200 ans plus tard, l'ADN de Marat nous en apprend plus sur le célèbre révolutionnaire

Jean-Paul Marat a été poignardé en 1793 alors qu'il prenait un bain. Aujourd'hui, le journal noirci par son sang lors de son assassinat pourrait apporter de nouvelles informations sur la maladie qui l'avait gravement diminué.

De Erin Blakemore
Publication 26 nov. 2019, 14:48 CET
Cette gravure du 19e siècle représente les instants qui ont suivi l'assassinat de Jean-Paul Marat dans ...
Cette gravure du 19e siècle représente les instants qui ont suivi l'assassinat de Jean-Paul Marat dans sa baignoire par Charlotte Corday.
PHOTOGRAPHIE DE Ullstein Picture, Getty

Quel est le point commun entre Emily Dickinson, Karl Marx et Jésus de Nazareth ? Ils ont tous été au centre d'un jeu de société à la mode : les diagnostics rétrospectifs. Ces expériences par lesquelles des scientifiques modernes utilisent les méthodes actuelles de diagnostic pour déterminer les causes potentielles de morts et de maladies historiques constituent un jeu très prisé des aspirants voyageurs dans le temps et un incontournable des conférences médicales. Les théories ainsi établies vont du plausible au farfelu, exemple : Jules César était épileptique ! Oh non, attendez, il faisait des accidents ischémiques transitoires ! Cependant, jusqu'à présent, aucune de ces expériences ne s'était appuyée sur l'ADN de la personnalité historique qu'elle tentait de diagnostiquer.

Grâce au meurtre particulièrement violent qui l'a arraché à la vie, les chercheurs pensent avoir élucidé le mystère médical qui tourmentait une figure historique de la Révolution. Pour cela, ils ont analysé l'ADN récupéré sur la scène de crime il y a 200 ans, comme ils l'expliquent dans une prépublication récemment diffusée sur le site bioRxiv (l'étude n'a pas encore été soumise au processus d'évaluation par les pairs). On peut également y lire que cette étude est le premier diagnostic rétrospectif à inclure l'analyse génétique d'une figure historique et la plus ancienne extraction réussie de matériel génétique sur du papier cellulosique.

Au centre de cette étude se trouve le sang de l'un des personnages les plus célèbres de la Révolution française : Jean-Paul Marat. Pendant les années 1780, le journalisme ardent de Marat en faveur de la révolution et notamment son journal l'Ami du peuple lui avait attiré le soutien passionné des Parisiens les plus pauvres et la haine de quelques ennemis promonarchie.

L'apparence physique de Marat était aussi clivante que ses opinions politiques étaient radicales. Il était reconnaissable entre mille, arborait de longues robes appelées houppelandes, enveloppait d'un foulard sa tête et portait ses chemises ouvertes, un style qu'il avait emprunté à la classe ouvrière parisienne. De plus, il était atteint d'une maladie visible de la peau. Ses contemporains faisaient un bond en arrière à la vue de ses boursouflures et de ses lésions purulentes, un mal qu'ils attribuaient tantôt à la syphilis, tantôt à son ardent tempérament.

Ses positions incendiaires ont à plusieurs reprises contraint le journaliste à vivre en cavale. Il a passé plusieurs années à se cacher dans les greniers et même dans les égouts parisiens pour échapper à ses ennemis. Ce n'est qu'en 1793 que Marat a finalement pu accéder à la stabilité et traiter cette maladie qui le faisait toujours plus souffrir. À ce stade, sa peau avait quasiment fait de lui un reclus. Ses derniers mois, il les passa à écrire et à tenter de soulager ses démangeaisons et sa peau boursouflée en s'immergeant longuement dans sa baignoire, une baignoire depuis laquelle il travaillait et recevait ses amis ou ses invités. Le 13 juillet 1793, le révolutionnaire était dans son bain à annoter des journaux lorsque la sympathisante royaliste Charlotte Corday fit irruption chez lui et le poignarda en pleine poitrine avec un couteau de cuisine. L'hémorragie emporta Marat en quelques secondes.

Le tragique assassinat hissa Marat au rang de martyr de la révolution et sa sœur prit grand soin de conserver les journaux maculés de sang qui ont traversé les âges jusqu'à nous parvenir. Les taches de sang renfermeraient-elles des indices sur la maladie dermatologique de Marat ? C'est cette question qui a éveillé la curiosité de l'enquêteur légiste Philippe Charlier, un spécialiste de la médecine légale qui cherche à percer les mystères de l'histoire : Adolf Hitler est-il vraiment mort ? Quelle maladie a eu raison de Richard Cœur de Lion ? Il a donc contacté le paléogénéticien espagnol Carles Lalueza-Fox pour lui demander s'il était possible d'analyser l'ADN présent dans les journaux tachetés de sang de Marat.

Pour extraire un échantillon sans endommager le précieux journal de Marat, Lalueza-Fox et ses collègues se sont inspirés de la médecine légale moderne et ont utilisé les mêmes types d'écouvillons qui servent à prélever des échantillons sanguins sur du papier dans les scènes de crime.

Une analyse généalogique a permis de confirmer les origines françaises et italiennes des ancêtres de Marat. Cependant, l'ADN le plus intrigant n'était pas celui d'origine humaine. L'équipe a en effet identifié l'ADN de plusieurs pathogènes non-humains sur la section tachetée de sang du journal et s'est appuyée sur la présence de ces microbes à cet endroit pour exclure de nombreux diagnostics précédents concernant la source de l'affliction du révolutionnaire.

Marat avait-il la syphilis comme le suggéraient ses ennemis ? Pas du tout, et le verdict est le même pour la lèpre, la candidose ou encore la gale. Il semblerait plutôt que le coupable de la misère de Marat était un champignon pouvant déclencher des infections opportunistes de la peau : Malassezia restricta.

Ces résultats doivent toutefois être remis en contexte : l'ADN n'a bien évidemment pas été prélevé du vivant de Marat et il est inutile de rappeler le nombre de mains qui ont touché, et contaminé ce journal au fil des années. Et quand bien même les contemporains de Marat auraient eu connaissance de cette infection fongique (ou de la théorie microbienne) ils auraient été incapables de la soigner.

Et les dermatologues modernes pourraient l'être également, déclare Laluez-Fox : plusieurs témoignages historiques suggèrent que cette infection fongique, ou peut-être une infection secondaire contractée lorsque le système immunitaire de Marat était affaibli par Malassezia, avaient atteint des extrêmes que la surveillance médicale actuelle n'aurait jamais permis. « Même les dermatologues les plus expérimentés d'aujourd'hui n'auraient jamais vu de cas aussi virulent, » affirme-t-il.

L'étude soulève par ailleurs une autre question contrariante : est-il seulement possible de diagnostiquer une maladie de la peau à travers l'ADN ? « C'est une question délicate, » répond Lalueza-Fox. L'ADN peut permettre d'identifier des maladies ou des marqueurs génétiques indiquant la présence d'autres maladies mais lorsqu'il s'agit de détecter la présence de maladies infectieuses, les diagnostics ADN n'en sont qu’à leurs balbutiements. Lalueza-Fox pense qu'une infection fongique est responsable du trouble dermatologique de Marat mais sans pouvoir tester ou jeter un œil au corps de ce dernier, il est impossible d'en être certain.

Même avec l'ADN, le diagnostic du regretté révolutionnaire pourrait ne jamais être possible. Alors, pourquoi s'entêter ?

En partie parce que les problèmes de santé peuvent affecter le cours de l'histoire ; ainsi, la maladie de Marat ne l'a-t-elle pas forcé à se retirer du mouvement révolutionnaire dans la France du 18e siècle alors que ses pouvoirs étaient à leur apogée. Qui sait ce qu'il aurait pu accomplir si sa peau ne l'avait pas transformé en paria, si elle ne l'avait pas confiné aux parois de sa baignoire. La peau de Marat l'a poussé dans ses derniers retranchements et la douleur était telle qu'elle influait sur sa personnalité. « La maladie a très bien pu jouer un rôle dans ses décisions et dans la façon dont il a influencé l'Histoire, » suggère Lalueza-Fox. « Il était malade, très malade. »

Pour Miguel Vilar, anthropologue-généticien non impliqué dans l'étude et responsable des programmes de la National Geographic Society, cette analyse est captivante. « Je pense qu'elle montre la puissance des technologies dont nous disposons à l'heure actuelle, » observe-t-il. « Nous pouvons utiliser la paléogénétique pour mieux comprendre notre passé. »

Cette analyse marque la première fois que des scientifiques parviennent à utiliser des preuves ADN dans un diagnostic rétrospectif. D'autres avant eux ont essayé mais ils ont été confrontés à des problèmes épineux comme la conservation historique ou l'éthique scientifique. Il y a une dizaine d'années par exemple, des chercheurs se sont vu rejeter leur demande d'analyser l'ADN extrait du cœur préservé du compositeur Frédéric Chopin. Ils ont dû se tourner vers une analyse virtuelle et en ont conclu qu'il souffrait de la tuberculose.

Peut-être que d'autres trouveront dans cette dernière étude l'inspiration nécessaire pour revenir sur le destin de personnages historiques à travers leur ADN. Une question reste cependant en suspens, est-il réellement possible de diagnostiquer une personne à travers les siècles ?

Le doute subsiste, répond Sam Muramoto, neurologue extérieur à l'étude et chercheur émérite du Center for Bioethics de l'Oregon Health Sciences University. Selon lui, il n'est pas contraire à l'éthique d'utiliser l'ADN ou d'autres méthodes pour analyser la santé d'un personnage historique du moment que les scientifiques gardent en tête l'intérêt des proches parents toujours vivants. Néanmoins, il qualifie ces diagnostics rétrospectifs de spéculation informée.

« C'est une sorte de maladie professionnelle, » conclut Muramoto. « Lorsque vous avez dans la main un marteau, tout ressemble à un clou. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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