Regarder le monde depuis l'Afrique : la nouvelle aspiration du Collège de France

La chaire d’Histoire et archéologie des mondes africains a fait son entrée début octobre au Collège de France, montrant une volonté de mettre en lumière une période faste de l’Afrique subsaharienne pourtant méconnue.

De Paul Chigioni
Photographies de Narvikk
Publication 24 oct. 2019, 18:14 CEST
L’église Saint-Georges à Lalibela, En Éthiopie.
L’église Saint-Georges à Lalibela, En Éthiopie.
PHOTOGRAPHIE DE Narvikk

« Nous sommes dans la capitale d’un royaume prospère. Sur les marchés, on paye les grosses quantités en monnaie d’or, les petites en coquillages. » C’est ainsi que François-Xavier Fauvelle, spécialiste de l’Afrique médiévale, a commencé sa leçon inaugurale de la nouvelle chaire de l’Histoire et archéologie des mondes africains au Collège de France. C’est la première fois que ce domaine de recherche accède à une chaire permanente au sein de l’institution de pointe de l’enseignement supérieur français. Le Collège de France s’inscrit donc dans la continuité d’une de ses missions historique établies sous François Ier en 1530, qui est d’enseigner des disciplines non encore admises à la faculté.

Bien que l’Histoire des mondes africains soit déjà enseignée dans quelques universités françaises comme à Paris I Panthéon Sorbonne, cette nouvelle chaire montre notamment qu’il existe un intérêt croissant de nos sociétés contemporaines pour cette histoire jusqu’à maintenant majoritairement méconnue ou mal connue. 

Thomas Römer, titulaire de la chaire Milieux biblique au Collège de France, introduisant la leçon inaugurale de son désormais collègue François-Xavier Fauvelle, évoque une première raison de ce déni d’historicité : « L’histoire coloniale de la France y est, sans doute, pour quelque chose ».

Francois-Xavier Fauvelle, prenant le relais lors de son discours, mentionne quelques exemples visibles de cette méconnaissance. Il évoque notamment la folklorisation de la culture africaine faite par certains musées ou reportages. Elle peut être liée à une mentalité générale réduisant trop souvent l’Afrique au « continent des origines » en oubliant de considérer son histoire à la période médiévale et moderne.

Alors l’entrée de cette chaire au collège de France pourrait mettre un peu plus sous les projecteurs ce domaine de recherche qui est également en manque de subvention. François-Xavier Fauvelle l’avait déjà évoqué dans une interview pour National Geographic : « Malheureusement, très peu de financements sont alloués à la recherche archéologique en Afrique. Il y a un très grand retard dans le domaine archéologique. »
 

UN ÂGE D’OR AFRICAIN

Pourtant, au Moyen-âge, le continent africain a connu un « âge d’or » qui n’attend que de briller aux yeux de tous d'après les historiens. Ils emploient surtout cette expression afin de marquer les esprits face à l’ombre qui plane encore sur l’Afrique et son histoire dans les mentalités générales. 

Mais c’est un fait. À cette époque, le continent africain regorge de nombreux royaumes, tous très singuliers. On peut noter le royaume de Ghâna qui prend place du 10e au 12e siècle et le royaume du Mâli du 13e au 14e siècle. Il y a des royaumes chrétiens comme celui de Nubie qui ont duré jusqu’au 13e siècle et celui d’Éthiopie. Ce dernier étant en contact avec d’autres royaumes sur le territoire d’Éthiopie mais de confession musulmane.

C’est cette cohabitation culturelle qui crée cette diversité caractéristique des mondes africains médiévaux. Il y en effet une interaction entre les différents royaumes du continent à cette époque et également une ouverture au-delà des mers. Le nom de cette nouvelle chaire a d’ailleurs imposé l’usage du pluriel à « mondes » pour insister sur cette particularité.

Un exemple : la prospection de l’église Gabriel en Éthiopie, premier monument religieux fouillé sur son territoire pour l’époque médiévale. Les archéologues y ont découvert du mobilier qui témoigne des échanges de l’Éthiopie chrétienne avec le reste du monde. Ses hauts plateaux sont considérés comme la dernière étape d’itinéraires commerciaux mettant en contact aussi bien l’Europe que la Chine avec la Corne de l’Afrique via la mer rouge.

Cette richesse culturelle mais aussi économique se retrouve également plus loin de la côte, jusqu’aux terres de la cité du Grand Zimbabwe dans le pays actuel du même nom. En 1871, l’explorateur allemand Karl Mauch découvre les ruines d’une cité ancienne aux immenses remparts de granit. 

Imbibé de la pensée européenne colonialiste du 19e siècle, il pense alors avoir trouvé la cité mythique d’Ophir évoquée dans la Bible. Avec l’évolution des mentalités, les chercheurs montreront plus tard qu’il s’agit bien d’une cité des 14 et 15e siècles aux origines africaines, proprement locales. Elle aurait tiré sa puissance économique de ses gisements d’or et de son ivoire qu’elle utilisait pour le commerce avec l’Extrême-Orient en passant par l’intermédiaire des ports swahilis basés sur la côte de l’Océan Indien. 

 

DES TRÉSORS DE L’HISTOIRE ENCORE SCELLÉS

Comme pour les royaumes africains de l’époque qui tirent leurs richesses de leurs interactions, l’étude d’une discipline historique avec une vision plus globale grâce à la complémentarité des sources – arabes, grecques, archéologiques – permet de changer de point de vue. Il est désormais plus aisé de regarder l’histoire du monde depuis l’Afrique alors que l’inverse était, auparavant, de mise.

Contrairement aux sociétés médiévales chrétiennes européennes ou celles du monde arabe, les mondes africains médiévaux n’ont pas produit de sources écrites, même s’il existe quelques textes en langue guèze d’Éthiopie et en arabe en Afrique du Nord. 

Il y a par contre d’autres styles de sources : les traditions orales qui étaient privilégiées par les sociétés africaines et les inscriptions funéraires et épigraphiques souvent retrouvées sur des tessons d’argile. Le problème rencontré par les historiens dans l’utilisation des traditions transmises à l’oral est leur émiettement dans le temps. Un ou deux siècles suffisent pour effacer de la mémoire ces récits.

Cependant, quelques voyageurs arabes et grecs ont raconté leurs périples en Afrique subsaharienne. L’explorateur arabe du 14e siècle Ibn Battuta notamment, témoigne d’une grande cité d’un des royaumes les plus connus de l’époque : la capitale du royaume du Mali du 14e siècle. Pourtant, ni les archéologues ni les historiens ne se sont mis d’accord sur l’emplacement exact de la ville. Un mystère, peut-être un jour résolu grâce aux prochains sites en voie d’être fouillés par des chercheurs, qui, galvanisés par les témoignages des sources, sont en quête de nombreux autres vestiges majeurs de l’Afrique médiévale.

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