La princesse Tarakanova, l'usurpatrice qui a tenté de renverser la Grande Catherine

Pour protéger son règne, l'impératrice russe Catherine II tendit un piège astucieux à la princesse Tarakanova, une usurpatrice dont la véritable identité est encore un mystère.

De María Pilar Queralt del Hierro
En 1864, l’artiste russe Konstantin Flavitsky a représenté « La princesse Tarakanova dans la forteresse Pierre-et-Paul, en proie à une inondation », sur la base d’une légende selon laquelle la Grande Catherine aurait enfermé l'usurpatrice dans une cellule avant de l'inonder. Galerie nationale Tretiakov, Moscou
PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

L’impératrice Catherine II de Russie n’était pas étrangère aux conspirations et aux cabales orchestrées par ses ennemis, mais au début des années 1770, les velléités d’une mystérieuse femme au trône sont peut-être les plus révélatrices des manigances constatées sous le règne de la « Grande Catherine ». L'impératrice ordonna que la « princesse Vladimir » (plus tard connue sous le nom de « princesse Tarakanova ») fût emprisonnée dans la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg .

Elisabeth Ire de Russie (1709-1762), Musée de l'Hermitage, St. Pétersbourg
PHOTOGRAPHIE DE Fine Art Images, Album

Bien que Catherine II soit plus connue sous le nom de « Grande Catherine », son règne a connu des débuts difficiles. Avant sa mort en 1762, l'impératrice Elisabeth Ire avait nommé Pierre III, son neveu et époux de Catherine, comme héritier du trône. Six mois après la mort d'Elisabeth, Catherine prit la tête d'un coup d'État et contraignit Pierre III à abdiquer. Environ une semaine plus tard, emprisonné dans un palais de Ropsha, à l'extérieur de Saint-Pétersbourg, Pierre III mourut alors qu'il était pris en charge par les alliés de Catherine. Des rumeurs selon lesquelles Catherine aurait orchestré le meurtre de son mari se répandirent comme une traînée de poudre.

 

LE TRÔNE EN PÉRIL

La nouvelle impératrice dut faire face à des menaces de toutes parts. Ses réformes politiques radicales lui valurent l'opposition d'une partie de la noblesse conservatrice russe. Au-delà des frontières russes, les puissances polonaises opposées à l'ingérence de la Russie dans leur pays, avaient intérêt à miner le pouvoir de la nouvelle impératrice qui depuis son accession au trône exerçait une pression croissante sur la Pologne, la transformant pratiquement en un protectorat russe. 

En 1772, la Russie annexa de vastes territoires à l'est de la République des Deux Nations, république fédérale aristocratique formée en 1569 à partir du royaume de Pologne et du grand-duché de Lituanie, tandis que la Prusse et l'Autriche faisaient de même à l'ouest et au sud. Nombre de membres de la noblesse qui avaient combattu la Russie se sont exilés, marquant une pause dans leur lutte contre Catherine. C'est dans ce contexte de troubles politiques que les revendications de plusieurs prétendants au trône surgirent. 

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    Revendiquant qu'il était le défunt Pierre III, Yemelyan Pugachev a mené une révolte paysanne contre Catherine II entre 1773 et 1775. Cette peinture à l'huile du début du XXe siècle de Mikhail I. Avilov montre Pougatchev recevant des armes.
    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Le soulèvement le plus dangereux pour Catherine a eu lieu en 1773, lorsqu'un ancien officier de l'armée, Emelian Pougatchev, a prétendu être le défunt mari de Catherine, Pierre III. Pougatchev a mené un groupe de paysans armés qui se rebellaient contre les conditions socio-économiques difficiles de l'époque. Avec l'aide de milliers de partisans, Pougatchev a fait main basse sur une grande partie du territoire russe. Catherine, consciente de l'ampleur de la révolte, lui opposa bientôt l'armée. Pougatchev fut arrêté et décapité en place publique en 1775.

     

    L'HÉRITIÈRE D'ÉLISABETH Ire ?

    Pendant ce temps, d'autres desseins se formaient en France. En 1772, une femme énigmatique d'une grande beauté, aux manières raffinées et à l'esprit fin égrenait les salons parisiens sous le nom de « Princesse Vladimir ». Elle affirmait être la fille illégitime de l'impératrice Elisabeth Ire de Russie, cousine de Pierre III, légitime héritier du trône.

    Selon ses dires, elle serait née à Saint-Pétersbourg en 1753, avant d'être emmenée en Perse où elle aurait grandi dans la maison d'un membre de la noblesse. Là, un tuteur lui aurait fait la révélation surprenante de sa « vraie » filiation ; elle était le fruit d'une liaison entre Elisabeth et son favori, le comte Aleksey G. Razumovsky.

    Des sources s'accordent à dire que l'impératrice Elisabeth a eu une fille illégitime avec Razumovsky, la princesse Augusta Tarakanova. Elle aurait passé la plus grande partie de sa vie dans la solitude, confinée au couvent de Saint-Jean-le-Précurseur de Moscou sur les ordres de Catherine. Connue sous le nom de sœur Dofiya, sa véritable identité aurait été gardée secrète de son vivant. Elle ne put recevoir de visiteurs qu'après la mort de Catherine, en 1796. Bien que cela ne fût jamais officiellement reconnu, l'existence d'Augusta était semble-t-il un secret connu de tous, ce qui donnait de la force aux rumeurs entourant la prétendante au trône vivant en France.

    La princesse Vladimir se faisait beaucoup remarquer dans les cercles de l'élite parisienne. La fausse princesse était accompagnée du Baron Embs, un Allemand qui prétendait être un de ses parents, et du Baron de Schenk, qui faisait office de secrétaire particulier. La demeure parisienne de la princesse Vladimir fut bientôt fréquentée par divers prétendants aussi nobles que riches, notamment des Français fortunés et des membres de l'aristocratie polonaise, dont certains étaient des farouches opposants au règne de Catherine. Fougueuse et impétueuse, la « princesse » vivait sans compter à leurs dépens. 

    Son séjour parisien fastueux se termina aussi soudainement qu’il avait commencé. Le « Baron Embs » s'avéra n'être point du tout baron, mais un marchand dont les dettes finirent par le rattraper. Ses finances mises à mal, la prétendante au trône de Russie parcourut l'Europe, changeant de nom (Fraulein Frank, Madame Tremouille ou encore comtesse Selinski) dans chaque nouveau pays résidence. En mai 1774, elle s'installa à Venise et se fit rapidement une place dans les milieux aristocratiques. C'est là qu'un piège lui avait été tendu.

     

    LE PIÈGE SE REFERME

    L’impératrice russe s’inquiétait de l'influence de cette usurpatrice. Si cette femme était la fille de feu l'Impératrice Élisabeth, elle était de fait plus légitime que Catherine. Catherine était née Sophie von Anhalt-Zerbst et était une princesse allemande. Avant d'épouser Pierre, elle n’avait donc pas de droit de naissance sur le trône russe. Si les ennemis de Catherine décidaient de soutenir la fausse princesse, le règne de l'impératrice pouvait être compromis.

    Catherine décida alors de mettre en place un plan sournois pour attirer la prétendue princesse en Russie. Là, sous son autorité absolue, toute ambition impériale potentielle pourrait être réduite à néant. Pour mettre son plan à exécution, Catherine fit appel au comte Alexei Orlov, frère de son favori, Grigory Orlov.

    Alexei Orlov mit le piège en place minutieusement, en prenant son temps. Il fit d'abord courir à Venise le bruit qu'il était lui-même tombé en disgrâce auprès de Catherine. Intriguée, la prétendante au trône lui écrivit pour lui offrir son soutien et lui indiqua que l'impératrice était leur ennemie commune. Elle assura à Orlov que s'il la soutenait, elle le laisserait gouverner à ses côtés une fois nommée impératrice. Il lui proposa une rencontre en personne et choisit le port italien de Livourne, où la flotte russe était ancrée.

    Lors de leur rencontre, le comte assura la princesse de son soutien inconditionnel. Allant même un peu plus loin en feignant une soudaine passion, il lui demanda sa main. Réellement séduite ou jugeant qu'Orlov pouvait être un allié puissant, elle accepta sa proposition et le mariage fut fixé dans les semaines qui suivirent.

    Sous prétexte de s'assurer que le mariage soit valide d'un point de vue juridique, Orlov demanda à ce que la cérémonie se déroule à bord du navire qu'il commandait, et donc techniquement sur le territoire russe. Le jour du mariage, vêtue de ses plus beaux atours, la princesse monta dans une embarcation pour rejoindre le navire. Mais alors qu'elle montait sur le pont du navire, elle fut saisie par des soldats commandés par Orlov lui-même, qui la mit aux fers au nom de Catherine II.

     

    UNE PRINCESSE EN PRISON

    Le bateau mit alors le cap vers Saint-Pétersbourg, où la princesse Tarakanova fut emprisonnée dans une cellule sombre de la forteresse Pierre-et-Paul. Elle y fut brutalement interrogée. Mais même sous la torture, elle ne se contredit pas, revendiquant toujours sa descendance royale.

    La prétendue princesse fut emprisonnée dans l'imposante forteresse Pierre-et-Paul, à Saint-Pétersbourg, en Russie. Elle mourut dans sa cellule en 1775.
    PHOTOGRAPHIE DE Loremus W. Buss/Getty Images

    Catherine réalisa très vite que rien ne persuaderait cette femme audacieuse d'abandonner ses prétentions au trône et la condamna de fait à la prison à vie. N'ayant jamais révélé sa véritable identité, la princesse mourut dans sa cellule en 1775, succombant probablement à la tuberculose. Elle fut enterrée sans cérémonie dans le cimetière de la forteresse. 

    Dans les nombreux traitements historiques de sa vie, elle est généralement appelée « princesse Tarakanova », même si, de son vivant, ce surnom ne faisait pas partie de ses nombreux pseudonymes. Son lieu de naissance et son vrai nom demeurent inconnus aujourd'hui encore et ne seront peut-être jamais découverts. 

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