

Aujourd’hui, c’est l’un des pays les plus pauvres du monde. Jusqu’en 1990, le nord et le sud du Yémen étaient gouvernés séparément, et cette division alimente le conflit actuel.

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    Avant de pouvoir remplir leurs bidons, les habitants forment souvent de longues files d’attente devant les stations service. Depuis 2015, le prix de l’essence a plus que doublé dans un pays qui a perdu plus de 40 % de son PIB. « Le désastre économique est encore plus dramatique que les tueries », affirme Radhya Almutawakel, cofondatrice de la Mwatana Organization for Human Rights.
    PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

    À la fin de 2014, des rebelles séparatistes houthistes se sont emparés de Sanaa, la capitale, lors d’une tentative de coup d’État. Craignant un embrasement régional, l’Arabie saoudite voisine est intervenue à la demande de l’ancien gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi.

    Avec l’appui des États-Unis, du Royaume-Uni et d’une dizaine d’États arabes, la coalition menée par les Saoudiens a lancé des raids aériens pour permettre au gouvernement de garder le contrôle sur une bonne partie du territoire.

    Trois ans après le début des combats, les chiffres sont atterrants : selon les Nations unies, sur les 29 millions d’habitants du pays, 22 millions ont besoin d’une assistance humanitaire, 10 000 sont morts. Dans une économie et un système de santé en ruine, des Yéménites sont prêts à tout pour accéder aux soins.

     

    À l’hôpital Mère-Enfant de Taizz, un père tient dans ses bras son bébé soigné pour une infection respiratoire. La plupart des médecins et des infirmières ayant fui le Yémen, les hôpitaux se retrouvent privés de personnel qualifié.
    PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

    Au péril de leur vie, certains entreprennent de traverser le pays pour atteindre des hôpitaux gérés par des associations humanitaires ; d’autres dépensent leurs économies dans des cliniques privées.

    Plus de la moitié des hôpitaux yéménites sont fermés ou fonctionnent au ralenti, et leurs responsables doivent parfois choisir entre acheter des médicaments ou du carburant pour les générateurs. Des maladies infectieuses telles que le choléra et la diphtérie témoignent du manque d’eau traitée et de la quasi-disparition des services publics de base.

    Avant 2015, le bâtiment près de Taizz était destiné à devenir un hôtel. C’est aujourd’hui une maternité et un centre de traumatologie dirigé par Médecins sans frontières.

    Dans les hôpitaux publics, les docteurs et le personnel soignant n’ont pas été payés depuis 2016. Des associations humanitaires soutiennent le ministère de la Santé en finançant salaires et matériel.

    Ce garçon de 7 ans touché par des éclats d’obus est soigné par Médecins sans frontières dans un hôpital des environs de Taizz.
    PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

    Mais le blocus des ports et des aéroports par la coalition, qui vise à empêcher le ravitaillement des rebelles, a retardé ou détourné l’acheminement de l’aide, note Kristine Beckerle, de Human Rights Watch.

    Depuis 2017, le pays a enregistré plus de 1 million de cas présumés de choléra – la pire épidémie de l’époque contemporaine. Une ONG a commandé une cargaison de médicaments en juillet 2017. 

    Elle n’est arrivée qu’en avril 2018. De nombreux médecins yéménites travaillent maintenant dans des hôpitaux privés, ou ont fui le pays, provoquant une pénurie de professionnels qualifiés.

    Selon l’Unicef, depuis le début du conflit, cinq enfants sont tués ou blessés en moyenne chaque jour. Souffrant d’une fracture, Arzaa Abdalbaqu Abdella (9 ans) a bénéficié d’un nouveau bandage à l’hôpital Mère-Enfant.
    PHOTOGRAPHIE DE Matteo Bastianelli

    Les cliniques privées sont inaccessibles, même à la classe moyenne. L’autre option est d’atteindre en voiture, au-delà des lignes de front, l’un des deux aéroports encore ouverts.

    Rares sont ceux qui ont les moyens de payer l’essence – ou l’envie de prendre le risque. « Ils sont piégés au Yémen. Aucun pays ne leur accorde l’asile ou n’ouvre de couloir humanitaire, constate Matteo Bastianelli. Ils comptent les jours et attendent la mort. »

     

    Ce reportage a été publié dans le magazine National Geographic n°  227, daté d'août 2018. 

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