Comment les moines ont contribué à l'invention de la langue des signes

Il y a 500 ans, les vœux de silence et des orientations humanistes ont amené les ecclésiastiques européens à créer de nouvelles méthodes de communication pour les sourds et malentendants.

De Inés Antón Dayas
Publication 29 mai 2019, 17:48 CEST
Cette peinture datant du 19e siècle et réalisée par Frédéric Peyson représente Charles-Michel de L'Épée en ...
Cette peinture datant du 19e siècle et réalisée par Frédéric Peyson représente Charles-Michel de L'Épée en train de donner cours aux sourds et malentendants dans son institution parisienne.
PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Pendant des milliers d'années, les personnes atteintes de troubles auditifs vivaient en marge de la société car on estimait que les langues ne pouvaient être apprises qu'à l'oral. Le philosophe de la Grèce antique Aristote affirmait même que « les hommes sourds étaient systématiquement stupides. » À l'époque romaine, la loi interdisait aux personnes nées sourdes de signer un testament car il était présumé « qu'elles ne comprenaient rien ; puisqu'il leur était impossible d'apprendre à lire ou à écrire. »

Ce n'est qu'à la Renaissance que ces préjugés ont commencé à être combattus. La première personne à qui l'on attribue la formalisation d'une langue des signes destinée aux sourds et malentendants était Pedro Ponce de León, un moine bénédictin espagnol du 16e siècle. Son idée d'avoir recours à une langue des signes n'était pas complètement nouvelle. Les amérindiens utilisaient des gestes pour communiquer avec d'autres tribus et faciliter les échanges avec les Européens. Les moines bénédictins utilisaient également des gestes pour faire passer des messages pendant leurs périodes quotidiennes de silence.

 

ROMPRE LE SILENCE

Puisant son inspiration dans la pratique de ses frères bénédictins, Ponce de León décida d'adapter les gestes utilisés dans son monastère pour créer une méthode visant à apprendre aux sourds à communiquer : les prémices des différents systèmes aujourd'hui utilisés à travers le monde.

En s'appuyant sur les travaux de Ponce de Léon, l'espagnol Juan de Pablo Bonet continua d'explorer de nouvelles méthodes de communication. Cet ecclésiastique, prêtre et linguiste critiquait vivement les méthodes brutales utilisées pour amener les sourds à parler. « Parfois, ils étaient enfermés dans des barriques au creux desquelles les voix vibraient et résonnaient. Ces mesures violentes ne servaient en aucun cas l'objectif. »

En 1620, il publia le premier ouvrage parvenu jusqu'à nous sur l'éducation des personnes souffrant de troubles auditifs. Bonet proposa d'apprendre aux sourds à prononcer des mots dans un premier temps puis à construire progressivement des phrases sensées. Il baptisa la première étape de ce procédé « Abecedario demostrativo » (l'alphabet manuel), un système manuel qui consiste à utiliser la main droite pour former des signes représentant chaque lettre de l'alphabet. Cet alphabet, très similaire à la langue des signes moderne, était fondé sur la main guidonienne, un système de notation musicale créé au Moyen Âge par le moine italien Guido d'Arezzo, qui permettait aux chanteurs de lire à vue une note, une mélodie. La personne sourde apprenait donc à associer chaque lettre de l'alphabet à un son phonétique. L'approche de Bonet alliait l'oralisme, c'est à dire l'utilisation des sons pour communiquer, à la langue des signes. Le système avait son propre lot de difficultés, particulièrement pour l'apprentissage de termes abstraits ou de formes intangibles comme les conjonctions et, ou, mais, etc.

En 1755, le prêtre catholique français Charles-Michel de l’Épée mit au point une méthode plus complète pour l'éducation des personnes sourdes dont le point culminant était la fondation à Paris de la première école pour sourds-muets. Des étudiants de la France entière y affluèrent, apportant avec eux les signes qu'ils utilisaient pour communiquer chez eux. De l'Épée adapta ces signes et ajouta son propre alphabet manuel, aboutissant à la création d'un dictionnaire des signes. Il tenait à ce que la langue des signes soit suffisamment riche pour exprimer les prépositions, les conjonctions et autres éléments grammaticaux. À ce jour, il reste reconnu comme le père des malentendants pour son travail et la création de 21 écoles.

Livre de Juan de Pablo Bonet sur l'éducation des sourds datant de 1620.
PHOTOGRAPHIE DE Biblioteca Nacional de España

La langue des signes standardisée de De l'Épée se propagea rapidement en Europe puis aux États-Unis. En 1814, le ministre du Connecticut, Thomas Hopkins Gallaudet, qui souhaitait apprendre à son voisin malentendant âgé de neuf ans à communiquer, se rendit en France pour recevoir la formation de l'abbé Sicard, successeur de De l'Épée. Trois ans plus tard Gallaudet inaugurait l'American School for the Deaf à Hartford, sa ville natale, dans le Connecticut. Les étudiants venaient de toute l'Amérique pour être formés et, comme c'était le cas pour l'école française, ils apportaient les signes qu'ils utilisaient pour communiquer dans leurs foyers respectifs. La langue des signes américaine était née, elle combinait les signes apportés par les élèves et d'autres provenant de la langue des signes françaises.

Grâce à la formalisation des langues des signes, les personnes atteintes de troubles de l'audition peuvent accéder à la langue orale sous tous ses aspects. Les nombreux systèmes de signes qui existent aujourd'hui à travers le monde ont différentes règles de prononciation, d'ordre des mots et de grammaire. De nouveaux langages visuels peuvent même exprimer les accents régionaux pour refléter la complexité et la richesse des discours locaux.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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