Des empreintes digitales révèlent l'organisation d'une ancienne civilisation amérindienne

Jusqu'à présent, les archéologues présumaient que les poteries du Chaco Canyon étaient l'œuvre de femmes. Des analyses récentes tendent à prouver le contraire.

De Michelle Z. Donahue
Le complexe tentaculaire de Pueblo Bonito au Nouveau Mexique se compose de 650 pièces et occupait ...
Le complexe tentaculaire de Pueblo Bonito au Nouveau Mexique se compose de 650 pièces et occupait une place centrale dans la communauté du Chaco Canyon entre 800 et 1200 de notre ère.
PHOTOGRAPHIE DE Phil Schermeister, Nat Geo Image Collection

C'est une question posée par un étudiant habitué du milieu policier qui a déclenché la nouvelle analyse des poteries extraites d'un des plus importants centres historiques des États-Unis. Une analyse dont les résultats donnent le tournis aux archéologues et remettent en question leurs certitudes sur le « travail des femmes. »

Les communautés du Chaco Canyon au nord-ouest de l'État du Nouveau-Mexique aux États-Unis constituaient un important centre culturel et religieux il y a 800 à 1200 ans. Le peuple qui habitait la région, les Anasazis, confectionnaient un type de poteries appelé « corrugated ware » (en français, poterie striée, ndlr) en enroulant d'épais cylindres d'argile les uns au dessus des autres pour former de grands récipients.

L'hypothèse la plus répandue attribuait la conception de ces poteries aux femmes de la région de Chaco il y environ 1 000 ans ; une supposition principalement fondée sur des observations bien plus modernes.

« Traditionnellement, chez les Amérindiens Pueblos d'aujourd'hui [les descendants des Anasazis, ndlr], ce sont les femmes qui fabriquent et enseignent à leurs filles la poterie. C'est donc en s'appuyant sur cette tradition et en la projetant sur le passé que l'hypothèse avait été formulée, » explique John Kantner, professeur à l'université de Floride du Nord et auteur principal d'une nouvelle étude portant sur les poteries striées parue ce lundi dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. « Mais de nombreux archéologues rejettent cette théorie étant donné que l'on ne peut pas observer directement qui fabriquait la poterie. »

Pour consolider les poteries striées, le potier pinçait chaque couche entre son pouce et le bout de ses doigts, c'est ainsi que des empreintes se sont imprimées sur la céramique et ont été conservées à travers les âges. Partant de cet état de fait, une analyse des empreintes pouvait-elle révéler le genre de ces artisans ?

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    Les chercheurs ont analysé la largeur des empreintes digitales laissées par les potiers sur la céramique, les crêtes sur les empreintes digitales des hommes étant généralement plus larges que celles des femmes.
    PHOTOGRAPHIE DE John Kantner

    Animé par une question posée par son étudiant et coauteur de l'étude David McKinney qui travaillait à l'époque pour un service de police, Kantner se plongea dans une étude anatomique sur les différences au niveau des creux des empreintes digitales entre les hommes et les femmes. En s'appuyant sur les résultats d'une étude qui montraient que la largeur des creux des empreintes masculines était 9 % supérieure à celle des femmes, Kantner a analysé une collection de 985 fragments de poteries striées recueillis sur un site de Chaco Canyon appelé Blue J.

    Son analyse a montré que 47 % des fragments présentaient des empreintes dont la largeur moyenne des creux était de 0,53 mm, ce qui correspond aux empreintes masculines ; d'un autre côté, pour 40 % des fragments, cette largeur moyenne était de 0,40 mm, ce qui correspond aux empreintes des femmes ou des enfants. En ce qui concerne les 12 % restants, leurs largeurs moyennes étaient intermédiaires, ils ont donc été étiquetés « unknown sex » (sexe inconnu).

    En poussant plus loin la classification et en regroupant les fragments par ordre chronologique, Kantner a remarqué que 66 % des poteries plus anciennes présentaient des empreintes d'hommes alors que pour les pièces plus récentes, les empreintes d'hommes et de femmes étaient présentes à parts égales. Cela démontre que non seulement les hommes étaient impliqués dans la fabrication de ces poteries mais qu'en plus la participation des hommes et des femmes a évolué avec le temps.

    Cette étude est la première à fournir des preuves directes de la division sexuelle dans la production des céramiques pour la région du Chaco Canyon.

    « Cela remet très certainement en cause la théorie qui voudrait qu'un seul genre ait été impliqué dans la fabrication de poteries et que l'autre en ait été complètement absent, » indique Kantner. « On pourrait peut-être commencer à se demander s'il n'en allait pas de même pour les autres activités pratiquées dans cette communauté à cette époque et ainsi mettre en doute l'idée selon laquelle la première division qui s'effectue dans le travail d'une communauté serait celle du genre. »

    Barbara Mills est experte en céramique et archéologue à l'université de l'Arizona, elle affirme que les résultats de l'étude sont déterminants en ce sens qu'ils corroborent les observations faites dans les économies où la spécialisation augmente en raison de la croissance : l'implication des hommes dans des activités auxquelles ils ne participaient pas auparavant.

    « Dans les études interculturelles, lorsque l'homme commence à prendre part aux activités de poterie, cela signifie qu'il consacre plus de temps à cette tâche qu'à d'autres, » explique Mills. « Mais on retrouve également cette tendance lorsqu'il y a un intérêt. Les hommes prennent la relève, c'est un phénomène largement documenté. L'ensemble de la famille s'implique. Cette étude apporte des preuves solides d'une spécialisation accrue. »

    Les céramiques ont été découvertes au cours de fouilles d'anciennes habitations du Chaco Canyon similaires à celle prise ici en photo.
    PHOTOGRAPHIE DE John Kantner

    Bien que les raisons d'une plus grande implication des hommes dans la production de céramiques ne peuvent pas être déduites de l'étude seule, Kantner suppose que ce phénomène pourrait être lié à la croissance spectaculaire du centre culturel de Chaco Canyon et à l'augmentation induite de la demande auprès des communautés préposées à l'alimentation.

    « Les données archéologiques témoignent d'importantes quantités de denrées acheminées à Chaco, » ajoute Kantner. « Peut-être constituaient-elles un tribut versé par les villages voisins ou une offrande apportée par des pèlerins mais dans tous les cas, la situation de l'époque a probablement joué en faveur d'une plus grande implication du peuple dans la production des poteries transportées vers Chaco. »

    Anthropologue à l'université du Nebraska à Lincoln, Carrie Heitman reconnaît avoir été intriguée par cette étude mais elle ajoute que pour confirmer les résultats de Kantner, il faudra élargir les recherches comparatives à d'autres sites du Chaco Canyon.

    « Lorsque nous aurons en notre possession des données analytiques similaires provenant d'autres collections de céramiques extraites de Chaco Canyon, nous disposerons de plus amples connaissances pour estimer précisément les divisions du travail, » poursuit Heitman. « Peut-être que ce n'est qu'un aperçu de la transition qui s'opérait à cette époque, mais, premièrement, ce type d'analyses genrées nous aidera à prendre du recul pour tenter de déterminer les activités des hommes et des femmes et, deuxièmement, il nous offrira une perspective plus étendue du passé et plus équitable du point de vue des genres. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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