Notre-Dame de Paris : 800 ans d'une histoire complexe

Cette cathédrale gothique qui semble ignorer les lois de la gravité a résisté à des siècles d'histoire trouble. Le 15 avril 2019, un incendie a ravagé une partie de l'édifice.

De Jose Luís Corral Fuentes
Publication 16 avr. 2019, 15:27 CEST, Mise à jour 3 mars 2022, 15:04 CET
Couronnée de tours jumelles de 69 mètres de haut chacune, la façade ouest contient trois groupes sculpturaux au-dessus des portes, dédiées (de gauche à droite) à la Vierge, au Jour du Jugement et à Sainte-Anne. Au-dessus d'eux se trouvent une galerie de rois de l'Ancien Testament et l'une des trois rosaces de la cathédrale.
PHOTOGRAPHIE DE Tomas Sereda, Getty
Note de l’éditeur : Cet article a été mis à jour pour refléter l’incendie qui a touché ce monument iconique. Il a paru pour la première fois dans le magazine National Geographic Histoire & Civilisations.

Notre-Dame de Paris est probablement le monument français le plus célèbre. Cette cathédrale se dresse dans le cœur historique de la ville depuis des siècles, un jour vénérée par le peuple, le suivant rejetée. Hier, le cours de son histoire a été tristement bouleversé lorsqu'un incendie s'est déclaré dans les combles du monument, provoquant l'effondrement de sa toiture médiévale et de son emblématique flèche.

La cathédrale où reposent les reliques de la Sainte couronne trône sur l’Île de la Cité au centre de la Seine. La ville était idéalement placée pour contrôler l’acheminement des marchandises le long des cours d’eau et s’est richement développée. Au 10e siècle, Paris était une nouvelle puissance européenne en plein essor.

Manuscrit du roi Philippe II Auguste (règne 1179-1223) datant du 13e siècle, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris.
PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

Le commerce était essentiel aux fortunes florissantes de la ville mais Paris se forgeait également une réputation de centre spirituel. Un culte s’était formé autour du martyr Denis de Paris qui deviendra plus tard Saint-Denis. Selon les légendes, Denis fut décapité sur la colline de Montmartre (mons Martyrum, le mont des martyrs) entre 250 et 272 avant de parcourir six kilomètres, tête sous le bras, vers le nord en empruntant l’actuelle rue des martyrs. Une basilique fut construite au 12e siècle en son honneur à l’endroit supposé où il s’arrêta de marcher.

Parmi les témoins du chantier de la basilique Saint-Denis se tenait Maurice de Sully, évêque de Paris au 12e siècle. Il était admiratif du travail avant-gardiste des architectes dont le style alliait le gothique primitif au gothique rayonnant avec des hauteurs vertigineuses et une lumière abondante. Sully décida de créer une structure qui pourrait rivaliser avec la basilique au sein même de Paris, une cathédrale qui deviendrait une merveille de la chrétienté, dédiée à la Vierge Marie.

Le projet de Sully arrivait à point nommé. Cette période du Moyen Âge central fut marquée par un essor économique en Europe et plus particulièrement, en France. Grâce au généreux soutien de la couronne, Sully engagea en 1160 un architecte pour dessiner les plans de la nouvelle église, son identité reste à ce jour inconnue. La construction impliquait de détruire plusieurs maisons de l’étroit quartier médiéval et deux églises existantes sur l’Île de la Cité qui avaient elle-même été érigées sur un ancien temple païen. La première pierre fut posée en juin 1163 à l’occasion d’une grande cérémonie en présence du pape Alexandre III.

 

BÂTIR UNE ÉGLISE

La construction de Notre-Dame s’étala sur près de deux siècles. Sully consacra toute sa vie à celle-ci. Les travaux commencèrent par le sanctuaire et la nef. Le maître-autel fut consacré en 1182 par le cardinal Henri de Château-Marçay alors que le nouveau roi, Philippe II Auguste, venait d’accéder au trône deux ans plus tôt. L’évêque Maurice de Sully put célébrer la toute première messe tenue dans la cathédrale mais il trouva la mort en 1196, presque 150 ans avant l’achèvement des structures principales de la cathédrale, au 14e siècle.
 

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    Les premiers plans de l’église exigeaient de bâtir une enceinte robuste et épaisse pour soutenir la structure massive du toit, ce qui limitait la taille des fenêtres et réduisait donc la quantité de lumière naturelle pénétrant l’édifice. En 1220, le toit fut repensé en y intégrant des croisées d’ogives afin de renforcer la structure. Ainsi, la pression exercée sur les murs de soutènement était plus faible et le nombre de fenêtres fut revu à la hausse.

    Dans les années 1240, le maître d’œuvres Jehan de Chelles acheva la nef et les deux tours de la façade ouest. Cet architecte est le premier dont l’identité est connue, et ce, grâce à une inscription découverte sur le transept sud. Il entama les travaux sur les façades du transept qui furent achevés par son successeur, Pierre de Montreuil. Au cours de sa maîtrise d’œuvre, ce dernier supervisa l’installation de nouvelles fenêtres, plus grandes, notamment les trois roses sur les murs d’enceintes nord, sud et ouest.

    Les touches finales furent apportées au monument au 14e siècle par maître Jean Ravy qui fut le premier à mettre en œuvre une autre prouesse de l’architecture gothique : les arcs-boutants, des renforts extérieurs qui contribuent au soutènement du toit et des murs. Ces arcs transfèrent la force exercée par l’imposante toiture sur l’enceinte extérieure afin de libérer les murs intérieurs d’une immense pression, ce qui contribue à la grâce majestueuse de la cathédrale. Ces structures sont visibles le long du sanctuaire et sont devenues l’une des caractéristiques majeures de Notre-Dame de Paris.

     

    FOUS ET PHILOSOPHES

    Sur le plan culturel, Notre-Dame n’a jamais occupé une place centrale pour la monarchie française. Les rois lui préféraient la cathédrale de Reims pour leur couronnement et la Basilique Saint-Denis pour leur enterrement. L’unique monarque médiéval à avoir opté pour la Cathédrale Notre-Dame de Paris n’était pas du tout français : Henri VI d'Angleterre y fut couronné Roi de France en 1431 alors que l’Angleterre tentait d’asseoir son pouvoir politique sur la France pendant la guerre de Cent ans.

    Cette gravure du 16e siècle offre une rétrospective de la ville de Paris qui était similaire à la configuration de la ville entre les 12e et 14e siècles, période à laquelle Notre-Dame était en construction. La ville était toujours retranchée derrière ses fortifications datant du 13e siècle qui furent plus tard étendues à la fin du 14e siècle. La Seine divisait la ville en trois zones distinctes connectées par quatre ponts. Les deux pont les plus proches de Notre-Dame furent construits à la fin du 14e siècle. L'Île de la Cité, était le centre historique, religieux et politique de la ville. Elle faisait la jonction entre la cathédrale Notre-Dame de paris et le Palais de la Cité, la résidence permanente des rois de France jusqu'au 14e siècle. La seconde zone principale est le quartier de l'université. La zone réservée au commerce et à la bourgeoisie était concentrée de l'autre côté du fleuve, près de l'hôtel de ville.
    PHOTOGRAPHIE DE Gérard Blot, Institut de France, RMN Grand Palais

    Nombreux étaient les étudiants arrivés à Paris sans ressources suffisantes pour payer leur éducation. Ils étaient alors réduits à une vie de mendiants ou de criminels pour subvenir à leurs besoins. Ces personnes furent baptisées les goliards. Ils fréquentaient les tavernes et les bordels qui avaient vu le jour dans l’ombre de l’imposante cathédrale. Les évêques de Paris finirent par s’entendre sur les mesures à entreprendre pour mettre fin aux excès estudiantins. En 1215, le cardinal Robert de Courçon ordonna la proclamation sur le parvis de Notre-Dame des statuts visant à remettre de l’ordre au sein des universités et de leurs communautés. Véritable aimant pour toutes sortes de spectacles et de rassemblements, la cathédrale était également le décor des exécutions et des procès. En 1314, le dernier maître de l’ordre du Temple fut exécuté au bûcher sur un îlot aujourd’hui disparu à proximité de la cathédrale.

     

    PILLAGE ET RÉVOLTE

    Au 18e siècle, les goûts architecturaux changèrent radicalement. Au milieu du règne de Louis XIV, la vénérable cathédrale subit une remise à neuf radicale et controversée, une « restauration » qui sera plus tard accusée d’avoir infligé plus de dégâts que les siècles d’usure. Le jubé constellé de sculptures fut retiré. Les vitraux des 12e et et 13e siècles furent remplacés par du verre blanc. Seules les trois roses de la cathédrale furent en grande partie épargnées. Le trumeau du portail central fut démoli afin de faciliter le passage des dais de procession.

    Une vague encore plus dévastatrice déferla sur l’édifice en 1789. Considérée comme un symbole du pouvoir et de l’oppression de l’église et de la monarchie, la cathédrale fut mise à sac pendant la Révolution Française. Les vingt-huit statues qui décoraient la galerie des Rois furent décapitées, la foule pensant qu’elles étaient à l’effigie de la lignée royale française qui l'avait poussée à se révolter. Mais il n’en était rien, ces statues représentaient en fait les anciens rois de Judée.

    Furent également saccagées les sculptures qui ornaient les portails ainsi que les reliquaires et statues en bronze de l’église. Les cloches en bronze étaient fondues pour fabriquer des canons. L’unique cloche ayant survécu au sac fut le bourdon Emmanuel suspendu dans le beffroi sud dont le poids s’élève à 13 tonnes environ.

    Au cours de cette période révolutionnaire, la cathédrale fut désacralisée et consacrée temple de la Raison par le principal instigateur du Culte Suprême : Robespierre. Une fois passée la sombre période de la Terreur, la cathédrale retrouva son rôle initial mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. La plupart de ses fenêtres avaient été brisées et ses trésors pillés ou profanés. Les oiseaux allaient et venaient à travers les vitraux brisés, ils installaient leurs nids en hauteur dans les galeries de ce qui devenait peu à peu une gigantesque ruine.

    C’est en 1801 que le gouvernement de Napoléon Bonaparte se décida enfin à signer un accord avec le Saint-Siège en vertu duquel l’Église Catholique reprendrait le contrôle de Notre-Dame. Les travaux débutèrent immédiatement pour nettoyer l’édifice et réparer les fenêtres. En 1804, elle était dans un état suffisamment décent pour accueillir le sacre de Napoléon en tant qu’empereur.

     

    RENAISSANCE DE LA CATHÉDRALE

    Notre-Dame retrouva finalement toute sa splendeur au milieu du 19e siècle, en grande partie grâce à l’écrivain Victor Hugo. Figure de proue du romantisme français, Victor Hugo fut à l’origine du regain d’intérêt des Français pour la période médiévale et l’art gothique. Dans son roman de 1831 Notre-Dame de Paris, Hugo décrit la tourmente médiévale de Paris lorsqu'il évoque une « boucherie » où « tout est fondu, combiné, amalgamé dans Notre-Dame. »

    Se déroulant dans les environs du monument, cette histoire est celle du calvaire de Quasimodo, sonneur de cloches bossu de la cathédrale, et de la belle gitane Esmeralda. Le roman a enflammé l’imaginaire des lecteurs d'Hugo. Les Parisiens et les autorités de la ville se sont ralliés pour défendre la cause de cet édifice en déclin et procéder à sa restauration. Hugo écrivait : « Il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument ».

    Calice en or du cardinal Louis-Antoine de Noailles,
    PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

    La restauration de la cathédrale débuta dans les années 1840. L’architecte Eugène Viollet-le-Duc fut choisi en 1844 pour diriger le chantier. Pendant près de 25 ans, il fit tout son possible pour redonner à Notre-Dame toute sa force et sa beauté. Il restaura la façade ouest et la galerie des Rois. Il ajouta également quelques éléments comme une flèche gardée par les sculptures des douze apôtres et les désormais célèbres gargouilles et chimères perchées sur les murs de pierre.

    Au 19e siècle, un vent de renouveau soufflait sur la ville de Paris toute entière alors qu'elle entamait des travaux de modernisation qui allaient profiter à la vieille cathédrale. Napoleon III recruta le Baron Haussmann pour entreprendre un vaste projet de rénovation urbaine de Paris pendant lequel un nombre considérable d’anciens bâtiments allaient être détruits pour faire place à de grands boulevards et de larges espaces ouverts. Sur l’Île de la Cité, Haussmann ordonna la démolition de plusieurs maisons et bâtiments qui bordaient la cathédrale afin d’aménager un grand espace au pied de la façade principale. Pour la première fois, les Parisiens pouvaient prendre du recul et admirer la cathédrale dans son incroyable grandeur.

    Depuis lors, l’image de Notre-Dame est devenue intimement liée à celle de Paris. Alors que des artistes comme Matisse et Picasso lui rendent hommage dans leurs œuvres, le roman de Victor Hugo a de son côté inspiré plusieurs films. L’écrivain lui-même n’aurait pas été surpris de l’attraction mondiale qu’est devenu cet édifice religieux, selon ses mots, Notre-Dame de Paris était « parmi les vieilles églises de Paris une sorte de chimère ; elle a la tête de l’une, les membres de celle-là, la croupe de l’autre ; quelque chose de toutes. »

        
    Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et Civilisations.    

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