Hart Island, l'île cimetière au large de New York

Un million de personnes reposent sur cet îlot de la ville de New York, dont certaines victimes du SIDA, de la tuberculose et désormais, du coronavirus.

De Allison C. Meier
Publication 17 avr. 2020, 10:23 CEST
Des prisonniers enterrent les corps non réclamés sur Hart Island à New York en 1963. Le ...

Des prisonniers enterrent les corps non réclamés sur Hart Island à New York en 1963. Le cimetière public de cette île existe depuis plus de 150 ans et accueillera désormais certaines victimes du coronavirus à l'heure où les morgues de la ville de New York sont submergées par la pandémie.

PHOTOGRAPHIE DE Arthur Schatz, the Life Images Collection, Getty

Face au nombre record de décès dus au coronavirus, les morgues de la ville de New York sont dépassées par les événements et le cimetière public de Hart Island a enregistré une forte hausse du nombre d'enterrements, passant de 24 par semaine à 24 par jour. En date du 13 avril, après cinq journées consécutives au bilan dépassant les 700 décès, plus de 10 000 personnes de la ville de New York avaient trouvé la mort des suites de la maladie à coronavirus.

Située à l'est du Bronx dans les eaux du détroit de Long Island, Hart Island sera donc la dernière demeure de certaines victimes du coronavirus.

Depuis 1869, cette île balayée par le vent, flanquée de rochers et surmontée de bâtiments en ruines accueille les défunts sans parents proches, notamment ceux arrachés à la vie par des maladies aux proportions épidémiques.

Un porte-parole du bureau du maire de New York, Bill de Blasio, a déclaré que parmi les victimes du COVID-19, seuls les New-Yorkais dont les corps ne seraient pas réclamés par des membres de la famille allaient être enterrés sur Hart Island.

« Depuis des décennies, Hart Island est utilisée pour enterrer les défunts non réclamés par des proches, » indiquait par e-mail Avery Cohen. « Nous continuerons à utiliser l'île de cette façon pendant la crise et il est probable que les victimes du COVID-19 correspondant à cette description soient enterrées sur l'île au cours de l'épidémie. »

Après être passée de mains en mains pendant plus de 200 ans, Hart Island a été vendue à la ville de New York en 1868. Un an plus tard, 18 hectares étaient alloués à la création d'un cimetière municipal, une fosse commune pour les citoyens qui ne pouvaient pas se permettre des funérailles privées. Depuis, les inhumations sont la principale activité de l'île placée sous la juridiction du Département de l'administration pénitentiaire de la ville de New York.

Plus d'un millier de funérailles y sont conduites chaque année et d'après les estimations, un million de personnes seraient enterrées à travers les 40 hectares de l'île. Le chiffre exact est difficile à appréhender : pendant les années 1930, les tombes étaient réutilisées après la décomposition du squelette des précédents occupants. Pour ne rien arranger, un incendie a détruit les registres dans les années 1970.

Les procédures d'inhumation n'ont pas beaucoup évolué depuis le 19e siècle. Une photographie prise par Jacob Riis en 1890 montre comment les cercueils étaient descendus dans la fosse et une vidéo aérienne capturée récemment présente une scène similaire.

Chaque semaine, il est d'usage de voir débarquer sur l'île une équipe de huit détenus venus de la prison voisine de Rikers Island pour procéder aux enterrements. Ils empilent les cercueils par trois dans des fosses suffisamment grandes pour accueillir 162 défunts dans le cas des adultes et un millier pour les enfants ou les fœtus. Des matricules et parfois des noms sont inscrits au marqueur sur les cercueils en pin puis consignés dans un registre afin de laisser aux familles la possibilité de récupérer la dépouille de leurs proches plus tard.

Ce mois-ci, en raison d'un pic de cas de COVID-19 dans la prison de Rikers Island, la ville a recruté des contractuels pour enterrer les défunts après avoir enfilé une combinaison de protection.

Le maire de New York a récemment tweeté que les victimes du COVID-19 ne seraient pas enterrées massivement sur Hart Island et seraient traitées avec respect. « Les enterrements seront individuels et chaque défunt sera traité avec dignité, » a-t-il déclaré.

 

LIEN AVEC LA MALADIE

En 1869, la première personne enterrée dans le cimetière de Hart Island était Louisa Van Slyke, une jeune femme âgée de 24 ans emportée par la tuberculose, sans famille pour réclamer son corps. L'année suivante, alors qu'une épidémie de fièvre jaune sévit à travers la ville, les personnes infectées sont mises en quarantaine sur l'île afin d'éloigner les mauvaises odeurs qui, selon la croyance populaire, étaient responsables de la transmission des maladies. Plus tard, un hôpital a ouvert sur l'île pour les patients placés en quarantaine après que la ville de New York eut lancé la première campagne nationale destinée à maîtriser la « peste blanche » (l'autre nom de la tuberculose) qui touchait un Américain sur sept à l'époque.

En 1985, une autre maladie mortelle a concentré les attentions sur l'île. Face aux craintes et incertitudes suscitées par l'épidémie de SIDA, les établissements funéraires ont fermé leurs portes aux victimes du virus et dans les premiers jours de l'épidémie, dix-sept d'entre elles ont été enterrées à la pointe sud de l'île, loin des autres tombes. Contrairement aux habitudes, elles ont été inhumées individuellement, à quatre mètres de profondeur. Parmi ces tombes, celle portant l'inscription SC-B1, 1985 commémore le premier enfant mort du SIDA à New York.

Dans les années 1980 et 1990, beaucoup d'autres victimes du SIDA ont été enterrées sur Hart Island. Les chiffres exacts ne sont pas connus en raison de la stigmatisation associée à la maladie et du manque d'informations mais comme le rapportait le New York Times en 2018, Hart Island pourrait bien être le « plus grand cimetière de victimes du SIDA » aux États-Unis.

Plus récemment, avant que New York ne soit frappé par le coronavirus, le cimetière de Hart Island a été utilisé comme lieu d'inhumation temporaire lors de la pandémie de grippe survenue en 2008.

 

DES HISTOIRES MULTIPLES

Hart Island n'a pas toujours été un cimetière. En 1654, un médecin nommé Thomas Pell a fait l'acquisition du terrain grâce à un traité avec le peuple indigène établi dans la région, souvent appelé Siwanoy  ou Suwanak. Avec cet achat, Pell a pu considérablement étendre son domaine qui couvrait le Bronx, Pelham et la Nouvelle-Rochelle.

Au cours des 18e et 19e siècles, le site est passé entre les mains de divers propriétaires fortunés, dont Oliver Delancey et John Hunter, tous deux marchands et politiciens. Au fil des années, différents sobriquets ont été donnés à l'île, notamment Spectacle Island, l'île lunettes, en référence à sa forme et finalement Hart Island, en hommage au cerf qui rôde encore aujourd'hui sur l'île.

À travers sa longue histoire, Hart Island a eu plusieurs utilités. Avant son rachat par la ville de New York, le gouvernement fédéral louait le terrain pendant la guerre de Sécession pour l'entraînement de ses régiments afro-américains, les United States Colored Troops, et la détention des prisonniers confédérés. Au 19e siècle, l'asile de la ville de New York, le New York City Lunatic Asylum, y a installé une aile réservée au traitement des femmes, bien qu'un rapport de 1880 indique qu'il n'y avait « aucune guérison à signaler, tous les cas étant chroniques. » En 1905, une maison de correction y accueillait les « mauvais garçons » et dans le courant du 20e siècle ont été installés un camp disciplinaire de la Seconde Guerre mondiale, une aire de lancement de missiles lors de la guerre froide et un centre de désintoxication dans les années 1960 et 1970.

 

UN DEUIL DIFFICILE

Puisque le cimetière est placé sous le contrôle du Département de l'administration pénitentiaire, les familles n'ont pas pu se rendre sur la tombe de leurs proches.

Toutefois, des associations comme Hart Island Project et Picture the Homeless ont récemment fait pression pour rendre possibles ces visites. Ainsi, Hart Island Project a obtenu le droit à deux visites par mois pour les familles et les amis des défunts sous réserve d'une inscription préalable. Les caméras et les téléphones sont interdits mais le personnel pourra prendre des Polaroïds.

De plus, il était possible jusqu'à présent de rendre hommage à un proche disparu en réservant un créneau pour se recueillir auprès d'un petit monument en granit érigé sur les quais à la mémoire des milliers de défunts enterrés sur l'île. Cette alternative est pour le moment suspendue en raison de l'épidémie de COVID-19.

Lorsque la pandémie connaîtra une accalmie, l'accès au cimetière pourrait devenir plus facile. Au mois de décembre, le maire de New York a ratifié quatre projets de loi visant à transférer le contrôle de l'île au département des parcs municipaux et à augmenter la fréquence des ferries. Cette décision est perçue comme une évolution majeure pour les citoyens qui pleurent la disparition d'un de leurs proches, un sentiment que pourraient bientôt partager de plus en plus de New-Yorkais à mesure que la vague du coronavirus s'abat sur la ville.

 

Allison C. Meier est une journaliste basée à Brooklyn qui traite de sujets comme la culture, l'histoire te l'architecture. Retrouvez-la sur Twitter et Instagram.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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